Depuis le 13 novembre 2015 et les attentats de Paris, la presse du monde entier se déchaîne sur la Belgique et Molenbeek-Saint-Jean en particulier. La commune subit tous les anathèmes. Dernier en date: un éditorial de Roger Cohen, sommité du journalisme aux Etats-Unis. Maintes fois primé pour ses reportages, le journaliste a rédigé ce 11 avril dans le « New York Times » une analyse sur Molenbeek. Avec un titre parmi les plus provocateurs jamais lus sur la commune: « Islamic State of Molenbeek », soit « l’Etat islamique de Molenbeek », en référence à l’auto-proclamé califat en Syrie et en Irak.
Un rapprochement « symbolique »
Roger Cohen, 60 ans, qui a plusieurs années vécu à Bruxelles écrit, dès ses premières lignes, que « c’est de la place communale de Molenbeek que les attaques de Paris et de Bruxelles qui ont fait 162 victimes se sont entrechoquées« . En parlant de la présence à Molenbeek d’une population immigrée de confession musulmane à hauteur de 41%, Roger Cohen explique: « Il est difficile de ne pas faire un rapprochement symbolique avec l’Etat islamique établissant une base pour ses desseins meurtriers dans la capitale de l’Europe à un moment où l’idéal européen est au plus bas depuis les années 50. Le djihadiste aime le vide, comme c’est le cas en Syrie. La Belgique, comme Etat et la Belgique comme cœur de l’Union européenne, offre un vide similaire à celui de l’Europe.«
Passant en revue la complexité institutionnelle belge, la précarité à Molenbeek, le passé molenbeekois de précédents djihadistes (Nemmouche, Khazami…), Roger Cohen parle de quartiers musulmans qui ont fait « sécession« . « Le fait que les djihadistes partis en Syrie forment une minorité et que beaucoup de musulmans qui ont émigré en Europe soient intégrés constituent une maigre consolation. Après les carnages de Paris et Bruxelles, l’approche « laissez-faire » qui a permis à des prédicateurs d’agir, à des écoles privées musulmanes de se multiplier en France, aux prisons d’être des incubateurs du djihadisme, à des jeunes de se rendre en Syrie, à des communes comme Molenbeek et Schaerbeek de fermer les yeux et d’être laxistes doit maintenant cesser. C’est une bataille idéologique qu’il faut mener.«
Reprenant sur la réponse à donner pour combler le « vide« , Roger Cohen prône une Europe « réformée, revigorée, plus forte » et pas « celle de la division qui a produit Molenbeek. » Et de conclure sur le Bruxelles qu’il a connu: « Mes deux grands enfants sont nés à Schaerbeek. Ma fille, qui est maintenant docteur au Nouveau Mexique, a fait ses premiers pas dans l’aéroport de Zaventem. Ce n’est pas l’Europe que j’avais imaginé pour eux.«
« Le titre le plus choquant »
De son côté, Françoise Schepmans (MR), la bourgmestre, qui a lu l’article, exprime son malaise. « Ce titre est inacceptable. Il se veut accrocheur mais il est choquant« , réagit la bourgmestre auprès de la RTBF.be. « C’est certainement le titre le plus basique que j’ai lu depuis les événements que nous connaissons. Quant au contenu, on voit que derrière une attaque de Molenbeek et de la Belgique, il y a une attaque de l’Europe. Pour le reste, la description de notre réalité est sombre. C’est du bashing pour du bashing. Surprenant de la part d’un journal réputé sérieux.«
Pour la bourgmestre, il faut toutefois « aller de l’avant. Je ne vais pas m’arrêter là. Nous allons nous employer à éliminer la violence du djihadisme et assécher le terreau du djihadisme.«
Le rôle des USA rappelle Jamal Ikazban (PS)
Pour Jamal Ikazban, chef de groupe PS au conseil communal de Molenbeek, le titre est « accrocheur » et « ne veut rien dire, ou plutôt se nourrit d’amalgames et de stigmatisations. Ce qui est étonnant pour un journal aussi sérieux. Pour le reste, on trouve de tout: des constats intéressants, beaucoup de raccourcis, mais surtout une analyse incomplète et qui se contente d’approximations. Si on veut parler plus sérieusement de ce qui nous arrive, ici au cœur de l’Europe, un journal américain ne peut pas faire l’économie de la responsabilité des Etats-Unis dans le chaos, en Irak et en Syrie. Rappelons que la création de l’épouvantail de Daesh est due à ce chaos!«
Jamal Ikazban, qui rappelle la fragilité des jeunes et la misère sociale exploitées par Daesh, appelle donc tout un chacun à « rester sérieux et crédibles » à l’heure des analyses, « car la fin de Daesh passe par la stérilisation du terreau de misère et de frustrations que les recruteurs de Daesh exploitent partout dans le monde, et pas uniquement en Europe en Belgique ou à Molenbeek!«