La rencontre Afrique/France, pour quels intérêts ? Par Ibrahima Wade, Bruxelles

Je vais partir du postulat du général De Gaule qui disait que « les états n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », pour démontrer que Macron ne nous veut pas que du bien en organisant le sommet sur le financement des économies africaines à Paris.

La France (même s’il y a d’autres grands pays présents en Afrique) a clairement un grand intérêt de ne pas laisser l’Afrique s’enfoncer dans la pauvreté, et ceci plutôt pour une raison économique qu’une raison d’humanisme ou de lutte contre la pauvreté.

En effet, la plupart des grandes multinationales françaises qui produisent ou transforment les matières premières et l’énergie sont en Afrique. Total fait partie des majors mondiaux du pétrole alors que la France n’a aucune goutte d’hydrocarbure dans son sous-sol. Il faut absolument une certaine stabilité en Afrique afin que les multinationales françaises aient une sécurité suffisante pour pouvoir travailler. S’il y a une instabilité politique due à la famine par exemple, les entreprises françaises ne pourront plus travailler. Aider l’Afrique permettrait ainsi à ces entreprises de pouvoir extraire les matières premières tranquillement et en toute sécurité.

Sur un autre plan, la balance commerciale de la France est excédentaire envers l’Afrique ; c’est-à-dire la France exporte beaucoup en Afrique, donc si les africains n’ont plus les moyens d’acheter les produits de la France, les entreprises françaises feront moins d’exportation et donc moins de bénéfices.

Le but est de maintenir l’Afrique dans une position intermédiaire, permettant à l’économie africaine de fonctionner plus ou moins bien afin que les affaires puissent continuer de prospérer pour la France.

Il faut injecter de temps-en-temps quelques liquidités pour que l’économie fonctionne mieux afin d’assurer une stabilité politique et économique qui permet d’extraire les matières premières et d’acheter les produits manufacturés venant de la France.

Le but de ce sommet n’était nullement de permettre le développement économique de l’Afrique, car ni les entreprises françaises qui sont en Afrique, ni les entreprises françaises qui sont en France encore moins la France elle-même, n’ont intérêt à ce que l’Afrique se développe. Si l’Afrique se développe et a les capacités d’exploiter et de mettre en valeur ses propres matières premières, les entreprises françaises seront obligées de quitter et si l’Afrique produit elle-même ce dont elle a besoin, les entreprises françaises n’auront plus ce marché pour exporter leur production industrielle.

Pour Macron, il faut annuler un peu de dette, et donner un peu d’argent pour permettre à l’Afrique d’être un peu mieux tout en étant encore plus dépendante de la France, sans favoriser un virage significatif pour enclencher un développement économique réel en Afrique.

Pour extraire les matières premières en Afrique, les multinationales françaises bénéficient de contrats de partage extrêmement favorables pour elles et les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui prônent le libre-échange entre les pays signataires sont défavorables aux entreprises privées africaines.

Donc les Etats africains perdent énormément de revenus venants de leurs matières premières et les entreprises privées africaines ne seront jamais concurrentielles par rapport aux entreprises françaises qui vont continuer à inonder de leur production le marché africain.

Ainsi, une Afrique sous perfusion financière est une très bonne affaire pour la France et c’est la raison pour laquelle, lorsque Macron convoque les pays africains à Paris, il a fait appel au FMI pour qu’il octroie des droits de tirages spéciaux (DTS) aux pays africains, afin de les permettre de survivre des conséquences socio-économiques de la pandémie Covid19.

Et pour comprendre les DTS, il faut savoir qu’il s’agit de la monnaie du FMI qu’il met à la disposition d’un pays pour stabiliser soit sa balance de paiement, sa monnaie, ou pour acheter des produits de premières nécessités. Les DTS ne sont en aucune façon de l’argent que le FMI donne gratuitement ; le FMI est une banque et est le bras armé du capitalisme dont le but est de libéraliser l’économie mondiale. Les DTS du FMI sont toujours conditionnés à des réformes économiques et le but des réformes exigées sont souvent pour privatiser plus afin de permettre aux multinationales occidentales de mieux s’installer.

Donc le FMI donne des DTS aux pays africains pour acheter du libéralisme et comme l’OMC nous impose le libre-échange, les multinationales occidentales sont les mieux placées pour vendre ce libéralisme. C’est ainsi que ces DTS retombent dans l’escarcelle des pays bailleurs de fonds. Les DTS ne font alors qu’un tour entre le FMI et les pays africains pour revenir dans le cas qui nous concerne, en France. Au passage, les pays africains se sont endettés, ont fait les réformes pour libéraliser leur économie et ont enrichi des multinationales et comme conséquence une plus grande dépendance envers le bailleur (la France dans ce cas-ci) et une destruction du secteur privé local.

Si les dirigeants africains pensent que la solution pour le financement de leur économie se trouve entre les mains de la France et du FMI, ils se trompent doublement.

D’une part, la France n’a plus les moyens financiers de son ambition hégémonique en Afrique et d’autre part les recettes du FMI n’ont jamais permis et ne permettront jamais à notre continent de se développer.

Il faut que l’Afrique apprenne à compter sur elle-même et à mettre en avant ses propres intérêts.

Ibrahima Wade, Bruxelles