Diaspora africaine : mourir à l’étranger

Les Africains du Royaume-Uni doivent payer des fortunes pour rapatrier au pays leurs proches décédés, un système que certains ressortissants jugent dépassé.

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« Le rêve de mon père était de reposer dans son lieu de naissance, avec l’appel à la prière résonnant au-dessus de sa tombe », raconte Nadia Elbhiri, dont le père est décédé l’année dernière à Londres.

Nadia Elbhiri, née et élevée dans l’ouest de Londres, a exaucé le rêve de son père l’année dernière en rapatriant le corps de celui-ci au Maroc. Il repose en paix à Larache, un petit village de pêcheur au nord du pays. « Londres a toujours été sa maison mais le Maroc a toujours été dans son cœur », témoigne-t-elle.

Pour la plupart des migrants africains de première génération vivant au Royaume-Uni, le désir d’être enterré dans le lieu de naissance est très fort. Parmi la communauté marocaine britannique et d’après les services de l’Ambassade, la demande est si élevée que plus de 95 % des migrants de première génération sont enterrés au Maroc.

Un système a été mis en place pour couvrir les frais de rapatriement.

« Trois banques marocaines proposent gratuitement un rapatriement et un billet d’avion pour assurer le transport d’un défunt vers le Maroc », explique Souad Talsi, du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger. Si le défunt n’est pas inscrit dans les registres d’une banque marocaine, un parent peut se rendre à l’Ambassade marocaine, qui prendra en charge les frais de rapatriement s’élevant jusqu’à 7 000 livres sterling (6 270 FCFA).

Mais pour beaucoup de communautés africaines vivant au Royaume-Uni, il n’existe que très peu d’assistance officielle, et la plupart des familles luttent pour arriver à couvrir les frais.

« Pression familiale »

Pour Ebenezer Commodore, rapatrier cette année le corps de son oncle vers le Ghana a été très compliqué. Ce dernier a vécu plus de 30 ans à Londres, mais la mère de son oncle lui a demandé au téléphone d’envoyer le corps.

« Ramène le corps de mon fils à la maison », lui a-t-elle dit.

« Je n’avais aucun moyen de contester la volonté du chef de famille », déclare Ebenezer Commodore, « c’est juste impossible ».

Il a dû ainsi trouver des moyens de financement. Il a réussi à réunir 7 500 livres et le corps de son oncle a été envoyé au pays pour y être enterré.

Dans des cas comme celui-là, beaucoup de membres de la diaspora doivent garder le corps de leur proche à la morgue pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’ils aient réuni les fonds.

« Cette attente est vraiment stressante pour ceux dont la culture exige d’ensevelir les corps rapidement », dit Fortune Huruva, qui coordonne les enterrements de la communauté zimbabwéenne de Manchester, au nord de l’Angleterre.

Trouver les fonds

M. Huruva a participé à la création l’année dernière d’une société qui prend en charge les enterrements. Un grand nombre de Zimbabwéens vivant au Royaume-Uni tentent désespérément d’envoyer les corps de leurs défunts au pays.

« Lorsqu’elles perdent un proche, nous avons des cas de personnes isolées qui désespèrent de trouver les fonds nécessaires, explique-t-il. La plupart d’entre elles ne parviennent à tourner la page qu’une fois leurs proches enterrés au Zimbabwe ».

La famille élargie au Zimbabwe est également affectée, puisque c’est elle qui prend en charge l’entretien des tombes.

Mais le stress émotionnel, les coûts et les pressions familiales sont si élevés lors des rapatriements qu’une partie de la diaspora s’interroge sur leur utilité. « C’est beaucoup d’argent gaspillé », déclare Junior Chankira.

Cette femme d’une quarantaine d’années, qui a vécu 16 ans à Manchester avec son mari Martin, a rapatrié le corps de celui-ci au Zimbabwe en 2014. « Si Martin avait été enterré ici, j’aurais pu me rendre sur sa tombe toutes les semaines, ce qui m’est désormais impossible. Je reviens dans mon appartement vide, mais pour quoi ? Par tradition ? »

Si elle avait eu des enfants, explique-t-elle, elle aurait pu s’opposer au vœu de sa belle-famille, mais elle a cédé face à la pression émotionnelle. « Nos familles restées au pays doivent comprendre que nos vies sont au Royaume-Uni. Je sais que lorsque je mourrai, je serai aux côtés de Martin, quel que soit l’endroit où je serai enterrée ».

Comment rapatrier un corps depuis le Royaume-Uni

• Lors du décès, les pompes funèbres se mettent en rapport avec le médecin légiste afin d’obtenir des certificats de non-infection et d’inhumation

• Un proche fournit le passeport du défunt ou une photocopie

• Le médecin légiste établit la cause de la mort avant d’autoriser la sortie du corps

• Les pompes funèbres récupèrent le corps à la morgue de l’hôpital, le pèsent et le préparent

• La famille fournit des vêtements pour le défunt ou bien celui-ci est vêtu de blanc

• Une fois obtenus les documents du pays de destination, le vol est réservé

• Les pompes funèbres emmènent le corps à l’aéroport dans un cercueil fermé hermétiquement

• Le cercueil passe par une entrée privée

• On scanne le cercueil qui passe les contrôles de sécurité

• La compagnie aérienne récupère le cercueil dans une zone réservée de l’aéroport

• Le cercueil embarque à bord de l’avion, avant les bagages des passagers

• A destination, le cercueil est chargé dans une ambulance

• Les familles peuvent vérifier si le corps est le bon à travers une fenêtre du cercueil

BBC