FRANCIS NGANNOU, UN MIGRANT CAMEROUNAIS DEVENU STAR DE BOXE

 

Arrivé en France de manière illégale en 2013, Francis Ngannou affronte aujourd’hui les plus grands combattants de MMA, une discipline mêlant les techniques du judo, karaté, jiu-jitsu et boxe thaï. Le Camerounais de 32 ans vit désormais de son sport à Las Vegas. InfoMigrants retrace le parcours de ce champion au destin hors du commun qui, il n’y a encore pas si longtemps, dormait dans un parking parisien. Pour la première fois, il a accepté de raconter les détails de son exil et de son succès.

« MON PÈRE, ‘CE MEC’ QUI N’A JAMAIS RIEN FAIT POUR NOUS »

« J’ai toujours su qu’un jour, je serai un grand boxeur ». À voir sa stature, on n’en douterait pas. Francis Ngannou, 1,95 m pour 118 kilos. Son nom ne vous dit peut-être rien mais ce Camerounais de 32 ans est devenu en seulement quelques années un boxeur reconnu dans sa discipline : le MMA (Arts martiaux mixtes), un sport de combat qui mélange plusieurs techniques : jiu-jitsu, karaté, judo ou encore boxe thaï.

Classé 4e mondial, le « Prédator », comme il se surnomme, prépare actuellement à Paris son prochain combat qui aura lieu le 24 novembre en Chine. L’évènement sera cathodique. Encore peu connu en France, le MMA, ou free fight (combat libre) est un sport extrêmement populaire aux États-Unis et les combats retransmis à la télévision rassemblent généralement plusieurs millions de téléspectateurs.

Rien d’étonnant donc au luxueux train de vie de Francis Ngannou. Propriétaire d’une maison à Las Vegas, montre en or au poignet, mocassins rose pâle assortis à son pull, doudoune d’une grande marque canadienne… Le jeune homme « bling bling » a radicalement changé de vie.

Une ascension fulgurante pour celui qui, un dimanche d’été 2013, a débarqué à Paris sans papiers et sans argent. Comme des milliers d’autres migrants, le colosse a connu la galère de la rue, après avoir débarqué de son Cameroun natal. « Tout est allé très vite », répète-t-il plusieurs fois, attablé dans un restaurant du 12ème arrondissement de la capitale, où il a aujourd’hui ses habitudes. « À partir du moment où j’ai commencé à combattre, ma carrière a décollé ».

L’histoire de Francis est une success story. Né au Cameroun en 1986, le boxeur connaît une enfance difficile. Deuxième d’une famille de cinq enfants, il est baladé de maison en maison après le divorce de ses parents alors qu’il n’a que six ans. « Je changeais tout le temps d’école. Il m’arrivait même d’être transféré dans un autre établissement en cours d’année scolaire car j’étais hébergé chez un autre oncle », raconte-t-il. À l’âge de 10 ans, Francis commence un premier « petit boulot », pas des plus faciles : il travaille dans une carrière de sable dans son village natal, Batié, dans les hauts plateaux camerounais, pour payer sa scolarité. Un travail épuisant pour un enfant.

Quelques années plus tard, Francis s’installe à Douala, et, à l’âge de 22 ans commence la boxe dans un petit club de la ville. « Je ne sais pas trop pourquoi. Ce sport n’est même pas connu au Cameroun ». Très vite, il n’hésite pas à mettre en vente tous ses biens pour assouvir sa passion. Le jeune homme cède sa moto pour s’acheter ses premiers équipements sportifs. « Tout le monde me disait que j’étais fou. C’était du délire pour ma famille », explique-t-il d’une voix douce qui contraste avec sa carrure.

La boxe deviendra aussi pour lui un exutoire, une manière de canaliser son énergie. « Mon père était un homme violent. Il nous frappait souvent, ma mère, mes frères et sœur, et moi. Quand je me m’amusais avec mes copains, on disait de moi : ‘Il est violent comme son père’. J’ai très vite compris une chose : je ne voulais pas devenir comme lui […] Mon père, ‘ce mec’ qui n’a jamais rien fait pour nous, m’a finalement servi de modèle. J’ai su à travers lui ce que je ne voulais pas être. C’est fou comment certaines choses se passent dans la vie », s’étonne-t-il.

