Nations Unies
24/D/2783/2016
Pacte international relatif aux droits civils et politiques Version non éditée
Distr. générale 8 novembre 2018 Original : français
Comité des droits de l’homme
Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication n° 2783/2016*, ***
Communication présentée par :
Karim Meïssa Wade (représenté par Michel Boyon, Mohamed Seydou Diagne et Cire Clédor Ly, ses avocats)
L’auteur
Au nom de : État partie : Date de la communication :
Références :
Date de la décision :
Objet :
Sénégal 31 mai 2016 (date de la lettre initiale) Décision prise en application du paragraphe 3 de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 juillet 2015 (non publiée sous forme de document) 22 octobre 2018 Procédure pénale pour détournement de fonds publics Autre procédure internationale d’enquête ou de règlement – abus de droit de plainte – incompétence ratione materiae – griefs non étayés Droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure
14 para. 5 3 et 5 par. 3 (b)
Question(s) de procédure :
Question(s) de fond :
Article(s) du Pacte: Article(s) du Protocole facultatif :
*Adoptées par le Comité à sa 124° session (8 octobre – 2 novembre 2018). * Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : Tania María
Abdo Rocholl, Yadh Ben Achour, Ilze Brands Kehris, Sarah Cleveland, Ahmed Amin Fathalla, Olivier de Frouville, Christof Heyns, Bamariam Koita, Marcia V. J. Kran, Duncan Laki Muhumuza, Mauro Politi, José Manuel Santos Pais, Yuval Shany, Margo Waterval et Andreas B. Zimmermann.
GE.18-17093 (F)
Merci de recycler
Version non éditéeCCPR/C/124/DR/2783/2016
1.1 L’auteur de la communication est Karim Meïssa Wade, de nationalité sénégalaise, né le 1er septembre 1968. Il prétend être victime d’une violation de l’article 14 para. 5 du Pacte par le Sénégal. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur le 13 février 1978 pour l’État partie. Il est représenté par ses avocats, Michel Boyon, Mohamed Seydou Diagne et Cire Clédor Ly. 1.2 L’auteur ainsi que l’État partie ont soumis huit soumissions au Comité Le 16 novembre 2016, le Comité a informé l’État partie et les auteurs de sa décision de refus d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond en vertu de l’article 97 para. 3 du règlement intérieur du Comité.
Rappel des faits présentés par l’auteur! 2.1 L’auteur a exercé les fonctions de ministre d’État, ministre de la coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures et de l’énergie du Sénégal de 2009 à 2012. En mars 2012, quelques mois après les élections présidentielles remportées par l’opposant au Président sortant, l’État partie a engagé des poursuites contre l’auteur dans le cadre de la lutte contre la corruption et de la promotion de la bonne gouvernance. L’auteur prétend que lesdites poursuites se sont avérées sélectives et visaient des responsables et militants de la nouvelle opposition ainsi que des membres de la famille de l’ancien Président de la République. 2.2 L’auteur prétend que la gestion de ses affaires publiques a fait l’objet d’audits et d’inspections par les plus prestigieux organes de contrôle du Sénégal, parmi lesquels l’inspection générale d’État, la Cour des Comptes et l’Agence de régulation des marchés publics. Aucun de ces organes n’aurait soulevé la moindre accusation ou reproche à l’encontre de l’auteur. 2.3 Le 27 novembre 2012, l’État partie a déposé une plainte contre l’auteur auprès des tribunaux français pour « biens mal acquis ». Le 27 mai 2014, le Procureur de la République financier siégeant à Paris a classé l’affaire sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée » après une enquête qualifiée de minutieuse par l’auteur du Parquet national financier et de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière. 2.4 Parallèlement, l’État partie a engagé des poursuites contre l’auteur sur son propre territoire devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), juridiction d’exception, qui a ouvert une enquête préliminaire le 2 octobre 2012. A son issue le 8 mars 2013, l’auteur a été inculpé et placé en détention provisoire le 17 avril 2013. En vertu de l’article 10 de la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 créant la CREI, l’instruction préparatoire n’est pas supposée excéder les six mois à compter de la saisine de la commission d’instruction. L’auteur prétend en conséquence que l’instruction aurait dû prendre fin le 16 octobre 2013. Or, il a été de nouveau inculpé pour les mêmes faits à cette même date et maintenu en détention provisoire. 2.5 Le 22 novembre 2013, l’auteur a formé devant la Cour suprême un pourvoi en annulation, pour incompétence, contre la décision de la commission d’instruction de la CREI prononçant son inculpation. La Cour suprême n’a selon l’auteur donné aucune suite à ce recours. Il a également saisi le Conseil constitutionnel aux fins de déclarer non conforme la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 créant la CREI. Ce dernier n’a pas donné suite à ses prétentions dans une décision du 3 mars 2014. 2.6 L’auteur a été renvoyé le 16 avril 2014 devant la formation de jugement de la CREI. Le procès s’est ouvert le 31 juillet 2014 et le 23 mars 2015, l’auteur a été relaxé pour le chef de corruption mais condamné pour enrichissement illicite au motif que ce dernier n’aurait pas prouvé l’origine licite de son patrimoine. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement ferme de six ans, à une amende d’environ 200 millions d’euros, à des dommages et intérêts au profit de l’État d’environ 15 millions d’euroset tous ses biens ont été confisqués y compris des biens appartenant à de tierces personnes dont la propriété lui aurait été arbitrairement attribuée par des experts sans aucune possibilité de convoquer des
Le présent rappel des faits se base sur la communication initiale et les annexes soumises par l’auteur et ses avocats.
