Le président de la République, à son retour de New York mercredi soir, a décrété un deuil national de trois jours. Une période pendant laquelle les drapeaux seront en berne et les fastes décommandés. Il était temps sans compter que c’était bien le moins au moment où notre pays vit douloureusement les conséquences de cette grande tragédie qu’est la catastrophe de Mina où 769 personnes ont trouvé la mort.
Car on avait commencé à se demander si les gens qui nous gouvernent avaient une quelconque once de compassion pour les familles sénégalaises endeuillées actuellement, celles dont la mort de leurs proches est confirmée officiellement (11 décès officiels), mais aussi celles, infiniment plus nombreuses, dont les parents sont « portés disparus ». En tout, une cinquantaine de pèlerins dont on est sans nouvelles jusqu’à présent et à propos desquels le Commissariat général au pèlerinage ne peut pas dire grand-chose, et pour cause, ce « machin » s’étant surtout signalé depuis le début par ses errements et son incompétence.
Plus d’une semaine après les faits, donc, le président de la République, après avoir continué tranquillement à dérouler son agenda new-yorkais comme si de rien n’était, se décide enfin à décréter un deuil national de trois jours. Mieux vaut tard que jamais… Les Sénégalais sont soulagés, il y a enfin un pilote dans l’avion ! Après avoir fait la bamboula, il est temps de passer aux choses sérieuses, d’affecter la contrition et de faire le deuil. Heureusement que les familles des morts, elles, n’avaient pas attendu la décision présidentielle pour porter le leur. Mardi dernier, dans ces mêmes colonnes, nous révélions pour nous en scandaliser Ancreque l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Dakar offrait le même jour une gigantesque réception à l’hôtel Ngor Diarama pour fêter la journée nationale de son pays. S’il est loisible à l’honorable plénipotentiaire saoudien — dont on sait que le pays ne porte aucune considération aux pauvres Nègres que nous sommes — de faire la fête pendant que des familles sénégalaises pleurent leurs proches morts en Arabie saoudite, rien n’expliquait que le Gouvernement prît part à cette réception indécente et provocatrice. Et pourtant, il a été représenté par un de ses poids lourds, le ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo en l’occurrence. Or, encore une fois, le Sénégal était déjà en deuil à ce moment-là. Nous avions suggéré que nos ministres s’abstinssent d’aller à cette fête, personne ne nous a écoutés. Et l’on vient 24 heures après avoir festoyé avec les Saoudiens, décréter un deuil national et faire mettre les drapeaux en berne. On se fout assurément de la gueule des Sénégalais.
L’attitude du Gouvernement dans cette affaire nous rappelle cette anecdote que l’on raconte à propos d’une ethnie de notre pays qui adore faire la bamboula lors des cérémonies familiales. Un bébé était né pour le baptême duquel toutes les dispositions avaient été prises. Notamment, beaucoup de moutons et des sacs de riz mais aussi des caisses de boissons avaient été achetés. La fête promettait d’être belle. Or, ne voilà-t-il pas qu’aux premières heures du jour du baptême, ce bébé eut la mauvaise idée de mourir. Catastrophe ! Que faire ? Après concertations entre membres du premier cercle familial, il fut décidé de ne rien dire aux nombreux convives qui étaient déjà sur place. On mangea donc, on s’abreuva de limonades et jus de fruits, on dansaau rythme des tam-tams, on chanta et des billets de banque furent offerts généreusement aux griots. Puis le soir, quand tout le monde se fut régalé et désaltéré, on annonça… que le bébé était mort. Les apparences étaient sauves et le plus important — c’est-à-dire la fête — avait déjà été réalisé. A propos du drame de Mouna, aussi, le Gouvernement, après avoir fait la fête avec l’ambassadeur saoudien, nous dit qu’il est temps de porter le deuil !
Le Gouvernement qui, pendant toute cette tragédie, a été dramatiquement absent. Le président de la République battait campagne à New York pour l’obtention d’un siège de membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Onu pour notre pays et ne pouvait donc pas écourter son séjour comme ses homologues malien (pour cause de morts à La Mecque) et centrafricain (parce que son fauteuil était menacé par une révolte) pour venir compatir. Le Premier ministre était en pèlerinage à La Mecque sur invitation du roi Salman et ne pouvait décemment pas critiquer les Saoudiens pour leurs criminelles négligences. Le ministre des Affaires étrangères, dont dépend le Commissariat général au pèlerinage, était lui aussi à New York et n’a pas jugé utile de revenir prendre les choses en main. Et les autres ministres étaient aux abonnés absents… sauf pour aller répondre à l’invitation de l’ambassadeur saoudien à Dakar.
Mais bon, l’essentiel c’est que le Gouvernement ait enfin décidé de décréter un deuil pour cette tragédie dans laquelle une cinquantaine de Sénégalais auraient péri. Les familles endeuillées sauront reconnaître les leurs…