Quelques extraits significatifs de « CONVERSATIONS CROISÉES »…

Ce projet de livre est né d’une série d’entretiens entre Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre sénégalais et président du parti « Alliance pour la Citoyenneté et le Travail », et Ibrahima Thiam, président du mouvement politique d’opposition « Autre Avenir ». Leurs échanges nous ont paru à ce point intéressants que nous leur avons proposé de les réunir dans un ouvrage à destination du grand public, ce qu’ils ont accepté spontanément. 

 Aïda Édition est fière de vous présenter en avant première quelques bonnes feuilles de ce livre, appelé à contribuer au débat public indispensable à la veille de l’élection présidentielle de février 2024.

Chapitre 1 :  Qui est vraiment Abdoul Mbaye ?

Beaucoup de Sénégalais ont déjà entendu parler d’Abdoul Mbaye, mais peu de personnes savent vraiment qui il est et ce qu’il a fait durant sa carrière. Il est entré en politique, comme « on entre en religion », en 2016, il y a donc peu de temps. Et il a créé un parti parce qu’il estimait ne pas pouvoir se contenter d’être un spectateur de la vie publique et de la manière dont le Sénégal était géré. Il considérait qu’il devait pouvoir critiquer ce qui n’allait pas et proposer des solutions pour que ça aille mieux. Il considérait également que la manière de faire de la politique telle qu’il l’observait détruisait les valeurs auxquelles il est attaché et n’apportait pas le progrès suffisant aux populations, alors qu’il enrichissait les politiciens au Sénégal (extrait).

Chapitre 6 : La souveraineté nationale, un enjeu majeur

Ibrahima Thiam – À n’en pas douter, la notion de souveraineté est importante pour tous les pays de la planète, et notamment pour le Sénégal. Je sais que tu y es très attaché, il en va de même pour moi, et elle mérite plus que jamais notre attention. Pour ce qui me concerne, la souveraineté nationale ne signifie pas une méfiance à l’égard de nos alliés, cela ne signifie pas davantage un quelconque sentiment anti-français que certains aimeraient voir exacerbé, mais bien la reconnaissance de notre indépendance, pleine et entière, dans tous les domaines, l’exclusion de toute ingérence étrangère. L’exigence de souveraineté nationale ne signifie donc pas le refus de toute coopération extérieure, dès lors qu’elle est parfaitement maîtrisée et que nos partenaires l’acceptent sans arrière-pensée, dans un respect mutuel.(extrait)

Abdoul Mbaye – Tu as raison et nous avons là un sujet capital sur lequel débattre. Notre proximité, j’allais dire notre complicité politique, n’exclut pas des différences d’analyse, de point de vue sur telle et telle question. Nous avons un parcours différent, une expérience politique et culturelle différente, et les mouvements politiques que nous dirigeons toi et moi ont leur singularité propre. C’est d’ailleurs cette diversité qui fait notre richesse. Au demeurant, « différence » ne signifie pas « divergence », mais au contraire complémentarité. Dans l’engagement qui est le mien, je tiens à préciser que je mets le Sénégalais avant tout. Dans mon programme en vue des élections de février 2024, aussi bien en ce qui concerne les questions économiques que sociales, mon objectif peut se résumer à ce slogan : « le Sénégalais d’abord ». (extrait)

Chapitre 7 : Des institutions fortes pour une démocratie forte

Ibrahima Thiam – La constitution est pour chaque pays la loi suprême, celle des États-Unis existe depuis 1787 et n’a pas changé depuis lors, en France la constitution de la Ve République date de 1958, et en soixante-quatre ans elle a été modifiée à vingt-quatre reprises. Autrement dit les révisions constitutionnelles sont habituelles en démocratie, ce qui n’empêche pas qu’au Sénégal on reproche à Macky Sall d’avoir plusieurs fois changé notre constitution ; a-t-on tort, ou raison, selon toi ?

Abdoul Mbaye – La grande différence entre les situations auxquelles tu fais référence et le Sénégal est que chaque fois Macky Sall a révisé notre constitution à son seul profit, par exemple en introduisant la notion de parrainages pour les élections présidentielles afin d’éliminer une majorité de concurrents.

