Nous sommes entretenus avec le brillant ingénieur, Abdoulaye Mady NDIAYE, diplômé de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile de Toulouse, option Techniques Aéronautiques. Actuellement établi en France, il revient sur son parcours et ses expériences dans le secteur et ne manque pas de faire une analyse profonde de la position du Sénégal voire de l’Afrique dans l’émergence technologique.
Présentez-vous à nos lecteurs,
Je suis Abdoulaye Mady NDIAYE, un pur produit de l’ancien système éducatif d’état du Sénégal avant qu’il ne s’effondre, petit à petit, avec les doubles flux et maintenant les abris provisoires. Je me considère comme un des héritiers de Cheikh Anta Diop le Scientifique et de Pharaon le Technologique que le premier nous a révélé dans sa véritable nature.
J’ai fait l’école Daniel Brottier de Thiès, où je suis né. Mon père et ma mère sont des enseignants maintenant à la retraite et j’ai fait mes premiers pas à l’Ecole des Garçons de Thiès où nous habitions. Après mes études primaires, j’ai réussi le concours d’entrée en 6ème et je suis rentré au lycée d’élite Van Vollenhoven (devenu Lamine Gueye en 1985) de Dakar comme interne. J’y ai passé mes études secondaires en observant régulièrement l’avion Concorde se poser à Dakar-Yoff pour son escale de Paris-Rio. Je suis sorti de « Van Vo » comme un des majors des terminales scientifiques avec tous les honneurs et même les éloges du Ministre de l’Education Nationale de l’époque, Iba der Thiam et une bourse d’état pour aller étudier à l’étranger, encore une fois avec un encadrement d’état exceptionnel. Je n’ai jamais manqué de rien et je n’ai jamais été livré à moi-même durant mes études. Mais cette année-là déjà, le Bac avait été retardé de plusieurs semaines du fait des grèves à répétition ce qui avait introduit de nombreuses complications sur mes préinscriptions en France. Ne parlons pas de l’année totalement blanche qui a suivie en 1988.
A investissement exceptionnel, résultat exceptionnel. Yaar moye Indi Ndiarigne.
J’ai brillamment réussi mes classes préparatoires et à 23 ans j’étais déjà Ingénieur diplômé de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile de Toulouse, option Techniques Aéronautiques avec en sus une licence de Pilote d’avion en poche. Avant même la fin de mon stage de fin d’études j’ai signé un contrat d’embauche à la fois chez un grand industriel de la défense et un grand avionneur tous les deux français et qui m’ont prié de prendre le temps de choisir à tête reposée qui retenir.
En réalité, c’est plus mon comportement « Yaar » que mes compétences qui m’a ouvert les portes du complexe militaro-industriel occidental, où j’ai passé plus de 30 ans, dans des projets et programmes plus incroyables les uns que les autres. Ceci m’a permis, in fine, d’être à la tête de l’Organisation Européenne de l’Equipement pour l’Aviation Civile et Conseiller de la Commission Européenne sur l’élaboration du Ciel Unique Européen et ceci après avoir dirigé de nombreux grands programmes d’aviation au niveau mondial. Le Concorde n’avait plus qu’à bien se tenir avec sa technologie largement dépassée.
Avec vos compétences avérées, qu’est-ce que vous pourriez apporter à notre cher pays, le Sénégal ?
Je suis aujourd’hui en mesure d’affirmer pouvoir bâtir une industrie aéronautique en Afrique, ce que certainement peu de personnes de ma génération peuvent prétendre ! Yaar moye indi ndarigne. Et voilà comment le monde avance.
Une fonction tutélaire, Une responsabilité d’état
Si je peux me permettre de dire cela aujourd’hui, c’est parce que l’état a toujours pris sa responsabilité envers moi et j’en suis fondamentalement redevable. « Kou teral gor ame diame ».
Son excellence Nana AKUFO-ADO le Président du Ghana lors de la conférence du Partenariat Mondial pour l’Education à Dakar a dit ceci « We cannot depend on others people to finance the education of our continent »
Ce qui signifie en Wolof « Menou gnou yakar aye diambourou bitime reeuw dougal senieye lokho thi yarinou sounouye ndiabote », en l’occurrence « Nous ne pouvons pas dépendre des puissances étrangères pour financer l’éducation de notre continent ».
Yaar Moye Indi Ndarigne. Seul l’état est véritablement capable de prendre en charge l’éducation de ses enfants dans un contexte de Pays « en voie d’émergence » – terme que je n’aime pas mais qui peut être préférable à d’autres – car on parle d’un investissement de plus de 20 ans avant de commencer à voir les retombées dans le système actuel. Et la tentation est trop grande pour les parents d’abandonner cet investissement devant l’urgence d’autres charges de fonctionnement, si cette fonction venait à être privatisée.