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contre-expertises devant la CREI. Il prétend également que la CREI a été réactivée par le biais de deux décrets présidentiels du 5 mai et 6 juillet 2012 dans le seul but de le condamner et de l’évincer de la vie politique, alors même que la CREI n’avait rendu en tout et pour tout que deux décisions depuis son établissement. 2.7 De plus l’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, invoquant le fait que les décisions de la CREI ne peuvent faire l’objet d’un examen par une juridiction supérieure. Son pourvoi a été rejeté par un arrêt du 20 août 2015 de la Cour suprême. 2.8 L’auteur s’appuie sur un certain nombre de déclarations d’organisation nationales et internationales de défense des droits de l’homme prétendant que la CREI ne garantissait pas les droits des personnes inculpées.
2.9 L’auteur a, avant la décision de condamnation du 16 avril 2014 par le CREI, entrepris plusieurs démarches aux fins de voir sa situation résolue. Ainsi le 24 décembre 2012, il a déposé avec d’autres anciens ministres une requête devant la Cour de Justice de la CEDEAO. Cette dernière a estimé, dans son arrêt du 22 février 2013, que l’État partie avait violé le droit à la présomption d’innocence et ordonné la levée de la mesure de restriction de sortie du territoire national des requérants, y compris l’auteur.
2.10 Le 31 mars 2014, l’auteur a déposé une requête au Secrétariat du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire. Il rappelle les conclusions du Groupe de travail qui dans son avis du 20 avril 2015 a conclu à la détention arbitraire de l’auteur en soulignant le non-respect des règles de procédure de l’État partie quant aux délais de détentions préventives. Le 29 novembre 2015, le Groupe de travail a rejeté la demande de révision sollicité par l’État partie.
Teneur de la plainte 3.1 L’auteur affirme avoir épuisé les recours internes rappelant que la législation sénégalaise ne lui permettait pas de faire appel de sa déclaration de culpabilité prononcée par le CREI le 23 mars 2015. Il a toutefois formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême du Sénégal, invoquant une violation de l’article 14. para. 5 du Pacte, qui a été rejeté par un arrêt du 20 août 2015. Il rappelle que le pourvoi en cassation ne permet d’examiner que les questions de compétence et de violation de la loi et exclut tout nouvel examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. La Cour suprême ayant considéré le 20 août 2015 que la CREI était compétente pour juger l’auteur, l’arrêt de cette dernière est devenu définitif. En s’appuyant sur un certain nombre de décisions du Comité, l’auteur demande donc au Comité de déclarer que les voies de recours internes ont été épuisées.
Violation de l’article 14 para. 5
3.2 L’auteur invoque une violation de l’article 14 para. 5 du Pacte, la loi de procédure relative à la CREI ne permettant pas de faire réexaminer la décision de culpabilité et de condamnation par une juridiction supérieure. 3.3 L’auteur expose les éléments de la législation de l’État partie contraires à l’article 14 para. 5. Ainsi l’article 17 de la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 créant la CREI dispose que : « les arrêts de la Cour sont prononcés en audience publique. Ils sont susceptibles d’un pourvoi en cassation du condamné ou du ministère public, dans les conditions prévues par l’ordonnance n°60-17 du 3 septembre 1960 portant loi organique sur la Cour suprême ». L’auteur soutient que déjà en 1981 la loi était contraire aux dispositions du Pacte. A ce jour, la loi organique n°2008-35 du 7 août 2008 portant création de la Cour suprême dispose en son article 2 que : « la Cour suprême ne connait pas du fond des affaires, sauf dispositions législatives contraires ». Aux fins de rendre sa législation conforme à ses obligations internationales, l’Etat partie a promulgué la loi n° 2008-50 du 23 septembre 2008 aux fins d’introduire dans le code de procédure pénalele droit d’appel en matière criminelle. L’auteur prétend que cette mise en conformité n’a jamais été étendu à la loi sur la CREI. Il souligne également que même la législation relative aux Chambres africaines extraordinaires pour juger des crimes contre l’humanité connait un dispositif d’appel aux fins de réexaminer la culpabilité et la peine prononcées. 3.4 L’auteur prétend qu’il avait largement soulevé parmi les moyens de cassation la violation de l’article 14 para. 5 du Pacte et que la Cour suprême a dénaturé son argumentation
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en assimilant son argumentation fondée sur l’article 14 para. 5 à une critique de l’impartialité et de l’indépendance des magistrats de la CREI. Enfin eu égard à la décision du Conseil constitutionnel du 3 mars 2014, l’auteur souligne que ce dernier a constaté l’absence de recours mais a jugé « que l’absence de recours en appel n’induit pas nécessairement l’absence de recours utile ou effectif ; que l’absence de double degrés de juridiction n’est pas, dès lors, nécessairement contraire à la Constitution »2.
3.5 L’auteur invoque un certain nombre de déclarations publiques selon lesquelles la CREI ne respecte pas les droits des personnes inculpés. Quant aux autorités judiciaires, il cite le premier président de la Cour suprême ayant déclaré le 15 janvier 2014 que l’Etat partie doit revoir ses normes aux fins de garantir le droit à un procès équitable et notamment le droit de recours pour faire réexaminer les décisions de culpabilité et peines prononcées. En ce qui concerne les autorités politiques, il renvoie à une interview du président Macky Sall qui le 7 juin 2015 a reconnu l’absence d’appel des décisions de la CREI tout en considérant que le pourvoi en cassation constituait un recours en appel. Le Ministre de la justice en fonction, Sidiki Kaba, et l’ancienne Ministre de la justice, Amina Toure, auraient publiquement et respectivement le 5 novembre 2015 et le 19 octobre 2015 déclaré que l’absence du droit d’appel de la CREI n’était pas conforme aux droits fondamentaux de la République. 3.6 L’auteur cite ensuite le paragraphe 47 de l’observation générale n° 32 du Comité sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable et, en se fondant sur un certain nombre de décisions du Comité, il rappelle la position constante du Comité consistant à constater une violation dès lors que l’État a manqué à son obligation de faire examiner une déclaration de culpabilité et de peine. Il rappelle que l’article 14 para. 5 trouve également sa traduction dans tous les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme.
