L’année 2017 s’offre à nous avec des effluves particulièrement chargées d’inquiétude. Voire de peur. Elle s’annonçait pourtant belle, mais la crise postélectorale en Gambie y est survenue comme par effraction. Et, manifestement, elle a tout gâché. Il faut cependant, ne serait-ce que pour le justifier ou l’admettre, concevoir qu’il y a forcément, dans le contexte gambien, quelque chose de supérieur à l’élection présidentielle du 1er décembre 2016 : la paix et la stabilité de la Gambie et, avec elle, de toute la Sous-région ouest-africaine.
En effet, nous attendions du président élu, Adama Barrow, dans l’euphorie de sa victoire – comme précédemment aux Etats Unis d’Amérique où le président élu, Donald Trump, s’est montré gentleman à l’égard de sa rivale, Hillary Clinton, à qui il avait promis naguère la prison – un peu de générosité envers son adversaire, le président sortant Yahya Jammeh, et le voilà plutôt enclin, fût-ce de manière voilée, à verser dans la menace et l’intimidation à l’encontre de celui-ci et de ses souteneurs, réels ou supposés.
Or, qu’est-ce que c’est qu’une victoire (volontairement) non-contrariée, après notamment qu’on est revenu de loin, sinon une porte grand-ouverte aux lendemains les plus incertains ? En tout cas, il est sacrément heureux que ces pulsions d’après-victoire de Barrow aient, pour ainsi dire, échoué.
Sans doute Adama Barrow n’est-il pas assez doué pour être généreux. A moins que, tout simplement, à l’instar de tous les autres leaders émergés de l’opposition gambienne, il ne soit aucunement prêt à prendre les rênes du pouvoir et à présider aux destinées d’une Gambie aussi géographiquement étriquée et démographiquement étroite qu’elle n’est sociologiquement complexe et politiquement lourde à porter. Aussi, le président sénégalais, Macky Sall, eût-il un tant soit peu une intuition comme celle-là, que, déjà, il aurait téléphoné, pour le féliciter, à son homologue gambien, le président Yahya Jammeh, dont la reconnaissance inespérée de sa défaite à la présidentielle apparaissait comme un acte héroïque dans le contexte gambien, avant d’appeler le président élu Adama Barrow, non pas pour le féliciter, mais pour lui prodiguer des conseils, voire « l’éduquer ».
Au lieu de cela, le président Macky Sall nous a plutôt servi le scénario contraire, passant ainsi pour un chef d’Etat étranger adoubant un président élu de la Gambie officiellement non-installé. La suite, tout le monde la connait, Adama Barrow ne s’étant pas gêné d’étaler dans la presse, à l’état brut, sa conversation avec le chef de l’Etat sénégalais. Mais alors, n’est-ce pas qu’il mérite, avec l’opposition gambienne dans sa globalité, ce qui lui arrive présentement ?
D’ailleurs, à observer Adama Barrow à l’annonce de sa victoire, l’on croirait revoir l’équipe de football du Sénégal qui, ayant battu l’équipe de France au Mondial de 2002, obtenait par là-même son ticket pour rentrer bredouille à la maison. Tout indiquait en effet qu’elle ne pouvait aller plus loin, pour n’y avoir pas été préparée. Peut-être fera-t-elle mieux en 2018, pour avoir beaucoup appris entre-temps. Sa victoire aux dépens de l’équipe de France en 2002 aura alors été un « accident » bien venu.
Quant aux acolytes et autres souteneurs de Barrow, ils ne semblent pas davantage doués pour être généreux. Même la Communauté internationale, réduite ici à l’Organisation des Nations Unies (ONU), à l’Union Africaine (UA) et à la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’a guère fait mieux. Bien au contraire, elle a investi, elle aussi, banalement (c’est particulièrement vrai pour le diplomate en chef de la CEDEAO), la voie sans issue (heureuse) de la menace et de l’intimidation, sinon du bluff, feignant alors d’ignorer que le président Jammeh était dans son droit quand il a cru devoir former un recours en annulation des résultats proclamés de ladite présidentielle auprès de la Cour Suprême de la Gambie. Cette dernière, dit-on, rendra sa décision y relative le 10 janvier 2017 ; une décision judiciaire non susceptible d’appel.
