« Le Sénégal n’est la chasse gardée de personne, si ce n’est celle du peuple sénégalais qui, seul, est habilité à veiller à ses intérêts. Nous sommes ouverts à tous les autres pays dans la mesure où ils peuvent trouver des opportunités de partenariat au Sénégal, mais dans le respect réciproque et le partenariat mutuellement bénéfique. » Verbatim du président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye, lors du récent Forum de Doha. En d’autres termes, le Sénégal ouvre sa porte à tout le monde mais il en garde les clés. Banco ! Difficile d’avoir une objection à cette déclaration du chef de l’Etat qui indique clairement l’orientation souveraine de la politique étrangère du régime issu de l’élection présidentielle de mars 2024.
Le séjour qatarien du dirigeant sénégalais a cela d’intéressant qu’il s’inscrit dans l’option prise par ses prédécesseurs, particulièrement les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall. Les deux dirigeants libéraux ont eu tendance à diversifier les relations de partenariat entre notre pays et le reste du monde. Et toute proportion gardée, nous pouvons dire la même chose à propos des deux premiers chefs d’Etat. Les socialistes Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf avaient également misé, peu ou prou, sur la diversification de notre politique internationale.
L’option du non-alignement adoptée par Senghor après la célèbre Conférence de Bandung en Indonésie en 1955, option poursuivie par son successeur Diouf, est bien la preuve que le Sénégal a toujours rechigné à faire dans l’exclusivité dans le Concert des Nations. Une posture diplomatique faite d’ouverture quand bien même nos relations avec la France, les États-Unis, le Maroc ou l’Arabie Saoudite, revêtiraient une particularité sans verser dans l’exclusion des autres. C’est la raison pour laquelle le Sénégal n’a jamais hésité à commercer avec des pays comme la Chine, la Russie, l’Inde ou même Israël tout en présidant, depuis 1975, le comité des Nations unies pour l’exercice des Droits inaliénables du Peuple palestinien.
Il faut le reconnaître. C’est surtout au cours du dernier quart de siècle, coïncidant avec les magistères des présidents Wade et Sall, que la diplomatie sénégalaise a pris un virage économique plus prononcé. Cette diplomatie économique s’est accompagnée d’une diversification accrue des partenariats aussi bien avec les Etats qu’avec les multinationales. Par le biais de l’Agence nationale pour la Promotion de l’Investissement et des Grands Travaux, APIX, le Sénégal a pu obtenir d’importants financements auprès d’Etats, d’institutions financières et autres fonds souverains. C’est grâce à cette orientation que de grandes infrastructures routières, aéroportuaires et portuaires ont pu être réalisées. Trivialement, l’Etat sénégalais s’est évertué à faire plus dans la « diplomatie-business » que dans la diplomatie classique. Du doing business pur et dur ! Un business d’Etat qui n’est pas sans conséquences au plan de la bonne gouvernance. Le respect des procédures de passation des marchés publics est souvent sacrifié sur l’autel du pragmatisme, et ce d’autant plus que certains des partenaires comme la Chine et les pays du Golfe, pour ne citer que ceux-là, sont très peu enclins à s’engluer dans les lourdeurs procédurales.
Toutefois la politique des grands travaux, inspirée de la théorie keynésienne, a ses aspérités. Au Sénégal, le plus célèbre de ces dérapages financiers est relaté dans un livre intitulé « Contes et mécomptes de l’Anoci » du journaliste Abdou Latif Coulibaly. C’était sous la présidence de Me Abdoulaye Wade qui avait confié à son fils Karim, l’organisation du sommet de l’OCI avec toutes les infrastructures routières, hôtelières et autres commodités requises pour un tel événement.