3.7 L’auteur demande au Comité de : a) constater la recevabilité de la communication, b) constater la violation par l’État partie de son droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation dont il a fait l’objet ; c) constater la violation de l’article 14 para. 5 par la mise en oeuvre de la loi n° 81-54 du 10 juillet 1981; d) demander à l’État partie d’annuler sans délai la déclaration de culpabilité, ainsi que les mesures de confiscation et d’amende ; et f) demander à l’État partie de prendre toutes les mesures pour procéder à sa libération immédiate et sans délai.
Observations des parties sur la recevabilité
Question examinée par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (article 5 para. 2, a) du Protocole facultatif)
L’État partie 4.1 L’État partie souligne que l’auteur a introduit le 24 juin 2014 une procédure devant le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire au sein de laquelle il invoquait l’absence de procédure d’appel contre les décisions prises par la Commission d’instruction de la CREI. Il estime que le Groupe de travail n’a pas respecté ses propres règles de procédure, soulignant que de nouvelles méthodes de travail ont été appliquées dans le cadre de l’avis n° 4/2015 du 20 avril 2015, des méthodes qui n’ont été adoptées formellement que le 4 août 2015 et le 12 juillet 2016. Ces faits laissent apparaitre selon l’État partie un déni de justice à son encontre, ce dernier ayant vu ses arguments rejetés par le Groupe de travail au motif de leur soumission après les délais, sur la base d’une règle procédurale inapplicable.
2 Considérant 23. 3 Voir Khalilova c. Tadjikistan, no 973/2001, para. 7.5; Bandajevsky c. Belarus, n° 1100/2002, para.
10.13; Gomariz Valera c. Espagne, no 1095/2002, paras. 7.1, 8 et 9; Terron c. Espagne, no 1073/2002, para. 7.4 ; Domukovsky, Zaza Tsiklauri, Petre Gelbakhiani et Irakli Dokvazde c. Géorgie, n° 623/1995, para. 18.11 ; Thomas c. Jamaique, no 614/1995, para. 9.5; Kelly c. Jamaïque, no 253/1987, para. 5.12; Gomez Vasquez c. Espagne, n° 701/1996, para. 11.1; Lumley c. Jamaique, no 662/1995, paras. 7.3 et 7.5; Winston Reid c. Jamaïque, no 355/1989, para. 14.4 ; Aliboeva c. Tadjikistan, no 985/2001, para. 6.5 ; Saidova c. Tadjikistan, n° 964/2001, para. 6.5.
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L’auteur
4.2 Sur la saisine du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, l’auteur rappelle que cette dernière est intervenue en mars 2014, soit avant l’arrêt de condamnation prononcé le 23 mars 2015 et rappelle qu’il n’a pas soulevé devant le Groupe la violation de l’article 14 para. 5 du Pacte. Il a invoqué en revanche parmi d’autres griefs l’interdiction de toute voie de recours contre les décisions de la commission d’instruction de la CREI. Il souligne également que la jurisprudence du Comité considère que les procédures de saisine des rapporteurs spéciaux des groupes de travail ne constituent pas une saisine concurrente d’un mécanisme international. 4.3 L’auteur souligne que le Comité peut, au regard de l’article 5 para. 2 du Protocole facultatif, examiner des plaintes préalablement soumises à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, dès lors que l’objet et les motifs sont en réalité distincts.
Question examinée par la Cour de Justice de la CEDEAO (articles 3 et 5 para.2, a) du Protocole facultatif et 96 du Règlement intérieur)
L’État partie 5.1 L’État partie fait valoir que l’auteur a saisi la Cour de Justice de la CEDEAO le 24 décembre 2012 pour violation des droits de l’homme et en particulier pour violation du droit d’appel en cas de décision de condamnation. Il soutient que la Cour de justice par son arrêt du 22 février 2013 a statué sur ce point et rejeté la demande de l’auteur comme étant inoperante, la Cour refusant d’apprécier les lois et les décisions internes rendues par les Etats. Cet arrêt consacrerait donc la fin de la procédure internationale d’enquête ou de règlement initiée par l’auteur. L’État partie rejette l’argument selon lequel l’arrêt de la CREI n’ayant été rendu qu’en mars 2015, l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO ne porterait ni sur les mêmes faits, ni sur les mêmes droits et ou sur le même objet. L’État partie soutient également, que suite à sa mise en détention provisoire, l’auteur a porté un second recours devant la CEDEAO dans lequel il soulevait de nouveau l’absence de recours à l’encontre des jugements prononcés par la CREI. La CEDEAO a, par un arrêt du 19 juillet 2013, confirmé la légalité de la détention de l’auteur.
L’auteur
5.2 L’auteur prétend quant à lui que l’arrêt de la Cour de justice est intervenu le 22 février 2013, alors que la déclaration de culpabilité et de condamnation prononcée par la CREI est intervenue le 23 mars 2015. Le 24 décembre 2012, la requête de l’auteur devant la Cour de justice visait exclusivement à critiquer l’absence de procès équitable. Il souligne également que l’arrêt du 22 février 2013 de la Cour de justice ne porte ni sur les mêmes faits, ni sur les mêmes droits substantiels et encore moins sur le même objet que la communication soumise au Comité. A l’époque, l’auteur n’avait pas encore été victime d’une violation de l’article 14 para. 5 du Pacte.
Abus du droit de plainte
L’État partie 6.1 En se fondant sur l’article 96 c) du Règlement intérieur du Comité, l’État partie estime que l’auteur aurait dû présenter sa communication devant le Comité au plus tard au 21 février 2016. L’auteur n’ayant fourni aucune explication justifiant le dépassement du
4 Selon lequel : «Afin de décider de la recevabilité d’une communication, le Comité, ou un groupe de
travail constitué conformément au paragraphe 1 de l’article 95 du présent règlement, s’assure: (…) c) que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication en vertu du Protocole. En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire ».
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délai, l’État partie invite le Comité à conclure à l’irrecevabilité de la communication pour abus de droit de plainte.