Il va sans dire qu’un diplomate, qui ne voit dans le traitement d’une crise comme la crise postélectorale en Gambie que des portes qui se ferment mais guère des fenêtres qui s’ouvrent, est forcément plus dangereux que la crise elle-même. N’est-ce pas ce type d’aveuglement qui nous enferme dans le conflit plus que tri-décennal en Casamance ?
C’est le lieu, quoi qu’il en soit, de saluer la lucidité du président guinéen, Alpha Condé, qui s’est dit opposé à toute intervention militaire pour régler la crise postélectorale en Gambie, refusant ainsi, probablement, de se laisser distraire par l’arrestation opportunément récente, à Dakar, de Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba, l’un des bouchers présumés du « 28 septembre 2009 ». Le président du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT), Ousmane Tanor Dieng, n’est pas loin d’y souscrire. Mais il n’est pas le président de la République du Sénégal.
Aussi, voulons-nous, en ce qui nous concerne, voir dans cette crise postélectorale en Gambie, pour y croire malgré tout, quelque chose de plutôt salutaire. Oui ! quelque chose qui, tout en croissant, va non seulement sauver la Gambie, mais la Casamance et avec elle le Sénégal et toute la Sous-région. Parce que, nous en sommes persuadés, la prochaine fois, « ça marchera », dans une Gambie plus proche de la démocratie. Parce que, alors, les Gambiens, tous les Gambiens, quelles que soient par ailleurs leurs communautés respectives d’origine, auront appris à « être Gambien », sans complexe ni perdre du temps et de l’énergie à se défier face à leur grand et unique voisin, le Sénégal. Pourvu cependant qu’ils y prennent tous goût, tandis que l’opposition gambienne, pour sa part, aura certainement appris « quelque chose », du moins si elle n’est satisfaite à bon compte, ni d’elle-même, ni à plus forte raison de son attitude avant, pendant et après la présidentielle du 1er décembre 2016.
Alors, et seulement alors, l’opposition gambienne comprendra, certainement, pourquoi la Communauté diola de la Gambie ne saurait être réduite à Yahya Jammeh ; ni tenue pour responsable des actes imputables à celui-ci ; et, passant sous le verni du régime ‘‘Jammeh’’, pourquoi les victimes diola présumées de ce dernier se comptent, aussi, par dizaines, dont nombre de militants et de combattants du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC).
Et pourtant, si des officiers de l’armée sénégalaise peuvent aujourd’hui se targuer d’avoir été jadis des instructeurs militaires en Gambie et d’y avoir formé un certain Yahya Jammeh, nombreux sont des (ex)combattants du MFDC, tous Diola, qui pourront à leur tour se glorifier, qui de l’avoir « croisé », qui de l’avoir « pratiqué », ès-qualité, dans le maquis casamançais, comme en prélude du fameux coup d’Etat qui l’a installé au pouvoir en 1994.
On voit donc, à la lumière de ce qui précède, que le « putschiste de Banjul » est une création du Sénégal. Et ce n’est pas le président déchu et condamné à l’exil, Daouda Kaïraba Diawara, qui le démentira. Ce qui veut dire que Yahya Jammeh n’est pas ‘‘n’importe qui’’ se trouvant comme par enchantement ‘‘n’importe où’’. En être conscient, pourrait sûrement aider à appréhender la crise postélectorale en cours de manière responsable, c’est-à-dire en n’en faisant qu’un problème politique, rien qu’un problème politique, et elle l’est, incontestablement ; pour devoir alors la régler politiquement, soit trouver la meilleure solution, la meilleure voie, en Gambie, pour la Gambie et accessoirement pour la Sous-région (et par conséquent pour le Sénégal bien compris).