Le Président Bassirou Diomaye Faye et l’ancien ministre d’Etat, alors surnommé « ministre du ciel et de la terre », se sont entretenus à Doha il y a quelques jours. Que se sont-ils dits ? Ont-ils définitivement soldé les comptes ? Les 138 milliards d’amende due par Karim Wade à l’Etat du Sénégal sont-ils oubliés au nom d’un réalisme économique qui animerait les nouveaux dirigeants sénégalais ? Il se susurre que Karim Wade, qui a quitté Dakar en 2016 à bord d’un jet privé du procureur général du Qatar, est aujourd’hui l’homme par qui il faut passer pour accéder aux importants financements qatariens. Agent d’influence quand tu nous tiens ! Dans un contexte de rareté d’argent à Ndoumbélane, cela fait réfléchir. Comprenne qui pourra.
Autre aspérité et non des moindres dans les choix économico-diplomatiques ou diplomatico-économiques durant les 20 dernières années, c’est l’endettement colossal du Sénégal. La santé financière du pays en pâtit gravement. En outre, la pertinence des dépenses, somme toute somptuaires, pour construire certaines infrastructures notamment routières, laisse à désirer. A titre illustratif, quelle est la pertinence d’investir 14 milliards de fcfa dans un autopont quand un hôpital manque de soluté pour faire des opérations ? Plus grave, l’autopont qui a englouti à lui seul autant d’argent ne règle pas les problèmes de circulation qu’il est pourtant censé solutionner.
Au passif d’une certaine orientation diplomatique, il faut aussi relever le déséquilibre manifeste, à notre détriment, dans nos relations commerciales avec certains pays alors que le partenariat était présumé être du « gagnant-gagnant ». Finalement un « gagnant-perdant » dans lequel le secteur privé sénégalais est traité en parent pauvre. Nos supposés champions économiques en sont souvent réduits à un rôle subalterne de champions de la sous-traitance. La rupture tant souhaitée dans ce domaine ne pourrait être que salutaire. Elle doit se faire à travers un Etat stratège, à l’instar de pays émergents comme le Maroc ou la Turquie. Vivement l’avènement d’un Etat-Vrp ! Le tandem à la tête du Sénégal y est très attendu, ce qui n’est pas encore le cas au regard du profil des délégations et des premières retombées ou non-retombées économiques des périples présidentiels.
Il y a une volonté souverainiste indéniable dans le propos cité plus haut du chef de l’Etat quant à la politique étrangère qu’il compte décliner avec son binôme, le Premier ministre Ousmane Sonko. Il appert néanmoins que cette rupture sans complexe a une forte connotation de continuité. Quand on parle de la diplomatie sénégalaise, ce qui relève en apparence du Nouveau plonge en réalité ses racines… dans l’Ancien. Une rupture dans une relative continuité en la matière, c’est déjà pas mal. Tout est dans « l’enracinement et l’ouverture », diptyque cher au poète Senghor, le père de la diplomatie sénégalaise de l’après-indépendance.
Autres temps, autres mœurs. La politique étrangère d’un Etat, plus spécifiquement sa diplomatie est fille de son temps. De surcroît lorsqu’elle se veut souveraine et/ou souverainiste. Question de contexte, la vieille relation avec l’Europe anciennement colonisatrice en général et avec la France en particulier, ne peut plus prospérer. Les ressentiments sont toujours là et ils sont têtus. Ne l’oublions pas, même si le pardon peut être accordé en contrepartie des excuses présentées : la rencontre entre les colonisateurs et les colonisés ne relèvent pas d’un commun vouloir. Elle s’est faite dans le mépris, la violence et la violation des sanctuaires.
La nouvelle génération de dirigeants africains à laquelle fait partie le président sénégalais, aspire à une coopération dépouillée des vieux réflexes et complexes, d’infériorité tout comme de supériorité, et des oripeaux démodés. Cette génération de décideurs du continent est quand même née bien après les indépendances ! Rien d’étonnant qu’elle demande à sa façon à la France, jacobine et pesante, de s’en aller au plus vite avec armes et bagages. Tel est le fatal sort des bases militaires comme au Tchad ou des Eléments français au Sénégal bien que drastiquement réduits depuis quelques années. Tant mieux pour la France, si elle comprend cette naturelle incompatibilité d’humeur. Tant pis pour elle en revanche, si elle reste encore prisonnière de son passé colonial. Dès lors, le risque serait grand qu’elle soit totalement dépassée et déphasée.