6.2 L’État partie souligne également que l’auteur a dans un premier temps soutenu l’incompétence de la CREI au profit de la Haute Cour de Justice, juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours. Se prévaloir ensuite de l’article 14 para. 5 et exiger l’examen de la décision de la CREI par une juridiction supérieure relèverait de la mauvaise foi procédurale de l’auteur. Il s’agirait d’un abus de droit ratione materiae entrainant l’irrecevabilité de la communication.
L’auteur
6.3 L’auteur soutient en premier lieu que l’abus de droit de plainte n’est pas une cause d’irrecevabilité ratione temporis et renvoie au texte de l’article 96 para. c) du Règlement intérieur du Comité. Il souligne que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications. 6.4 Il soutient en deuxième lieu que le délai de cinq ans après l’épuisement des voies de recours internes, tel que prévu par l’article 96 para. c) du Règlement intérieur, a été respecté. La seule voie de recours offerte pour l’auteur consistait en effet en un recours devant la Cour suprême. Cette dernière s’est prononcée par une arrêt du 20 août 2015, sans aucune réponse à son grief de violation de l’article 14 para. 5 du Pacte. 6.5 Enfin en dernier lieu, l’auteur soutient que des circonstances particulières font obstacle à la qualification d’abus du droit de plainte. Il rappelle que la violation alléguée n’existait pas le 22 février 2013, cette dernière s’étant matérialisée par la déclaration en culpabilité et condamnation du 23 mars 2015 par l’arrêt de la CREI. Il renvoie également à la formulation exacte de l’article 14 para. 5 qui utilise la terminologie « toute personne déclarée coupable ». Egalement, il souligne qu’au titre de l’article 96 para. f) du Règlement intérieur du Comité, l’auteur n’aurait pu matériellement saisir le Comité antérieurement sous peine d’irrecevabilité pour non-épuisement des recours internes. Enfin, à supposer que le délai de trois ans ait couru, son point de départ devrait être la déclaration de culpabilité et la condamnation du 23 mars 2015.
Plainte insuffisamment étayée (article 2 du Protocole facultatif)
L’État partie 7.1 L’État partie, en se référant à la jurisprudence du Comité pour non étaiement des allégations dans le cadre d’une violation de l’article 14 para. 55, rappelle que ce dernier a toujours déclaré irrecevable toute communication qui n’étaye pas suffisamment ses allégations. Il prétend que les allégations de l’auteur quant à une violation de l’article 14 para. 5 créent une confusion en laissant entendre que ledit article du Pacte imposerait l’obligation de mettre en place une juridiction d’appel, alors qu’il n’en est rien. Il souligne que le Comité a toujours considéré que les États parties n’ont pas l’obligation de se doter d’un système qui octroie automatiquement le droit d’interjeter appel. L’État partie prétend que la seule exigence tirée dudit article concerne l’examen par une juridiction supérieure, terminologie exacte retenue par ledit article, et non une juridiction d’appel.
L’auteur
7.2 L’auteur souligne qu’il appartient au défendeur excipant de l’irrecevabilité d’une plainte de démontrer les raisons précises pour lesquelles la plainte ne serait pas recevable. Il soutient que la communication est suffisamment étayée au regard de la non-conformité au Pacte de la loi sur le CREI, de la loi organique sur la Cour suprême et du code de procédure pénale de l’État partie. Il rappelle en premier lieu que les dispositions de l’article 14 para. 5 sont applicables devant toutes les autres juridictions de l’État partie, à l’exception de la CREI et que la loi sur la CREI déroge au droit commun.
5 Voir Piñeiro c. Espagne, no 1387/2005, paras. 6.1 ct 6.2; García Gonzalez c. Espagne, no 1441/2005,
para. 4.3 ; Villamón Ventura c. Espagne, n°1305/2004, paras. 6.5 et 6.6.
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7.3 Quant à la loi organique n° 2008-35 du 8 août 2008, l’auteur a suffisamment étayé que la Cour suprême ne peut examiner que les questions de droit et non pas les faits. Il cite l’article 2 de ladite loi selon laquelle « la Cour suprême ne connaît pas du fond des affaires, sauf dispositions législatives contraires » et rappelle l’exigence d’un réexamen en fait et en droit rappelée par l’Observation générale n° 32 du Comité. 7.4 L’auteur soutient également que la plainte est suffisamment étayée au regard de l’arrêt de la CREI du 23 mars 2015 et de l’arrêt de la Cour suprême du 20 août 2015. Il rappelle que la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 sur la CREI n’a jamais été mise en conformité avec les dispositions du Pacte. Il appartient au Comité de décider si la Cour suprême, dans le cadre de cette plainte, pouvait être considérée comme une juridiction supérieure au sens de l’article 14 para. 5 du Pacte L’auteur souligne le consensus doctrinal selon lequel les Cours de Cassation ne connaissent que des moyens de droit et contrôlent les jugements et arrêts sans examiner le fond des litiges et ne sauraient constituer un troisième degré de juridiction. La Cour suprême dans son arrêt du 20 août 2015 avait exercé un contrôle si minimal qu’il ne saurait être conforme aux exigences de l’article 14 para. 5 du Pacte, cette dernière ayant déclaré que les éléments de preuves et de faits ont été soumis à l’appréciation souveraine des juges de la CREI ne sauraient être discutés devant elle. 7.5 Il ajoute également, comme preuve de ce que les autorités de l’État partie ont conscience de ce que l’actuelle législation n’est pas conforme au Pacte, que le gouvernement a élaboré début 2014 un projet de loi portant réforme de la CREI, en particulier pour corriger les manquements actuels au regard de l’article 14 para. 5. Enfin, l’auteur souligne qu’il a soumis 37 annexes constitutives de preuves concrètes et tangibles ayant suffisamment étayé la communication.
