Après avoir passé cinq ans en Libye dans l’espoir de traverser la Méditerranée, Ibrahim a décidé en fin d’année dernière de revenir en Guinée avec l’aide de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Mais dix mois après son retour au pays, le jeune homme de 22 ans n’a toujours pas reçu l’aide financière de l’agence de l’ONU promise pour financer son projet. Désemparé, le Guinéen a repris la route de l’exil. Désormais en Tunisie, il espère prendre rapidement la mer pour rejoindre les côtes européennes. Témoignage.
Quand Ibrahim* quitte la Guinée pour la première fois, en 2017, il a alors 14 ans. Il passe plus de cinq ans en Libye, où il essaye une dizaine de fois de traverser la Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes. À chaque fois, le Guinéen est intercepté en mer par les garde-côtes libyens et jeté dans une prison du pays, où il subit des violences.
En fin d’année 2022, lassé de cette vie, Ibrahim décide de rentrer chez lui grâce au programme d’aide au retour volontaire de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Plein d’espoir, il souhaite reconstruire sa vie en Guinée pour s’y établir durablement.
Mais le jeune homme, aujourd’hui âgé de 22 ans, déchante rapidement.
« Je n’ai jamais reçu l’argent de l’OIM pour financer mon projet. Je voulais ouvrir un commerce d’électroménager à Boké. J’ai déposé mon projet il y a trois mois mais depuis je n’ai eu aucune nouvelle.
Quand j’appelais l’agence, soit on ne répondait pas, soit on me disait qu’il fallait patienter. Mais je suis rentré en fin d‘année dernière, combien de temps faut-il attendre pour reprendre le cours de sa vie ? J’avais l’impression que l’OIM ne me donnerait jamais cet argent. Ça m’a complètement démotivé.
Contactée par InfoMigrants, l’OIM en Guinée reconnait des retards dans les financements des projets de réintégration des migrants rentrés volontairement. Mais l’agence assure que les personnes seront aidées financièrement pour leur réintégration. « Je comprends la frustration des gens, je connais les difficultés en Guinée mais il faut être patient, la procédure peut prendre du temps mais elle aura bien lieu », explique un chargé de communication de l’OIM en Guinée.
« Je veux arrêter d’errer de pays en pays et avoir une vie stable »
Alors un jour, j’ai réfléchi et je me suis dit qu’il fallait que je reprenne la route, car ici je ne pourrais rien construire.
J’ai essayé de rester au pays. J’avais beaucoup d’espoir, je voulais tenter de faire quelque chose en Guinée. Mais cela faisait trop longtemps que j’étais parti, la réintégration était difficile. Quand j’ai quitté mon pays en 2017, j’avais 14 ans. Je n’avais pas fini mes études et je n’avais pas de travail. Aujourd’hui, je ne vois pas comment refaire ma vie au pays, sans l’aide de l’OIM. Il n’y a aucune perspective là-bas.
J’ai donc décidé de travailler pour une société qui transporte des acajous afin de financer mon voyage. Mais c’était très difficile. Pendant six mois, j’ai transporté des sacs très lourds, d’environ 80 kg, pour fournir les magasins en noix de cajou. Tout cela pour une paye dérisoire. Je gagnais entre 5 et 20 euros par jour, cela dépendait du nombre de sacs que je transportais.
Quand j’ai eu économisé assez d’argent, en septembre, j’ai pris un billet d’avion pour la Tunisie [les Guinéens n’ont pas besoin de visa pour se rendre en Tunisie, ndlr]. Je suis en ce moment à Sfax [ville du centre-est de la Tunisie, connue pour être un lieu de départs des embarcations de migrants, ndlr]. J’espère prendre la mer d’ici un mois.
Les migrants tentent de rejoindre l’île italienne de Lampedusa depuis les côtes libyennes et tunisiennes. Crédit : InfoMigrants
Ici, en Tunisie, c’est difficile pour les Noirs. La cohabitation entre les migrants et les Tunisiens est très dure. Dans les cafés, les Tunisiens se montrent hostiles envers nous, ils nous provoquent et nous insultent : ils nous disent de rentrer chez nous, qu’on n’a rien à faire ici.
Depuis les propos racistes du président Kaïs Saïed en début d’anné, accusant les exilés subsahariens de violences et de chercher à changer l’identité de la Tunisie, les migrants noirs sont victimes de violences de la part de la population. Cet été, des milliers de Noirs ont été raflés par la police dans les rues de Sfax et envoyés dans le désert, à la frontière entre la Libye ou l’Algérie. Une vingtaine de personnes y sont mortes de faim et de soif. Ce genre d’expulsions a repris ces dernières semaines en direction de l’Algérie.
Ce n’est pas évident de retourner sur la route de l’exil. Mais je n’ai pas le choix, je ne peux pas abandonner car mon retour n’a pas marché. C’est une vraie torture mentale mais je dois continuer à me battre.
Je veux simplement vivre paisiblement, arrêter d’errer de pays en pays, avoir une vie stable. Je sais que c’est compliqué aussi en Europe, mais il y a de l’espoir en France, pas comme en Afrique. »