Entre janvier et mai 2024, plus de 4 800 personnes ont perdu la vie dans l’océan Atlantique, d’après l’association espagnole Caminando Fronteras qui s’appuie sur des témoignages de proches de disparus. La plupart de ces personnes ont pris la mer depuis les côtes mauritaniennes.
« Il s’appelle Abdou Aziz Fall, il est Sénégalais et a disparu en Mauritanie le 23 janvier 2024. Depuis, sa famille le recherche ». Une photo du jeune homme, rasé de près et en chemise blanche, accompagne le petit texte. Cet appel à témoin fait partie des centaines d’autres publiés sur le site de l’ONG Caminando Fronteras, qui compile les personnes disparues sur les routes migratoires menant à l’Espagne.
Celle des Canaries est, pour l’association, la plus meurtrière. D’après ses données publiées le 12 juin, sur 5 054 personnes décédées entre janvier et mai 2024 sur les voies qui mènent à l’Espagne, 4 808 sont mortes dans l’océan Atlantique. Soit une toutes les 45 minutes.
Sur l’ensemble de l’année 2023, Caminando Fronteras avait compté plus de 6 800 décès sur la même route.
Des chiffres « conséquents aux accords bilatéraux de l’Espagne avec d’autres pays frontaliers qui se concentrent sur l’évitement des départs, et non sur des protocoles pour garantir le droit à la vie des personnes en mer », déplore la fondatrice de l’association, Helena Maleno, qui regrette également « un grand manque de moyens de recherche et de sauvetage lors des alertes sur les bateaux disparus ». « Nous ne pouvons pas laisser des gens mourir en mer au nom du contrôle de l’immigration », fustige-t-elle.
L’organisation internationale pour les migrations (OIM), elle, compte 249 morts sur la même voie, en 2024. Un écart avec les chiffres de Caminando Fronteras qui s’explique par des méthodologies distinctes. Caminando Fronteras s’appuie sur les appels de détresse des migrants en mer ou de leurs familles pour élaborer ses rapports. L’OIM quant à elle répertorie « tous les naufrages dont on est certains à 100%, nous sommes très strictes à ce sujet », avait expliqué en janvier à InfoMigrants Flavio di Giacomo, porte-parole du bureau de coordination méditerranéen de l’OIM. Des articles de presse, et des témoignages indirects font partie des sources exploitées.
« Il est plus facile d’avoir des certitudes sur la route de la Méditerranée que sur celle de l’Atlantique, plus longue, et dont les bateaux sont plus difficiles à repérer, avait-il admis. Ce chemin en plein océan est très dangereux, c’est donc probable qu’il y ait beaucoup de naufrages dont personne n’entend parler », avait ajouté le responsable de l’OIM.
Plus de 17 000 arrivées en cinq mois
La route des Canaries est active depuis 2005. Un an plus plus tard est survenue la « crise des cayucos » : près de 32 000 personnes avaient débarqué dans l’archipel, du jamais vu. Mais le déploiement sécuritaire qui s’opère dans l’océan Atlantique à partir de 2007 tarit petit à petit cette route, au profit de celle de la Méditerranée centrale.
Puis à partir de 2018, les conditions de vie des Subsahariens en Libye, la militarisation des routes qui mènent au nord de l’Afrique, ou encore la surveillance accrue des garde-côtes marocains en Méditerranée poussent, de nouveau, les migrants sur la route des Canaries. Et depuis la fin de la pandémie de Covid-19, les arrivées sur les îles espagnoles sont quasi quotidiennes.
En cinq mois cette année, plus de 17 000 migrants ont débarqué aux Canaries, contre 4 700 l’année dernière à la même période, d’après le ministère de l’Intérieur espagnol. Samedi 7 et dimanche 8 juin, en 48h, 800 personnes ont été secourues au large de l’archipel.