Observations des parties sur le fond
Contexte factuel et condamnation de l’auteur pour corruption
L’État partie 8.1 L’auteur a en effet exercé les fonctions de ministre de 2009 a 2012. Les élections de 2012 ont marqué un désir de la population de renforcer et intensifier la lutte contre la corruption. Le gouvernement a ainsi pris un certain nombre de mesures parmi lesquelles la réactivation de la CREI. La fortune personnelle de l’auteur aurait été évaluée à 1.1 milliards d’euros, ce qui a suscité de vives interrogations parmi la société et interpelé la justice. Il souligne que toutes les considérations politiques développées par l’auteur sont inopérantes dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article 14 para. 5 du Pacte. 8.2 Le 2 octobre 2012, le Procureur spécial près de la CREI a ouvert une enquête préliminaire sur le fondement de l’article 5 de la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 créant la CREI. Du fait de la fortune personnelle et le train de vie de l’auteur, sans proportion avec ses revenus légaux, le Procureur spécial a saisi le Commandant de la Section de recherches de la Gendarmerie pour ouverture d’une enquête. L’Etat partie rappelle la définition retenue par l’article 3 de la loi n°81-54 de l’enrichissement illicite constitué lorsqu’une personne se trouve dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources relatives à son patrimoine et son train de vie. 8.3 Le 15 mars 2013, après clôture de l’enquête le 8 mars 2013, le Procureur spécial a mis l’auteur en demeure de justifier dans un délai d’un mois l’origine licite de son patrimoine. Le 17 avril 2013 l’auteur fut inculpé et placé en détention provisoire en même temps que cinq autres justiciables sur la base des articles 10 et 11 de la loi n°81-54. L’auteur a saisi la Cour suprême qui a renvoyé la cause au Conseil constitutionnel aux fins de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi n°81-54. Ce dernier a conclu le 3 mars 2014 à la pleine conformité de la loi. 8.4 Le 16 avril 2014, l’auteur fut renvoyé devant la CREI pour y être jugé pour s’être enrichi d’un patrimoine estimé à 117.037.993.117 francs CFA, de 2000 à 2012, sans en avoir justifié l’origine licite. Le procès a débuté le 31 juillet 2014. L’auteur a soulevé un déclinatoire de compétence qui a été rejeté le 18 août 2014 par la CREI, un arrêt contre lequel l’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. L’auteur a également
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introduit une demande de mise en liberté refusée par un arrêt du 29 décembre 2014 de la CREI contre lequel l’auteur a également formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, rejeté le 30 mars 2015. 8.5 L’auteur a été condamné le 3 mars 2015 par la CREI, un arrêt contre lequel il a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Dans un arrêt longuement motivé du 20 août 2015, la Cour suprême s’est prononcée sur : la demande de mise en liberté provisoire de l’auteur : l’impartialité des juges de la CREI; la régularité de sa composition ; le violation du droit à un procès équitable ; la méconnaissance de la présomption d’innocence ; les mesures conservatoires prononcées à l’encontre des sociétés de l’auteur ; la confiscation de la totalité des biens de l’auteur ; et la recevabilité de la constitution de partie civile de l’État partie. La Cour a rejeté les diverses demandes de l’auteur. 8.6 L’auteur a bénéficié d’une grâce prononcée par décret présidentiel du 24 juin 2016 qui le dispense de l’exécution des peines d’emprisonnement restant à subir. Il jouit d’un régime de liberté totale soumis à aucune condition. Une éventuelle contrainte par corps supposerait que l’auteur décide de se soustraire à la décision de justice le concernant. Il ne s’agirait pas d’une nouvelle peine d’emprisonnement et en tout état de cause la contrainte par corps ne se décide pas arbitrairement mais doit suivre une procédure judiciaire.
L’auteur 8.7 L’auteur souligne que les observations de l’État partie sur le fond ne sont pas fondées et ne visent qu’à salir son honneur et sa réputation. Il précise que: a) il n’a jamais été condamné pour corruption ni dans l’État partie ni ailleurs, l’arrêt du 23 mars 2015 de la CREI l’ayant relaxé du chef de délit de corruption; b) le parquet national financier français a classé sans suite la plainte de l’État partie à son encontre ; c) la justice française a refusé d’exécuter l’arrêt du 23 mars 2015 de la CREI; d) la CREI a statué selon des règles contraires aux exigences du droit international tel que cela a été souligné par des figures de défense des droits de l’homme et judiciaires de l’État partie ; e) la justice de l’État partie a été instrumentalisée à des fins politiques ; f) il a été arbitrairement détenu ainsi que reconnu par le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, un avis auquel l’État partie a violemment réagi; g) la Cour de justice de la CEDEAO a constaté la violation de ses droits ; et h) la Banque mondiale a conclu qu’aucune activité illicite ne pouvait être relevée à son encontre. 8.8 Quant à l’allégation selon laquelle son patrimoine serait évalué à 1.1 milliards d’euros, il prétend que des biens lui ont faussement été attribués et lourdement surestimés par des experts dont les désignations n’ont pas respecté le principe du contradictoire, les magistrats de la CREI ayant systématiquement rejeté les demandes de contre-expertises formulées par l’auteur. 8.9 Eu égard à la grâce présidentielle du 24 juin 2016, l’auteur souligne que la grâce ne concerne que l’exécution des peines d’emprisonnement, il n’en est rien en ce qui concerne les condamnations pécuniaires. Qui plus est, les articles 709 et 710 du Code de procédure pénale prévoit des délais de contrainte par corps très long en cas de condamnation au profit de l’État à des amendes, restitutions et dommages et intérêts. Or les autorités de l’État ont expressément et publiquement exprimé leur volonté de recouvrer les sommes dues par l’auteur et affirmé leur volonté de mettre en œuvre la contrainte par corps. Enfin, le décret graciant l’auteur ne lui a jamais été notifié. Il a été sorti de prison sans que soit effectuée la moindre des formalités nécessaires à la libération d’un détenu.