Au fait, qui eût cru que le président Yahya Jammeh aurait pu être mis en ballotage, même à lui favorable, dans les urnes ? Qui l’eût cru ?
Qu’à cela ne tienne, la Commission électorale indépendante (CEI), qui a publié les résultats de la présidentielle du 1er décembre 2016, une première fois avec un écart de soixante mille voix puis une seconde fois avec un écart de vingt mille voix, départageant ainsi les candidats Adama Barrow et Yahya Jammeh, s’est littéralement fourvoyée. Elle a par conséquent perdu toute crédibilité, d’autant plus que, ici, on ne pouvait, sauf à faire insulte à l’intelligence, s’autoriser à donner davantage du crédit à cette CEI statuant en seconde instance qu’à cette même CEI statuant en première (instance).
Non! Il eût été plus raisonnable de jeter son dévolu sur les services d’une tierce partie garante, en l’occurrence le Juge des élections, c’est-à-dire la Cour Suprême de la Gambie, ce que du reste le président Yahya Jammeh a cru devoir faire au bénéfice du doute raisonnable, annulant par là-même, logiquement, naturellement devrait-on dire, la déclaration qu’il a faite au lendemain de la première proclamation des résultats. Aussi, faut-il croire que le « wax-waxet légalisé » n’est pas l’apanage du Sénégal et qu’il peut être homologué comme tel sous d’autres cieux, même s’il n’a d’égal que le mépris et tout le potentiel de violence dont il est nécessairement porteur, d’où qu’il procède.
Voici et voilà, donc, les faits que nos yeux ont vus, et nos oreilles entendus ; alors que, dans notre entendement, au regard de l’électorat gambien, l’écart entre ces deux écarts (soixante mille et vingt mille) n’a pas de sens. Et c’est précisément parce qu’on a voulu lui donner sens à tout prix, au-delà même de l’attitude inconsidérément triomphante de Barrow et de ses souteneurs, qu’est née une crise postélectorale en Gambie. A noter, toutefois, qu’aucun protagoniste de la crise ne nous intéresse, mais alors pas du tout, ni comme individu, ni en tant qu’acteur politique.
Au demeurant, que va-t-il se passer si la Cour Suprême conforte le président sortant dans sa position ? Et quelle sera en l’occurrence l’attitude de la Communauté internationale ? Va-t-elle, malgré tout, et pour sauver le « soldat » Adama Barrow, et seulement pour sauver le « soldat » Adama Barrow, prendre la lourde responsabilité et le risque énorme de sacrifier des centaines voire des milliers de vies humaines ? Va-t-elle à cet effet se saigner et, avec elle, faire saigner toute une Sous-région ouest-africaine pour si peu ?
Il est évident que le « soldat » Adama Barrow ne saurait valoir, sous aucun prétexte, que du sang fût inutilement versé pour lui, et seulement pour lui. Mieux, le « soldat » Adama Barrow ne saurait mériter que le spectre de la mort, ou de la guerre, fût simplement agité pour nous épouvanter.
Qui plus est, la Communauté internationale est-elle jamais au courant que la crise postélectorale en Gambie participe, à maints égards, de cette autre crise, la « crise sénégalo-bissauguinéo-gambienne en Casamance » ? Une crise autrement plus profonde et toujours d’actualité, plus que jamais donc, quoique dégénérée à ce jour en un état de ni guerre ni paix en Casamance. Est-elle jamais au courant de cela ? Si oui, au nom de quelles valeurs la Communauté internationale s’obstine-t-elle à se boucher le nez et les oreilles et à fermer les yeux devant une Casamance meurtrie par 34 années de souffrances ? Dans notre civilisation, celle du 21ème siècle des humains, la Communauté internationale n’a-t-elle pas aussi le devoir et l’obligation réunis de s’arrêter par moment et, pour ce qui est de la Casamance, de lui témoigner assez, ou un peu, de son empathie ?