Il est primordial de démultiplier les voies d’accès comme on dit « Gore Bakhna, Djigenne Bakhna » et de créer des synergies et des passerelles entre elles plutôt que de les opposer. C’est ce que nous appelons la Politique du « et » (ack), applicable à tous les domaines de notre vision de reconquête des souverainetés. Garçon et Fille, Jeune et Adulte, Français et Arabe et Wolof, initiale et continue, universitaire et professionnelle.
L’Elève, le Ndongo et le Soldat devront être en mesure d’accéder aux plus hautes fonctions de l’état car les institutions qui les forment doivent faire tout ou partie intégrante du grand système d’éducation nationale.
L’Afrique, est-elle au diapason de la technologie ?
Il est primordial d’amorcer un virage radical vers les sciences, les technologies et l’ingénierie. Car l’enjeu Africain est avant tout technologique. Chère Jeunesse, vous voulez le portable dernier cri et bien nous allons le concevoir ensemble ! Aucun développement n’est possible sans maîtrise technologique. Connaissez-vous un pays développé qui ne maîtrise pas la technologie ? Le système actuel s’est bien gardé de trop parler sciences et techniques alors que le monde amorce les 3ème et 4ème révolutions industrielles encore plus technologiques que jamais et qu’un enjeu environnemental bien en dessous de 2 degrés, s’impose à nous tous maintenant et compliquant d’avantage les options qui s’offrent à nous.
Nous ne voulons plus que des chanteurs ou des people comme exemples pour notre jeunesse mais AUSSI d’astronautes, de pilotes, d’informaticiens et d’industriels de génie. A l’heure où je vous parle un industriel a déjà envoyé sa nouvelle marque de voiture vers la planète Mars et ceci grâce à une fusée de sa propre entreprise, et chose presque incroyable, la fusée est revenue se poser sur terre !
Quel le mal du continent africain ?
C’est plus de 50 milliards de dollars qui se sont échappés chaque année, au cours des 10 dernières années, du continent du fait de la corruption, et si nous arrivons à endiguer cette corruption qui gangrène nos sociétés en inculquant les bonnes valeurs à notre jeunesse nous n’aurons aucunement besoin des 3,1 Milliards que le PME cherche à collecter pour l’Afrique, comme le dit le Président AKUFO-ADO.
Le champ des possibles s’ouvre à l’heure où le retard accusé par le continent africain est peut être sa plus belle opportunité de croissance et de développement durables avec le leapfrog et les Africains seront des acteurs et pas des consommateurs-spectateurs.
L’Afrique de Pharaon qui était noir comme vous Peuple du Sénégal a été la première grande puissance technologique du monde et ses réalisations sont encore inégalées et sa science largement utilisée par les Occidentaux et les Arabes.
Je suis pour une Politique Industrielle nous permettant d’exploiter et de transformer nous-même tout ou partie de nos ressources agricoles, halieutiques et minières pour répondre à nos véritables besoins. Et c’est cette politique industrielle qui est la première cliente du grand système d’éducation nationale et qui fixe son orientation et une bonne partie de ses priorités et objectifs.
L’innovation de rupture qu’elle soit technologique, sociale ou de business modele devra être l’aspirateur d’excellence au sommet du grand système d’éducation nationale, à travers des grands programmes de recherches et développements d’Avenir et qui tire l’ensemble du système vers le haut.
De la force à la Puissance Retrouvée
Je vois l’Education comme l’axe central de l’investissement pour les générations futures et je parle ici d’un investissement d’état. Je suis pour une éducation de qualité et gratuite un point c’est tout, quel que soit le poids de cet investissement. C’est à nous de réinventer ce modèle et des solutions existent. Le Ghana le prouve déjà en atteignant la gratuité de la maternelle à l’université partant d’un modèle anglo-saxon en plus, en l’espace de cinq ans.
Quelles sont les ressources sur lesquelles le continent peut compter ?
Le continent est doté de multiples et gigantesques ressources presque intarissables : ensoleillement, eau potable, terres arables, silicium, pétrole, gaz, zircon, uranium, or, bauxite, platinium, fer, diamant etc… Mais la plus grande de ses ressources et de très loin est la jeunesse de sa population. En 2100, s’il plaît à Dieu, un terrien sur trois sera Africain et sera connecté, ce qui est une grande force avec laquelle la terre devra compter. Si cette masse de population n’est pas éduquée c’est la stabilité même de la planète que sera menacée, mais si cette population a accès à une éducation de qualité dans les valeurs fondamentales qui ont jadis fait notre fierté, ce n’est plus d’une simple force dont il s’agira mais d’une puissance retrouvée et les pyramides d’Egypte Kheops, Khephren et Mykérinos seront encore là pour le témoigner.
Alé Ndaw, wabitimrew.net