Une association tunisienne a lancé un appel lundi pour la mise en place d’une aide d’urgence en faveur de dizaines de migrants chassés de Sfax, dans le centre-est du pays, vers les frontières libyenne et algérienne.
Beity, une association d’aide aux femmes victimes de violence, a jugé nécessaire une « coordination d’urgence » regroupant les défenseurs des droits, les ONG et les institutions publiques afin de « coordonner les efforts et mutualiser les ressources » pour une « prise en charge efficiente et de qualité des migrants subsahariens ».
« Nous assistons depuis des jours dans la région de Sfax, où se trouvent des migrants laissés à l’abandon et vivant sous la menace sécuritaire, à une véritable chasse à l’homme allant jusqu’à leur expulsion et leur déportation aux portes du Sahara », écrit Beity dans un communiqué.
A la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien, des dizaines de migrants ont été évacués de Sfax, ville portuaire devenue le principal point de départ de l’immigration irrégulière vers l’Europe, et conduits la semaine passée vers des zones inhospitalières frontalières avec la Libye et l’Algérie.
Selon des médias et des ONG, 260 sur au moins 450 migrants regroupés dans une zone tampon militarisée entre la Tunisie et la Libye, près de Ras Jedir, ont été transférés dans d’autres villes tunisiennes, notamment Mednenine, Tataouine et Gabès (sud). Une douzaine d’autres ont été hospitalisés à Ben Guerdane où un correspondant de l’AFP en a vu un nombre indéterminé rassemblés dans un lycée-internat.
« Une dizaine de Maliens qui ont fui Sfax ces derniers jours, dont un qui s’est cassé le bras en cherchant à échapper à la population locale, ont été recueillis à l’ambassade » du Mali à Tunis, a par ailleurs indiqué à l’AFP une source de l’ambassade.
Pour ceux envoyés à proximité de la frontière algérienne, la situation devient de plus en plus difficile, selon des témoignages à l’AFP.
« S’il vous plaît aidez-nous, si vous pouvez envoyer la Croix rouge ici, aidez-nous sinon on va mourir, y a rien ici, y a pas à manger, y a pas d’eau », a dit par téléphone à l’AFP Mamadou, un Guinéen.
Selon lui, ils sont une trentaine abandonnés à leur sort dans une zone désertique près du village algérien de Douar El Ma, à deux pas de la frontière tunisienne.
« Mensonges »Dans un communiqué, l’organisation d’aide aux réfugiés Refugees International a dénoncé « les arrestations violentes et expulsions forcées de centaines de migrants africains noirs », soulignant que certains étaient pourtant « enregistrés auprès du Haut commissariat aux réfugiés ou ont un statut légal en Tunisie ».
L’Organisation mondiale contre la torture en Tunisie (OMCT) a annoncé pour sa part avoir saisi le Comité contre la torture de l’ONU pour dénoncer le cas spécifique de « VF, un migrant d’origine subsaharienne déporté à la frontière entre la Tunisie et Libye le 2 juillet » après avoir été arrêté sans motif et « roué de coups avec une barre de fer dans des postes sécuritaires » à Ben Guerdane (est).
Ces mauvais traitements ainsi que la privation d’eau et nourriture pour « plus de 700 migrants » retenus dans la zone tampon « sciemment imposés par des agents de l’Etat à VF et d’autres migrants en raison de leur appartenance raciale afin de les contraindre à quitter le territoire sont constitutives de torture », a ajouté l’OMCT.
Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe à l’égard de ces migrants s’est répandu depuis que le président tunisien, Kais Saied, a pourfendu en février l’immigration clandestine, la présentant comme une menace démographique pour son pays, en proie à une crise socio-économique qui s’est aggravée depuis qu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021.
Samedi, il a dénoncé ce qu’il a qualifié de « mensonges propagés sur les réseaux sociaux », affirmant que les migrants en Tunisie recevaient « un traitement humain conforme à nos valeurs, contrairement à ce qui se dit dans les milieux coloniaux et chez les agents qui œuvrent à leur service », selon un communiqué de la présidence.
Selon lui, les migrants subsahariens présents dans son pays « n’ont choisi la Tunisie pour destination que parce qu’une route leur a été pavée par des réseaux criminels ».
« La Tunisie n’est pas un appartement meublé à vendre ou à louer », a-t-il ajouté.