Burundi : Buyenzi, ses garages et ses fesses

Si vous n’avez pas encore passé une journée à slalomer entre les fameux garages à ciel ouvert de Buyenzi, vous ne pouvez pas dire que vous connaissez Bujumbura. Il vous faut encore goûter à cette vie rythmée par la vente des pièces de rechange, la démarche dandinant et les déhanchements des gros derrières de la gente féminine que l’on ne rencontre nulle part ailleurs qu’au « quartier-garage ». Buyenzi, c’est tout un monde. Récit.

Autrefois quartier urbain du centre-ville de Bujumbura, il est devenu une zone avec le nouveau découpage territorial de la mairie en 2014. C’est l’un des quartiers populaires de Buja, avec le Swahili, cette langue vernaculaire qui tend à devenir une langue maternelle. Tout le monde se salue par « Salam aleikum ». La religion musulmane y est prédominante. Presque chaque rue a sa mosquée. 

La vie ici, c’est au rythme de la vente des pièces de rechange. Ce quartier avec plus de 20 avenues compte des dizaines de garages sur chacune d’elles et au moins deux à chaque coin de rue (appelée communément « izero »). Les boutiques qui vendent ces pièces de rechange se comptent par centaines. Je ne doute pas qu’il y a plus de mécaniciens que de domestiques.

Ce jour là, j’étais à la recherche d’une pièce de rechange pour ma voiture. Je me retrouve à blaguer avec un ami mécanicien. « Si je suis désigné Maire de la ville de Bujumbura, je vais immédiatement transformer ce quartier en un vaste garage et trouver où relocaliser les habitants. Ce grand marché offrirait encore plus d’emplois et de taxes à la capitale économique ». Malheureusement, je ne suis pas natif de Buja, se désole mon ami pour clore son propos. Les locataires de Buyenzi peuvent dormir tranquillement. 

La fesse, comme la caisse, ça se répare

Tôt le matin, de jeunes hommes investissent les ruelles du quartier. Tous s’asseyent aux bords des avenues, attendant patiemment un boss qui viendrait solliciter leur savoir-faire. Le malheur des conducteurs fait leur bonheur. Rotules cassées, pneus crevés, phare défectueux ou la peinture qui se fait plus terne sous l’effet du soleil de plomb de Buja la chaude… tout se répare ici. La légende veut que si vous manquez d’une quelconque pièce de rechange à Buyenzi, soit vous n’avez pas suffisamment cherché, soit la seule option qui vous reste est de passer une commande au Japon ou à Dubaï. On raconte qu’on peut même y dénicher des roues d’avion alors qu’ils ne réparent pas les avions. 

Le métier de garagiste nourrit beaucoup de familles et de jeunes mécaniciens qui remplissent Buyenzi. Réparer les voitures et … les femmes? Il faut avoir une fesse solide, la paire bien tenace. Il y a cette croyance que pas mal de gens d’ici attribuent à la religion musulmane qui dit que: « La femme doit rester à la maison pour préparer la nourriture et réserver un accueil pimenté (au propre comme au figuré) à son époux, le soir ».

Voilà l’origine d’une autre légende qui explique que les femmes de ce quartier ont de grosses fesses parce qu’elles passent beaucoup de temps assises dans « Agasongabugari », le petit tabouret à la forme creuse et incurvée ou « Akadobo », un petit seau. 

Les maigrichonnes n’ont pas la cote 

« Eh! Kandi ivyo bintu bihakwa kuba vyo nani! » (Ceci est presque vrai ! Ndlr), affirme pensif B., mon ami mécanicien. Il m’explique que bien des femmes restent effectivement à la maison à faire la cuisine et éduquer les enfants parce que leurs maris le veulent ainsi. Celles qui ne restent pas à la maison travaillent dans la multitude de restaurants longeant les bords des ruelles du quartier. La restauration est l’autre métier où Buyenzi excelle. Allez commander un bon plat de Pilao, vous m’en direz des nouvelles.  

Mais il paraît que les choses commencent à changer. Mon mécano voit venir la fin d’une époque: « Les choses changent avec le temps. La multiplication des écoles va changer cette tradition ». Sa prophétie est réaliste car aux heures de midi, de longues files de jeunes filles et garçons qui rentrent de l’école s’observent.

Monsieur B. me laisse un nota bene bien clair : « Tout peut prendre fin à Buyenzi, sauf le déhanchement des deux masses molles du derrière des femmes du quartier-garage ». Motif ? « Il y a des mamans qui s’investissent dans cette discipline, au profit des filles encore célibataires ou des jeunes mariées, soi-disant pour les préparer à un bon mariage. » 

Mais bon, ce sujet pourrait faire objet d’un autre billet à lui seul, on en convient. Mais toujours est-il que les hommes de Buyenzi apprécient beaucoup (le mot est peut-être faible) les femmes bien portantes. Des maigrichonnes à l’image des fameuses « Miss quelque chose » ? Trop peu pour les mécanos robustes et costauds du quartier-garage.   

La fée et l’hilarité de la gente masculine

Il est midi, le soleil brille depuis le matin. Tout le monde est fatigué. La faim tape fort. Il ne reste qu’à aller chez Amina, le restaurant d’à côté qui offre une bonne pâte de manioc et isombe cuit à l’ikinono (l’os fémoral de la vache). Tout ça est succulent. Avec mes 1500 Fbu, j’ai de quoi me remplir la panse. 

Et bonjour à ce que les médecins appellent la thermogénèse post-prendiale (en français facile, c’est la petite somnolence qui s’invite quand on vient d’avaler un repas). Une petite somme me ramollit le cou, et je commence à « gutura ingiga » (somnoler). Subitement, un vacarme de brouhaha et sifflement me tire de ma torpeur. J’écarquille les yeux pour voir ce qui se passe dans les parages. Tous les jeunes mécaniciens ont les yeux rivés sur un seul et même objet : les fesses rebondies d’une jeune et belle fille. De teint clair, mademoiselle a le postérieur qui se trémousse sous son Djilbab (Habit large et ample qui cache les formes de la femme). Les yeux de certains mécanos semblent vouloir sortir de leurs orbites, tellement ils sont envoutés par la vision féerique de la jolie demoiselle. Voilà qui vient changer l’ambiance insupportable animée par le bruit des marteaux tapant sur le métal mélangé à celui des meuleuses. Le passage de la fée (nullement gênée par les commentaires salaces de l’assistance) provoque l’hilarité de tout homme présent sur les lieux. 

Après le passage de la « sirène » les blagues fusent de partout. D’un côté, « vous tous qui avez bougé de vos postes de travail, vous êtes des pervers incapables de vous retenir devant une petite tentation d’une fesse qui bouge trop ! ». De l’autre, « ce soir, quand cette fesse va se poser dans les sièges de certaines caisses ici à Buja, ça fera un vrai désordre dans les ménages de  la capitale. »

En tout cas, un pasteur s’est foulé le doigt dans l’œil, lui qui vient d’affirmer  haut et fort que les fesses n’ont qu’une et une seule tâche. A Buyenzi les fesses ont une autre dimension que les néophytes ignorent totalement. 

Les journées de Buyenzi sont rarement mornes. Des histoires drôles à chaque « zéro », on ne s’ennuie jamais, tellement les gens sont blagueurs et bienveillants. Faites y un tour, vous ne serez jamais déçus.