Conformité de la CREI et de la Cour suprême au cadre juridique national et international pertinent
L’État partie 9.1 La CREI instituée par loi n°81-54 du 10 juillet 1981 est une juridiction spécialisée créée pour instruire et le cas échéant sanctionner une catégorie de personnes bien déterminées dans le cadre de faits d’enrichissement illicite. L’État partie soutient que d’autres États ont institué des juridictions spéciales pour connaitre de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, à l’instar de Cour de justice de la République en France, et que le Pacte ne
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s’oppose pas à l’existence de telles juridictions. Il rappelle que le Conseil constitutionnel a dans sa décision du 3 mars 2014 consacré la constitutionnalité de la loi précédemment citée. 9.2 La CREI a été créée effectivement en 1983 et, depuis lors, a été saisie de deux affaires, et prononcée une condamnation. La loi instituant la CREI n’a jamais fait l’objet d’une abrogation. Pour lutter contre le fléau de la corruption, le décret n°2012-502 du 10 mai 2012 portant nominations des magistrats composant la CREI a été adopté. Si l’auteur a été condamné, l’État partie souligne que trois autres personnes ont également été condamnées. Il ne s’agit donc pas d’une juridiction créée aux seules fins de poursuivre l’auteur. Sur le plan procédural, elle est saisie par un arrêt de renvoi de la Commission d’instruction, elle-même saisie pour instruction par le Procureur spécial. Elle rend ensuite un arrêt qui conformément à l’article 17 de la loi n°81-54 est susceptible d’un recours devant la Cour suprême. 9.3 La Cour suprême a été créée par l’ordonnance n°60-17 du 3 septembre 1960 et instituée le 1er novembre 1960.-Dans l’architecture judiciaire sénégalaise, le Cour suprême est donc la juridiction supérieure par rapport à la CREI. Il lui incombe de réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation. Le contrôle de la Cour porte sur tous les aspects du jugement, y compris la déclaration de culpabilité et la condamnation. 9.4 Quant au cadre juridique international, l’État partie souligne que la lutte contre la corruption participe d’une obligation internationale et cite les divers outils internationaux et régionaux qu’il a ratifiés dans ce cadre. Ces outils soulignent tous l’obligation de l’État partie de prendre les mesures nécessaires aux fins de définir l’enrichissement illicite et de lutter contre. 9.5 L’État partie souligne que les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO ne sont elles-mêmes susceptibles d’aucun recours. Il invoque également l’article 2 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et son rapport explicatif, en particulier son paragraphe 18 selon lequel : « cet examen peut se limiter, selon les cas, à l’application de la loi, tel le recours en cassation. D’autres pays connaissent l’appel, qui permet de porter devant une juridiction supérieure aussi bien les faits que les points de droit. Cet article laisse à la législation interne le soin de déterminer les modalités de l’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé ».
L’auteur
9.6 Le considérant 23 de la décision (voir para. 3.4) reconnait lui-même l’impossibilité pour l’auteur d’exercer l’appel permettant à une juridiction d’examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation. Dans le cadre du droit pénal de l’État partie, seule la procédure d’appel permet en matière criminelle, correctionnelle et contraventionnelle (lorsqu’il y a peine de prison) d’examiner la déclaration de culpabilité et de condamnation. 9.7 Il attire l’attention du Comité sur le fait que l’État partie, sous prétexte de lutter contre l’enrichissement illicite, a adopté une législation pénale avec des règles de procédure spéciales différentes des règles de droit commun de la procédure pénale applicable à tous les citoyens. Cette procédure n’a pas été appliquée au cas de l’auteur. La loi n°81-54 du 10 juillet 1981 relative à la CREI non seulement permet à la CREI de procéder par renversement de la charge de la preuve mais soustrait également délibérément les personnes jugées au droit de faire examiner leur déclaration de culpabilité et condamnation par une juridiction supérieure. En phase d’instruction l’appel n’est prévu que pour le seul ministère public et non pour la personne suivie et n’est pas prévu lorsque la CREI statue sur le fond. 9.8 Quant à la Cour suprême, il rappelle que l’article 2 de la loi organique n°2008-35 du 7 août 2008 portant création de la Cour suprême dispose que « la Cour suprême statuant sur les pourvois en cassation ne connait pas du fond des affaires sauf dispositions législatives contraires ». Il souligne qu’il n’y a pas de comparution personnelle des parties ni débats ou questions posées sur les faits ou sur lesquels il faut répondre. Seuls les avocats peuvent présenter des observations orales très brèves pour éclaircir certains points de leurs conclusions écrites. L’ordre juridique de l’État partie offre certes un recours contre les décisions de la CREI mais la Cour suprême n’a pas compétence pour se prononcer sur la décision de culpabilité et la condamnation.
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9.9 A supposer même que la CREI soit une juridiction spécialisée non destinée à juger des citoyens ordinaires, la CREI n’a condamné que l’auteur parmi les deux cents personnalités politiques et hauts responsables ayant exercé sous la précédente présidence. 9.10 L’auteur souligne que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne s’applique pas aux États parties. Il s’étonne que l’État partie ne fasse en revanche nullement mention des dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et des «< directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique » de la Commission africaine.
Violation de l’article 14 para. 5
L’État partie 10.1 L’État partie n’a jamais empêché l’auteur d’user de son droit de recours à une juridiction supérieure (voir para. 8.4 et 8.5), à ne pas confondre avec le double degré de juridiction. L’auteur a exercé son pourvoi en cassation contre un arrêt du 20 août 2014 (n°04/2014) rendu par la CREI ainsi que son pourvoi contre l’arrêt du 23 mars 2015 (n°02/2015). Il a donc exercé son droit à un recours effectif qui ne doit pas être confondu avec le double degré de juridiction.
10.2 L’État partie soutient que l’instruction de dix-huit mois a été minutieuse et les faits vérifiés et recoupés. La phase de jugement devant la CREI, de juillet 2014 à février 2015, a permis de réexaminer la totalité des faits, d’en débattre de manière contradictoire et d’entendre des témoins. L’ensemble des droits de la défense a été systématiquement respecté durant toute la procédure.