En tout état de cause, si la Communauté internationale s’entêtait jusqu’à user de la force armée pour régler la crise postélectorale en Gambie, de grâce, qu’elle ne nous insulte pas à nouveau en y procédant à partir du territoire casamançais, toutes oreilles et nez bouchés et tous yeux fermés. Cela, nous ne saurions l’accepter, sous aucun prétexte. Qui plus est, que la Communauté internationale se débrouille – mais, alors, qu’elle se débrouille ! – pour que la Casamance ne soit en l’occurrence la victime collatérale d’aucun dégât réputé lui-même collatéral.
A propos, faut-il encore et toujours le rappeler, le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance et la Convention des Socio-Cultures de la Casamance ont inventé en 2002, chez nous au Sénégal, un Processus Inédit de Paix Définitive Maintenant en Casamance, et les Colombiens l’ont fait en 2016 chez eux, en Colombie, à la faveur d’une volonté politique réelle, conjointement et résolument portée par les Autorités (avec à leur tête le président Juan Manuel Santos, le tout dernier Prix Nobel de la Paix) et par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, les FARC, encouragés en cela par la Communauté internationale.
C’est que, chez nous au Sénégal, une « politique casamançaise », sous-tendue par une volonté politique de régler définitivement le conflit plus que tri-décennal en Casamance, est proprement inexistante. Par la seule faute, ou la seule volonté inconsidérée, de tous les gouvernements successifs du Sénégal. Mais il n’est jamais trop tard pour y remédier.
Dans cette perspective, il urge de se souvenir du vrai concept de « Monsieur Casamance » et de sa véritable mission, pour devoir alors agir en conséquence. Deux mots, et une expression, qui évoquent, tout à la fois, une politique, la « politique casamançaise » du président de la République, pour autant qu’elle existe, et une mission, celle dévolue par le chef de l’Etat à un homme ou une femme.
La « politique casamançaise », quand elle existe donc, nonobstant ce qui lui est commun avec les autres « politiques régionales », a pour objet : la résolution définitive du « problème sénégalo-bissauguinéo-gambien en Casamance ». Tandis que la mission de « Monsieur Casamance » consiste : (i) à porter avec noblesse et désintéressement le message du président de la République à la Rébellion casamançaise, message nécessairement immédiatement inaudible pour cette dernière, de sorte que « Monsieur Casamance » apparait comme un missionnaire et qu’à ce titre sa mission passe pour un sacerdoce ; (ii) à dire en l’occurrence à la Rébellion casamançaise ce que veut réellement le chef de l’Etat et comment il entend véritablement régler avec elle le conflit en Casamance ; (iii) et surtout, pour ce faire, jusqu’à quelle limite objective extrême le président de la République est prêt à aller dans sa quête d’une paix définitive sinon durable en Casamance.
En l’espèce, le seul vrai « Monsieur Casamance », que le Sénégal eût jamais connu, fut sans conteste Marcel Bassène. C’est assurément ce qui le caractérise dans sa dernière demeure, quand d’autres, qui l’y rejoindront immanquablement, se caractériseront à leur tour comme étant les personnes les plus riches du cimetière. Paix à son âme et honneur à sa mémoire.
Dans cette perspective, aussi, il est comme un impératif de préserver la paix et la stabilité notamment en Gambie et en Guinée-Bissau, ou ce qu’il en reste. Sans amateurisme. Sans angélisme non plus. Mais avec professionnalisme. En tous les cas, sans aucune espèce de légèreté politique d’aucune sorte, pour que vivent à tout jamais la paix et la concorde dans la Sous-région et au-delà.
Comment dès lors procéder à notre entrée dans la nouvelle année ?… Bonne et heureuse année à toutes et à tous, quand même !
Dakar le 31 décembre 2016.
Jean-Marie François BIAGUI
Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF)
Et ancien Secrétaire Général du MFDC