ADN, la reine des preuves (4/6). Accusés d’un viol et d’un meurtre qu’ils n’avaient pas commis, deux demi-frères ont passé plusieurs décennies dans les prisons de Caroline du Nord.
Ce jour de septembre 2014, Henry McCollum peine à trouver ses mots. Cet homme de 50 ans flotte un peu dans son costume marron et ne sait trop comment « décrire cette sensation » devant la caméra de télévision. « Je me sens bien et je remercie Dieu pour ça », dit-il. A ses côtés, son demi-frère, Leon Brown, droit comme un « i », est quasi mutique. Plus massif, le regard perdu derrière d’épaisses lunettes, une casquette sur la tête, il dit juste : « C’est une bénédiction d’être libre. »
Cette « bénédiction », ces deux Afro-Américains l’ont attendue trente ans. Et, malgré la foi qui imprègne ce coin de Caroline du Nord, elle n’est pas venue du ciel, mais d’une trace de salive sur un mégot de cigarette. « Trente ans pour quelque chose que l’on n’a pas fait », précise encore M. McCollum, comme incrédule face à son propre sort. Quelques jours auparavant, ils ont été libérés de leurs prisons respectives, où l’aîné, Henry, patientait dans le couloir de la mort depuis des décennies, tandis que le plus jeune, 46 ans, arrêté alors qu’il était encore mineur, purgeait ailleurs une peine de prison à vie.
Une affaire révélatrice du naufrage d’un système judiciaire expéditif et racialement biaisé
Disculpés grâce à une analyse ADN tardive mais irréfutable, ils sont aussitôt déclarés libres par le tribunal. Pour d’obscures raisons administratives, ils ne quitteront leur cellule que le lendemain. Impatients de goûter à de la « bonne nourriture », de « bien dormir », les deux hommes, atteints à des degrés divers de retard mental, ne savent pas encore qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines. Pour le comprendre, il faut revenir aux prémices de cette affaire, révélatrice du naufrage d’un système judiciaire expéditif et racialement biaisé.
Lemonde.fr – Par Stéphanie Le Bars