Ibrahima Thiam – Est-ce que selon toi notre constitution doit être gravée dans le marbre, de ce fait  être intangible, ou au contraire ne doit-elle pas pouvoir être modifiée selon les circonstances, un peu comme une langue vivante doit accepter de nouveaux mots dans son vocabulaire afin d’éviter de dépérir et de devenir une langue morte ?

Abdoul Mbaye – Certes, il peut y avoir au cours de son existence des événements qui conduisent à une nécessaire évolution de certaines dispositions devenues inadaptées ou demandant précisions. Les meilleurs constitutionnalistes du monde ne sont pas des juristes de science-fiction et il leur est difficile, voire impossible, d’imaginer, d’anticiper l’évolution des mœurs politiques, sociales, économiques dans un monde en perpétuel changement. C’est pourquoi la révision de la constitution reste toujours possible dès lors que les parlementaires, qui sont les représentants du peuple, y sont associés et sont d’accord, ou lorsque le peuple en décide par référendum après une bonne campagne explicative. L’important est de ne pas toucher aux grands principes fondateurs, car sinon on change de république. Tu évoquais la situation française il y a un instant. Aujourd’hui un débat agite la société française sur le maintien ou le changement de l’actuelle constitution voulue par le général de Gaulle à son arrivée au pouvoir en 1958. Il avait, ce faisant, voulu corriger l’instabilité endémique de la IVe République, et en même temps ses juristes, dont Michel Debré, son futur Premier ministre, ont façonné un texte à sa mesure comme un tailleur fabrique un costume sur mesure. Un de ses principaux opposants politiques, François Mitterrand, qui avait écrit Le Coup d’État permanent a dénoncé cette constitution qui selon lui faisait du chef de l’État un « monarque présidentiel », mais lorsqu’en 1981 il est arrivé, à son tour, au pouvoir, il s’est bien gardé de la réformer. En revanche, il y a aujourd’hui dans les rangs de la Nupes, l’un des partis d’opposition à Emmanuel Macron, avec à sa tête Jean-Luc Mélenchon qui souhaite passer à une VIe République. Agissent-ils, ce faisant, dans l’intérêt du peuple français, ou dans leur propre intérêt ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais toute la question est là : agit-on pour son bien personnel, ou pour le bien public ? Un homme d’État digne de ce nom doit servir son pays et non se servir de lui, il en va de même de la constitution qui ne doit pas devenir un sujet de marchandage. C’est trop sérieux pour cela. Un État de droit ne tient que par sa constitution, et c’est le rôle d’une Cour ou d’un Conseil constitutionnel, ou d’une Cour suprême en d’autres cieux, d’y veiller, car telle est leur mission. (extrait)

Chapitre 9 : État laïc et société multiconfessionnelle

Ibrahima Thiam – Le Sénégal apporte la preuve qu’on peut à la fois être un État laïc, républicain et accueillant pour les religions, toutes les religions. Le Sénégal est en effet majoritairement musulman, mais compte une présence significative du christianisme et d’autres religions traditionnelles africaines. Toi-même, Abdoul, tu as souvent dit que tu étais profondément religieux et en même temps tu veilles en permanence à bien séparer le pouvoir spirituel du pouvoir temporel.

Abdoul Mbaye – C’est très juste, Ibrahima. De même qu’une démocratie digne de ce nom sépare le pouvoir exécutif du législatif et du judiciaire. C’est la grande force de notre pays que de permettre cette coexistence religieuse harmonieuse sans qu’il n’y ait jamais de confusion et par voie de conséquence de conflits. Il y a chez nous une forme de tolérance et de respect mutuel que beaucoup de pays, en Afrique ou ailleurs, nous envient, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas le moindre risque de tension. Je pense ainsi qu’il nous faut être vigilants face à la possible montée d’un islam radical ou plus simplement exclusif, et prévenir l’extrémisme religieux. Nous avons aussi le développement des Églises évangéliques qui suscite certaines controverses au risque de perturber un équilibre religieux traditionnel auquel nous sommes très attachés. (extrait)

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L’éditeur