À 25 ans, Francis apprend qu’il est atteint d’hépatite B. Sans argent pour se payer des médicaments, il retourne dans son village pour se soigner. Il met la boxe entre parenthèses, et commence à élever des cochons. « Puis, j’ai compris que je devais partir si je voulais continuer la boxe et devenir un champion ». Sans prévenir sa famille, le Camerounais prend la route de l’exil un jour de 2012 avec pour seul bagage un petit sac à dos.

« LES BARBELÉS DE MELILLA, JE NE POURRAI JAMAIS LES OUBLIER »

La barrière qui clôt l’enclave espagnole de Melilla au Maroc. Crédit : Wikicommons

« Si mon petit frère de 18 ans voulait aller en Europe, je lui dirais de ne pas le faire. Je connais trop bien les risques encourus », avertit-il. Interrogé à de nombreuses reprises par les médias, Francis n’a jamais voulu évoquer dans la presse son expérience sur la route de l’exil. Trop douloureux, trop tôt.

Le champion aimerait oublier, effacer de sa mémoire ces longs mois passés sur la route. Il a traversé le Niger et l’Algérie avant d’arriver au Maroc. Un calvaire. « Les barbelés de Melilla, je ne pourrai jamais les oublier », raconte-t-il, en évoquant le passage dans l’enclave espagnole. Les cicatrices sur son corps le renvoient constamment à ses douloureux souvenirs, explique-t-il en montrant les balafres sur sa main. « J’en ai partout : sur les côtes, les jambes, les pieds… ». Francis se décide aujourd’hui à parler pour que « les autres sachent », même s’il sait que « quand quelqu’un est déterminé, il partira quoi qu’on lui dise ».

Le Camerounais vit au Maroc ce que des milliers de migrants subsahariens subissent encore aujourd’hui. Entre deux bouchées de tarte aux abricots, il évoque brièvement les courses-poursuites avec la police, les vols de ses affaires au mont Gourougou, cette forêt proche de Melilla où les migrants attendent de passer en Espagne, les renvois forcés vers Oujda, au nord-est du Maroc.

Puis le boxeur s’attarde sur sa première tentative de traversée vers l’Espagne à bord d’un bateau gonflable. « Comme on n’avait pas de pagaie, l’homme qui dirigeait le navire nous a dit de pagayer avec nos mains », se souvient-il. « Je me suis dit : ‘Il y a un truc qui ne va pas dans sa tête. Certains meurent dans la mer alors qu’ils avaient des rames et le mec, il veut que je pagaie avec les mains’ ». Mais Francis ne perd pas espoir. « J’y ai cru. J’ai même pensé ‘on va entrer dans l’histoire, on sera les premiers à arriver en Espagne en ayant pagayé avec les mains’ ». Mais les garde-côtes mettent un coup d’arrêt à son rêve. Francis atteindra l’Espagne au bout de la 7e tentative.

« C’EST ÇA LA FRANCE ? C’EST POUR ÇA QU’ON RISQUE NOS VIES ? »

Des migrants dormant Porte de la Chapelle, à Paris. Crédit : Mehdi Chebil

Arrivé à Tarifa, dans le sud de l’Espagne, Francis passe deux mois en prison pour entrée illégale. Libéré faute d’accord de rapatriement entre l’Espagne et le Cameroun, le boxeur rejoint la France en bus un peu par hasard. « J’espérais aller en Allemagne ou en Angleterre car la boxe est mieux implantée qu’en France, mais j’ai atterri ici ».

À son arrivée dans la capitale en juin 2013, Francis débarque dans un foyer pour migrant. C’est la désillusion. « C’était sale et insalubre à l’intérieur. Je me suis dit : ‘C’est ça la France ? C’est pour ça qu’on risque nos vies ?’ C’était un choc pour moi, je ne m’attendais pas à voir ça dans un pays comme la France ».

Crédit : Capture d’écran Facebook

Le « Prédator » n’y reste pas et préfère passer ses nuits dans un parking de l’avenue Daumesnil, dans le 12e arrondissement de Paris. Il refuse de se mélanger aux autres migrants, évite les campements et les distributions de nourriture des associations. « J’y suis allé qu’une seule fois mais je sentais trop de négativité et je ne voulais pas être découragé. Je savais que ça ne m’aiderait pas à avancer et que ça freinerait mon élan. Je n’étais pas là pour vivre une vie de misère mais pour conquérir », dit le sportif avec une pointe de prétention.