A charge pour les adeptes de la diversification à 360° des partenaires au développement, de ne pas se méprendre sur les enjeux géopolitiques et géostratégiques dans le monde. Le dénouement de la crise en Syrie avec la fuite en Russie du maître déchu de Damas, Bachar Al-Assad ; la fin annoncée pour bientôt de la guerre russo-ukrainienne et la situation au Proche et Moyen-Orient ; le tout dans un contexte de come-back de l’iconoclaste Donald Trump aux Etats-Unis, sont autant de paramètres à intégrer et à démêler avant toute prise de décision diplomatique majeure. L’enjeu sécuritaire peut ainsi constituer une limite objective au souverainisme. La diplomatie militaire, si vous nous passez le concept, doit être explorée pour éviter tout jugement approximatif et hâtif. Mieux ou pire, toute erreur stratégique pourrait être fatale. Dans cette optique, le militaire tient le politique.
Pour reparler plus précisément du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, il imprime sa marque et prend des initiatives sur une scène internationale de plus en plus glissante. S’entretenir au téléphone (distanciel) avec Vladimir Poutine, c’est bien. Se rendre prochainement à Moscou (présentiel), c’est très bien. Mais tenir compte du contexte géopolitique mondial, c’est encore mieux. Pour rappel, son prédécesseur Macky Sall s’était aussi rendu à la fois en Russie et en Ukraine pour « libérer le blé et l’urée ».
La qualité de la ressource humaine dont regorge la diplomatie sénégalaise et l’expérience théorique et pratique des hommes et des femmes qui la servent ou qui l’ont servie, constituent un atout. C’est un capital qui ne demande qu’à être fructifié. Les relations internationales ont leurs codes, leurs réalités et leurs complexités qui ne doivent pas échapper à la vigilance du leadership politique. Avec l’âge les diplomates se bonifient. Ils acquièrent plus d’expérience, d’expertise et de sagesse. Le redéploiement de certains d’entre eux en pleine possession de leurs facultés peut s’avérer judicieux d’autant qu’ils jouissent d’un immense prestige dans les grandes organisations multilatérales. Le Sénégal a donc tout intérêt à mettre en avant l’esprit de co-construction qui, à coup sûr, sera un avantage comparatif pour sa diplomatie qui jouit déjà d’une bonne réputation.
En cette époque de « souverainisme » clamé, proclamé et déclamé, il ne paraît ni opportun ni pertinent de devoir choisir entre la France et la Russie. Certes, la tentation est facile de substituer ou préférer, c’est selon, le « bleu, blanc, rouge » au « blanc, bleu, rouge ». Mais, si c’est pour déshabiller Pierre pour habiller Paul, Macron pour Poutine, le jeu diplomatique n’en vaut sûrement pas la chandelle !
On se gardera jusqu’à preuve du contraire, de prêter au duo Diomaye-Sonko une telle « Vision » du Sénégal à l’horizon 2050 en matière de politique internationale. Leur option volontaire et volontariste est à encourager. Sauf si elle n’est pas synonyme d’échappée solitaire. En diplomatie, le jeu en solo peut être suicidaire. L’Intégration africaine, choix résolu du pouvoir en place et la Diaspora, toujours pas assez valorisée, peuvent constituer des soupapes de sécurité. La bonne diplomatie commence toujours par les voisins et le bon voisinage.
*Journaliste et Leader de Demain C’est Maintenant
Post-scriptum : je soutiens fortement la décision du gouvernement sénégalais de promouvoir la candidature de notre compatriote Amadou Hott à la présidence de la Banque africaine de développement. Le mal que je souhaite à l’ancien ministre de l’Economie est qu’il occupe à la BAD le fauteuil qu’avait occupé un autre Sénégalais, nommé Babacar Ndiaye (paix à son âme).
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