10.3 L’auteur a formé pourvoi en cassation contre l’arrêt de condamnation du 23 mars 2015 de la CREI. L’État partie prétend que l’auteur a soumis à la Cour Suprême une requête de quatre-vingt-dix-sept pages, invoquant une violation de la loi, un défaut de motifs, un défaut de base légale et une dénaturation. Dans ces conditions, l’État partie soutient que l’auteur avait nécessairement conscience et connaissance de ce que la Cour suprême disposait des prérogatives de réexaminer aux fins d’annulation la décision de culpabilité et de condamnation. 10.4 L’État partie soutient que la Cour suprême a apporté une réponse appropriée à chacun des griefs soulevés par l’auteur en vérifiant les éléments de preuve et si la loi a été correctement appliquée. L’examen de la Cour suprême n’était pas un contrôle purement formel, limité à la censure de l’arbitraire ou de déni de justice et l’arrêt de la Cour est longuement et minutieusement motivé. Elle a vérifié si les règles du procès équitable ont été respectées, si les éléments de preuve ont été légalement recueilli, si la déclaration de culpabilité et la condamnation ont été légalement fondées et si la loi au sens a été correctement appliquée.
L’auteur 10.5 L’auteur réfute la déclaration de l’État partie selon laquelle il aurait usé de son droit de recours à une juridiction supérieure conformément à l’article 14 para. 5. Le pourvoi en cassation concerne seulement les décisions rendues en dernier ressort et ne porte que sur l’examen du droit et non des faits, alors que seul l’examen des faits permet d’établir une imputabilité dictant la culpabilité et la condamnation. La Cour suprême, seule juridiction pouvant connaitre des décisions de la CREI et n’ayant pas même le pouvoir de procéder à une évaluation des éléments de preuves ou de connaitre des faits qui ont conduit à la décision, le constat de violation de l’article 14 para. 5 s’impose.
10.6 L’auteur illustre la violation de l’article 14 para. 5 à la lumière du code de procédure pénale dont il cite les articles 367, 482, 484, 497, 503, 504 et 505. Lesdits articles consacrent le droit à un recours devant une juridiction supérieure en matière délictuelle et criminelle. 10.7 En réponse à l’argumentation de l’État partie selon laquelle l’arrêt de la Cour suprême du 20 août 2015 aurait été longuement motivé, il souligne que les motivations ne portent en rien sur l’examen de la déclaration de culpabilité et la condamnation.
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Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité 11.1. Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. 11.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que dans l’avis n°4/2015, adopté le 20 avril 2015, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a jugé arbitraire la détention de M. Karim Meissa Wade. Il note également l’argument de l’État partie selon lequel l’avis de ce dernier serait entaché de vice de forme. Le Comité souligne qu’il ne lui appartient pas d’examiner la validité des avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. Par ailleurs, il rappelle que si le Comité a l’obligation de s’assurer conformément à l’article 5 para. 2 a) du Protocole facultatif de l’absence de litispendance internationale, rien ne l’empêche de connaître de communications qui portent sur des affaires préalablement traitées par un autre organe de protection, y compris si ce dernier a adopté une décision sur le fond?, à moins que l’État partie n’ait fait une réserve explicite interdisant les recours successifs. Le Groupe de travail ayant achevé l’examen de l’affaire avant que la présente communication ne soit soumise au Comité, celui-ci ne s’interrogera pas sur le point de savoir si l’examen d’un cas par le Groupe de travail sur la détention arbitraire constitue une procédure devant «une autre instance internationale d’enquête ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’examen du cas de l’auteur par le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire ne constitue pas en conséquence un obstacle à la recevabilité de la communication. 11.3 Le Comité prend également note de ce que l’auteur a saisi la Cour de justice de la CEDEAO et que cette dernière a rendu deux arrêts les 22 février 2013 et 19 juillet 2013. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO du 22 février 2013 concernait le même auteur et les mêmes faits ayant conduit à la violation alléguée de l’article 14 para. 5 du Pacte. Le Comité note cependant que l’arrêt de la Cour de justice est intervenu plus de deux années avant les arrêts rendus par les juridictions de l’État partie, le 23 mars 2015 pour la CREI et le 20 août 2015 pour la Cour suprême. Il est d’avis que si l’auteur et les faits pouvaient en effet être similaires, l’objet de la requête ne saurait être similaire, la violation alléguée de l’article 14 para. 5 par l’auteur ne pouvant en effet avoir été constituée au 22 février 2013. Il rappelle également qu’en tout état de cause, si le Comité a l’obligation de s’assurer conformément à l’article 5 para. 2 a) du Protocole facultatif de l’absence de litispendance internationale, rien ne l’empêche de connaître de communications qui portent sur des affaires préalablement traitées par un autre organe de protection, y compris si ce dernier a adopté une décision sur le fond, à moins que l’État partie n’ait fait une réserve explicite interdisant les recours successifs (voir para. 11.2). Les arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO ne constituent pas en conséquence un obstacle à la recevabilité de la communication. 11.4 Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé toutes les voies de recours internes utiles qui lui étaient ouvertes. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, il estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies. 11.5 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel en vertu de l’article 96 c) de son Règlement intérieur, la présentation de la communication par l’auteur est constitutive d’un abus de droit de plainte ratione temporis, l’auteur disposant d’un délai de trois années après l’achèvement d’une autre procédure internationale de règlement pour soumettre sa plainte au Comité (voir para. 6.2). Il renvoie à ses conclusions du para. 11.3 et
