À quelques jours du 80ᵉ anniversaire du massacre de Thiaroye, Biram Senghor, 86 ans, seul descendant vivant connu d’une des victimes, exige des excuses officielles et des réparations de la part de la France.
Son père, M’Bap Senghor, a été tué le 1er décembre 1944 à Thiaroye, près de Dakar, alors qu’il réclamait ses arriérés de soldes pour sa participation à la Seconde Guerre mondiale.
Un drame encore enfoui
Les autorités françaises de l’époque ont reconnu officiellement la mort d’au moins 35 tirailleurs lors de cet événement tragique, mais des historiens estiment que le nombre de victimes est bien supérieur, allant jusqu’à plusieurs centaines. L’endroit où reposent ces soldats reste inconnu à ce jour.
Biram Senghor, adjudant-chef de gendarmerie à la retraite, se souvient s’être rendu chaque année, avant de perdre la vue, au cimetière de Thiaroye. « On dit que les tirailleurs sont enterrés dans une fosse commune près d’un baobab, mais je n’en sais rien de plus », raconte-t-il.
« Je veux que la France assume sa lâcheté. Elle doit s’excuser, indemniser les familles des victimes et reconnaître ces hommes comme des martyrs », déclare Biram Senghor, vêtu d’un boubou bleu-ciel et assis sous la véranda de sa maison à Diakhao, dans l’ouest du Sénégal.
Un crime et un déni
Mobilisé en 1940, M’Bap Senghor quitte rapidement le Sénégal pour combattre en Europe. À son retour, en novembre 1944, avec 1 600 autres tirailleurs venus de différentes colonies françaises, il réclame le paiement de quatre ans d’arriérés de soldes et diverses primes.
Le 1ᵉʳ décembre, les tirailleurs désarmés sont abattus par des soldats français à la mitrailleuse dans le camp militaire de Thiaroye. « Non seulement ils ont refusé de payer, mais ils ont massacré ces hommes. C’est un crime sur un crime », s’indigne Biram Senghor.
L’historienne Armelle Mabon souligne que certains tirailleurs ont été tués dans leurs baraquements, tandis que d’autres ont été achevés à l’hôpital.
En juillet 2024, six tirailleurs, dont quatre Sénégalais, ont été reconnus « morts pour la France », une liste susceptible d’être complétée à mesure que d’autres identités seront établies. Parmi eux figure M’Bap Senghor, une reconnaissance tardive qui, selon son fils, « dégoute » plus qu’elle ne console.
Des décennies de combat pour la justice
Depuis la mort de son père, Biram Senghor se bat pour obtenir réparation. En 1948 et 1953, il accompagne sa mère et son oncle à Fatick, convoqués par des responsables coloniaux, mais sans résultat. Pire, son père est officiellement considéré comme « disparu » puis « déserteur », et ce n’est qu’en 1953 que son décès est reconnu.
Biram écrit au président sénégalais Léopold Sédar Senghor en 1973 pour demander de l’aide. « Je n’ai jamais reçu de réponse », se souvient-il, ajoutant que le directeur de cabinet du président avait qualifié la lettre de « trop délicate ».
Il s’adresse ensuite à François Mitterrand en 1982, sans plus de succès. Ce n’est qu’en 2013 qu’Armelle Mabon retrouve le dossier de M’Bap Senghor dans les archives, relançant la lutte pour la reconnaissance et la justice.
Une mémoire à réparer
Le 80ᵉ anniversaire de la tuerie de Thiaroye, commémoré ce dimanche, est une nouvelle opportunité pour Biram Senghor de réclamer un geste fort des autorités françaises. « Je veux que mon père soit reconnu et dédommagé, et j’espère un appui des autorités sénégalaises », insiste-t-il.
Pour lui, les excuses et les réparations ne sont pas seulement des actes symboliques : ce sont des réparations morales pour une mémoire occultée depuis trop longtemps. « On continue cette bagarre avec la France », conclut-il, chapelet en mains.
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