Francis n’a en effet qu’une idée en tête : trouver une salle de boxe. Le lendemain de son arrivée à Paris, il frappe à la porte d’une salle de sport du quartier. Le jeune homme rencontre le pilier du club, Didier Carmont, qui devient rapidement son ami. Ce dernier détecte son potentiel et lui conseille de s’orienter vers le MMA. Francis ne connait pas ce sport et ne jure que par la boxe anglaise, mais son ami insiste. « Didier m’a dit que c’était un milieu trop fermé et que j’avais plus de chance en MMA ».

Paradoxalement, c’est grâce à une association d’aide aux migrants que Francis fait ses premiers pas dans cette discipline. Un soir d’été 2013, la Chorba, qui distribue des repas aux sans-papiers, le repère lors d’une maraude. « Je m’ennuyais toute la journée, je leur ai demandé s’ils cherchaient de l’aide. Je suis devenu bénévole chez eux, et au cours d’une discussion, je me suis rendu compte que leurs locaux étaient collés à une salle de MMA ! ».

« QUAND TU PERDS, ON TE CRACHE À LA FIGURE »

La salle s’appelle « MMA Factory« , la Mecque du free fight en France. Fernand Lopez, directeur sportif du club, se rappelle de sa première rencontre avec Francis. « Il voulait s’entraîner mais n’avait pas les moyens de payer un abonnement. Il était déjà sûr de lui et de ses performances. J’ai pensé que c’était encore un beau parleur comme les autres. Puis je l’ai regardé combattre et j’ai été impressionné ». Fernand lui laisse sa chance, l’entraîne gratuitement, lui offre des affaires de sport. Il l’inscrit aussi aux cours d’anglais, organise des combats. Mais comment l’emmener à l’étranger ? Comment faire voyager une personne sans-papiers ? Sans solution administrative, ses premiers tournois se cantonnent à la France. Sa réputation est telle que certains de ses adversaires préfèrent déclarer forfait plutôt que de l’affronter, raconte encore Fernand Lopez.

Son succès quasi instantané facilite sa régularisation. En 2015, soit deux ans après ses débuts en MMA, il signe à l’UFC (Ultimate Fighting championship), la plus importante ligue mondiale de MMA. Le boxeur obtient un visa de travail aux États-Unis. Dans la foulée, il arrive à obtenir un titre de séjour temporaire en France.

Francis Ngannou s’écroule au sol après son entrainement. Crédit : InfoMigrants

Francis touche aussi ses premiers cachets. « La première fois, j’ai gagné 2 000 euros pour deux combats » – qu’il remporte par KO et « soumission« . Puis très vite, son salaire atteint des sommets. Aujourd’hui, Francis touche environ 100 000 euros par combat, voire plus. En janvier 2018, le boxeur a gagné 440 000 euros pour une défaite face à l’ancien champion du monde en titre, Stipe Miocic.

Le succès lui monte rapidement à la tête, déplorent ses entraîneurs, qui mettent en avant un problème d’ego, d’arrogance. « Les choses sont allées trop vite. Francis est rapidement passé de l’anonymat à la notoriété », regrette Fernand Lopez, qui est encore son entraîneur. « Il a eu trop confiance en lui et ça lui a joué des tours. Il n’écoute pas toujours mes conseils et je pense qu’il n’était pas prêt mentalement ».

Francis, lui, assure qu’il n’a pas pris la grosse tête. « Moi, je suis toujours le même depuis le Cameroun. C’est grâce à mon orgueil que je suis là où j’en suis maintenant », dit-il. Étrangement, Francis, qui paraît en toute circonstance si sûr de lui, avoue être surpris par les commentaires négatifs à son égard. « On me critique parce que j’ai perdu mes deux derniers matchs. Quand tu perds, on te crache à la figure, c’est comme ça », souffle-t-il. « Malheureusement c’est le revers de la médaille, et je ne l’avais pas anticipé ».

Le champion estime ne pas avoir oublié ses racines. La preuve, « j’ai ouvert une salle de sport à Batié pour que les jeunes puissent s’entraîner gratuitement », explique-t-il. « J’en avais rêvé quand j’étais petit ». Le colosse retourne régulièrement au Cameroun où il est accueilli en véritable star. Une aubaine pour son ego. « Les gens viennent voir ma mère pour prendre des photos avec elle », conclut-il. « Elle est devenue la reine du village ».