6 L.E.S.K. c. Pays-Bas, no 381/1989, para. 5.2. 7 Wright c. Jamaïque, n°349/1989, para. 2.8.
8 Al-Rabassi c. Libye, n° 1860/2009, par. 6.2.
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rappelle que si les fait et l’auteur étaient similaires dans le cadre de l’arrêt du 22 février 2013 de la Cour de justice de la CEDEAO, l’objet ne saurait en revanche être similaire, la violation alléguée de l’article 14 para. 5 s’étant matérialisée le 20 août 2015%. Le délai de trois années soulevée par l’État partie aux fins de contester la recevabilité de la communication doit en conséquence être écarté. Il souligne également qu’en tout état de cause, le Protocole facultatif ne soumet pas la présentation des communications à un quelconque délai et que le laps de temps écoulé entre la violation alléguée et la soumission ne constitue pas en soi un abus de droit de présenter des communications, hormis dans des cas exceptionnelsło. Le laps de temps écoulé entre l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO et la soumission de la communication de la plainte devant le Comité ne constitue pas en conséquence un obstacle à sa recevabilité. 11.6 Eu égard à l’allégation d’incompétence ratione materiae soulevée par l’État partie selon laquelle l’auteur invoquerait un droit de double degré de juridiction, un droit qui ne serait pas couvert par le champ d’application de l’article 14 para. 5, le Comité considère qu’il s’agit d’une question qui ne saurait être examinée au stade de la recevabilité et examinera ladite allégation au fond. 11.7 Le Comité prend note enfin de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’aurait pas suffisamment étayé sa plainte. Il constate toutefois que l’auteur a, au cours de ses soumissions, soumis suffisamment d’éléments de preuve étayant ses prétentions aux fins de la recevabilité de la communication, ce dernier ayant suffisamment montré en quoi les textes de loi ainsi que la décision de la Cour suprême du 20 août 2015 étaient contraires à la norme énoncée au para. 5 de l’article 14. 11.8 Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire de l’article 14 par. 5 du Pacte et qu’il n’existe pas d’obstacle à leur recevabilité. Il procède donc à l’examen de la communication sur le fond concernant les violations alléguées dudit article du Pacte.
Examen au fond 12.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. 12.2 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le droit d’appel n’est pas consacré expressément par le Pacte. Le Comité souligne qu’il appartient à chaque État partie d’organiser son système judiciaire comme il l’entend et n’attache pas d’importance à la forme particulière et au système retenu » dès lors que la loi de l’État partie fixe des modalités permettant à toute personne déclarée coupable d’une infraction de voir sa déclaration de culpabilité et de condamnation réexaminée par une juridiction supérieure. Le Comité rappelle cependant que si le Pacte n’exige pas un nouveau procès sur les faits de la cause!, en revanche une procédure permettant une révision effective et substantielle de la déclaration de culpabilité est exigée et doit permettre d’évaluer les éléments de preuve et de faits et non se borner à une révision limitée aux aspects de droit!. 12.3 Le Comité note en l’espèce que la CREI, juridiction qui a déclaré la culpabilité et condamné l’auteur, statue publiquement et contradictoirement en premier et dernier ressort et que ses décisions sont selon l’article 17 de la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 « susceptibles d’un pourvoi en cassation du condamné ou du ministère public dans les conditions prévues par l’ordonnance n° 60-17 du 3 septembre 1960 portant loi organique sur la Cour suprême ». Il note également que les décisions de la Commission d’instruction de la CREI ne sont en vertu de l’article 13 alinéa 1 de la même loi susceptibles d’aucun recours. Il note l’article 2 de la loi n° 2008-35 du 7 août 2008 portant création de la Cour suprême disposant que « la Cour suprême ne connaît pas du fond des affaires, sauf dispositions législatives contraires ». Il prend également note de la réforme du 23 septembre 2008 par la loi n° 2008-50 qui introduit
9 Zogo Andela c. Cameroun, n°2764/2016, para. 6.14. 10 Alba Cabriada c. Espagne, n°1101/2002, para. 6.3. 1 H.K c. Norvège, n°2004/2010, para. 9.3; Reid c. Jamaïque, no355/1989, para. 14.3. 12 Rolando c. Philippines, n°1110/2002, para, 4.5; H.K c. Norvège, n°2004/2010, para. 9.3. 13 Gómez Vazquez c. Espagne, n° 701/1996, para. 11.1.
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le droit d’appel en matière criminelle, en sus d’un pourvoi en cassation, et relève que ladite réforme ne s’applique pas aux décisions de la CREI. 12.4 Le Comité note également les arguments de l’État partie selon lesquels l’instruction par la Commission d’instruction de la CREI a été minutieuse, que le jugement de la CREI a permis de réexaminer la totalité des faits et que l’examen par la Cour suprême ne s’est pas borné à un contrôle purement formel. Le Comité, après examen minutieux de la décision du 20 août 2015 de la Cour suprême, constate toutefois que la Cour a renvoyé aux constatations factuelles de la CREI et a écarté tous les moyens et arguments de l’auteur visant à « discuter des éléments de preuves et de faits soumis à l’appréciation souveraine des juges de la CREI >> et ce conformément à l’article 2 de la loi n° 2008-35 précitée, la cantonnant à un rôle d’examen sur les seuls points de droit. Il ressort de la lecture de l’arrêt que la Cour suprême n’a pas procédé à l’évaluation des éléments de preuve et de faits par la CREI!4. Au vu des éléments qui précèdent, le Comité ne saurait accueillir l’argument de l’État partie selon lequel le pourvoi en cassation devant la Cour suprême est constitutif d’un examen par une juridiction supérieure conforme à l’article 14 para. 5 du Pacte et rappelle son Observation générale n°32 selon laquelle « une révision qui concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisante en vertu du Pacte ». 12.5 bis Le Comité reconnait l’importance de l’objectif légitime de la lutte contre la corruption pour les États mais souligne également que celle-ci doit s’effectuer dans le respect des règles de procédure et du droit à un procès équitable. 12.6 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 14 para. 5 à l’égard de Karim Meïssa Wade. 13. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela exige que les États parties accordent une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, la déclaration de culpabilité et de condamnation contre l’auteur doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. 14. Etant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’Etat partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.
14 Cf. Cuartero c. Espagne, n°1399/2005, para. 4.4.