Émigration irrégulière: Des ex-candidates narrent l’enfer

L’émigration clandestine, ce n’est pas seulement les hommes. Des femmes ont aussi vécu ou tenté l’expérience. Même si certaines ont réussi à rejoindre leur pays de destination et y sont restées, d’autres ont échoué dans cette dangereuse aventure. Elles déterrent, ici, leurs douloureux souvenirs. 

Fatoumata Tounkara, Ndèye Fatou Diédhiou et Fatou Gueth Ndiaye. Trois femmes, une même histoire. Elles ont en commun d’avoir tenté l’émigration irrégulière. Fatou Guéth Ndiaye a osé en 2006, quand le phénomène a connu une certaine ampleur au Sénégal. Fatouma Tounkara est partie en 2012 et Ndèye Fatou Diédhiou en 2019. Habitante de Yarakh, un quartier près de la mer, Fatou Gueth Ndiaye, jeune lycéenne, avait un rêve : rejoindre l’Europe, l’eldorado de milliers d’âmes désemparés. Pendant cette période, confie-t-elle en marge d’une rencontre avec l’Organisation internationale des migrations (Oim) à Kolda, beaucoup de jeunes, surtout des filles de Yarakh, avaient pris les pirogues pour rejoindre l’Europe. Ses frères, ses sœurs et ses amis partis par voie maritime, elle ne nourrissait aucune crainte à emprunter le même chemin. Ses amies, arrivées à destination de manière irrégulière, ne cessaient de l’appeler pour dissiper ses dernières appréhensions. Pour mieux la convaincre, elles lui ont fait croire que les femmes ne durent pas longtemps dans les camps de migrants. Il suffit d’avoir un tuteur chez qui loger dans le pays d’accueil pour obtenir son laissez-passer. C’était beau et tentant !

Bravant les périls, Fatou Gueth Ndiaye est partie à la rencontre d’un des capitaines de pirogue qui fréquentait régulièrement son quartier. Ce dernier, qui avait noué des relations amicales très fortes avec ses frères, lui promet alors de l’amener dans son prochain voyage par pirogue. Il lui a même fait la faveur de partir sans bourse délier. L’audacieuse jeune fille reçoit un jour l’appel du capitaine pour embarquer. La pirogue était déjà quelque part sur la plage de Yarakh et n’attendait que les candidats au voyage. Sans même informer ses parents, elle rejoint discrètement le lieu du rendez-vous. La barque pleine à craquer, c’est le début d’une aventure périlleuse. Entre Saint-Louis et la Mauritanie, raconte la téméraire lycéenne, le capitaine a constaté qu’il n’avait plus le carburant nécessaire pour continuer le voyage. « Dans la pirogue, dit-elle, beaucoup étaient contre toute idée de retourner sur Saint-Louis. Ils voulaient partir malgré les risques. Toutefois, le piroguier a refusé de céder. Il a rebroussé chemin ». Le voyage raté, la candidate est revenue à Yarakh. Et il n’est plus question de défier les océans.

Prise de panique, elle s’évanouit 

Contrairement à Fatou Guéth Ndiaye, Ndèye Fatou Diédhiou avait annoncé à ses parents un voyage au Maroc en 2019. Rabat était juste une zone de transit pour rejoindre l’Espagne. Pour mieux rassurer ses parents, elle a pris un avion jusqu’au royaume chérifien. Pendant de longs mois, la jeune fille y est restée, espérant partir pour l’Espagne. À Tanger (Maroc), elle a pu trouver des candidats au voyage. Ils se sont donné rendez-vous sur une plage. Malheureusement, dit-elle, au moment où ils s’apprêtaient à embarquer, la police marocaine a débarqué sur les lieux. Beaucoup de candidats à la migration ont été arrêtés sur place par les forces de sécurité. Prise de panique, Ndèye Fatou Diédhiou s’est évanouie. Dans ces circonstances, elle a été évacuée vers un hôpital à Tanger. «C’est à l’hôpital que je me suis réveillée. Un policier me surveillait mais, puisque j’ai trop duré à l’hôpital pour prendre des soins, il est parti», explique-t-elle. Si elle a tenu à aller en Europe, ce n’était point par nécessité. Même si elle n’avait pas encore un emploi au Sénégal, sa famille subvenait à ses besoins. Mais la jeune fille croyait au mirage de l’Europe qu’elle voulait tant découvrir.

C’est tout le contraire de Fatoumata Tounkara, soutien de famille, qui ne pouvait plus continuer à regarder sa maman vivre dans la misère suite au décès de son père. En 2012, elle n’éprouvait qu’une envie : partir pour venir en aide à une famille dans la détresse. Aînée de la fratrie, elle a voulu rejoindre la Côte d’Ivoire en passant par le Mali. Des connaissances lui avaient fait croire qu’elle pouvait y dégoter un bon travail pour soutenir sa famille restée à Goudiry. À Bamako, zone de transit, la migrante est restée pendant des jours sans trouver du travail. Elle passait la nuit dans un restaurant de la capitale. Finalement, une Malienne l’a mise en rapport avec une femme qui cherchait une ménagère. Pendant six mois, elle travaillait comme domestique pour faire quelques économies afin de pouvoir continuer le voyage, ne gagnant que 15.000 FCfa par mois. Une partie de ce montant était envoyée à sa maman. Son projet de rallier la Côte d’Ivoire presque tombé à l’eau, Fatoumata rebrousse chemin.

Evénements en cascade 

À son retour à Goudiry, elle s’est lancée dans le petit commerce pour appuyer sa mère. En 2014, son jeune frère prend le chemin de la Libye. «Et depuis, nous n’avons pas de nouvelles de lui. Nous ne savons pas s’il est toujours vivant ou non», confie-t-elle avec tristesse. Depuis lors, la famille Tounkara vit dans ce chagrin. «Si nous avons tenté l’émigration, c’est parce que nous n’avons aucun soutien», renchérit-elle. Le seul soutien de Fatoumata Tounkara était son mari qui avait rejoint, de façon irrégulière, la France en 2014. Comble de l’infortune, ce dernier rend l’âme en France au début de l’année 2020. «Après son décès, je suis restée presqu’une année chez ma belle-famille. Je n’avais plus de soutien. La situation était tellement difficile que j’ai fini par rejoindre ma famille avec mes trois enfants», se souvient la veuve.

Depuis leur retour au Sénégal, Fatou Guéth Ndiaye, Ndèye Fatou Diédhiou et Foutamata Tounkara sont des volontaires à l’Organisation internationale pour les migrations. Dans le cadre du projet de l’Oim intitulé «Migrants comme messagers», ces volontaires sensibilisent les communautés sur les risques de la migration irrégulière. À cause de ce fléau, Fatou Gueth Ndiaye n’a pas terminé ses études alors qu’en 2006, elle était déjà en Terminale S2. Toutefois, elle a poursuivi une formation pour devenir infographe. Du 7 au 11 juin 2021, des volontaires venus de Bignona, de Tambacounda, de Goudiry et de Sédhiou étaient réunis par l’Oim à Kolda pour raconter leur propre histoire sur la migration. Une manière d’inciter les jeunes à ne pas braver les périls.

Aliou Ngamby NDIAYE, lesoleil.sn