Immigration clandestine : le témoignage d’un rescapé qui a perdu ses amis en pleine mer

Rufisque continue de compter ses morts de l’émigration irrégulière. Après les quartiers Thiawlène, Colobane, Gouye Mouride, c’est au tour de Santhiaba Ndiobène (Rufisque Nord) de porter le deuil après l’annonce de la mort du jeune Mar Diop, alors qu’il tentait de regagner les îles Espagnoles. Maçon de métier et éleveur de moutons de race Ladoum, ce jeune père de deux enfants et marié depuis des années est déclaré mort après une courte maladie dans l’embarcation de fortune qu’il partageait avec ses amis de même quartier.

Les péripéties d’un voyage mouvementé

Joint par téléphone, un des jeunes qui étaient avec lui lors du drame et qui est bien arrivé en Espagne, explique : « On a quitté Mbour il y a de cela deux semaines. On est un groupe d’amis et on a organisé nous même notre voyage. On avait l’habitude de prendre le thé chaque soir après une dure journée de labeur. C’était un samedi, je m’en souviens. On a reçu l’information que des amis à nous avaient quitté avant la Tabaski le Sénégal et ils ont réussi à regagner l’Espagne.
J’ai réussi à avoir le numéro de l’un d’eux par l’intermédiaire de sa famille. On a beaucoup échangé sur Whatsapp. Par la suite, il m’a donné le numéro d’un gars qui comptait partir avec des amis. Ils habitent Mbour. C’est par là que tout a commencé. Moi et neufs autres, avons réussi à organiser notre voyage. On a cotisé 500 000 FCFA par personne. Ainsi un soir, après le dîner, on a quitté Rufisque car le départ était fixé à Mbour », a révélé le jeune Kh. Ndiaye. Un voyage qui va durer sept jours. « On a passé sept jours en mer. Et c’était infernal. Le soleil tapait fort sur nos corps qui étaient recouverts de sel. On avait faim car chacun devait se nourrir avec les aliments qu’il avait à sa disposition. Mon eau était presque fini. Mar Diop était dans le groupe car on a tout fait pour nous asseoir en groupe pour faciliter le voyage car on était plus d’une centaine dans la pirogue pour le voyage.”

La mort de son ami racontée dans les moindres détails

“C’est au quatrième jour que notre ami est tombé malade. Il avait le mal de mer, en plus il était un peu fébrile. On a tout fait pour l’aider, mais il y avait trois autres qui sont aussi tombés malade. On a fait de notre mieux, mais il n’y avait pas de médicament à notre disposition. Il est resté dans cet état durant des jours et le dimanche 23 juillet, il a rendu l’âme. Notre groupe ne voulait pas que l’équipage jette son corps dans la mer. Mais c’est la règle. Et les trois autres ont fini par rendre l’âme aussi. On n’avait pas le choix. C’est le lendemain lundi, que notre embarcation a atteint les côtes espagnoles. Vous voyez ce coup du destin. Il lui restait qu’une journée pour atteindre son rêve. Mais Dieu en a décidé autrement. Nous sommes arrivés depuis lundi, mais avec les formalités de la Croix Rouge, on est resté des jours avant de pouvoir appeler nos parents. C’est par la suite que la famille de Mar Diop a été mise au courant.”

Un épisode traumatisant

“Moi je suis resté des jours sans pouvoir fermer les yeux car je ne savais pas que j’allais vivre un jour cette situation. Mon ami est mort sans que je puisse l’aider et son corps a été jeté à la mer. Comment sa famille va vivre cette nouvelle ? Cela pouvait être moi ou un autre du groupe. Et je vous assure il y en a qui sont choqués par sa mort. Il y a deux d’entre nous qui sont traumatisés par ce qui s’est passé car nous mêmes avons failli perdre la vie au moment où il fallait atteindre les côtes espagnoles. Les vagues étaient très hautes. Le capitaine de l’embarcation a pris peur et il a fui pour se cacher au fond de la pirogue. C’est son jeune frère qui a tout fait pour amarrer et nous permettre de descendre en vie. Les personnes qui ont des difficultés sanitaires, ont été prises en charge et sont hospitalisées actuellement. Il y a leurs proches qui sont en Espagne et qui sont disposés à venir les chercher. Mais ils ne sont pas en mesure de partir avec eux. Je peux juste vous dire que ce voyage est traumatisant et le prix à payer est trop lourd car moi j’aurai jusqu’à ma mort le poids de sa mort sur la conscience », a-t-il ajouté…