Dans la petite chambre de la famille Hasani, des Kosovars originaires de Mitrovica, les valises sont déjà prêtes. C’est comme si elles n’avaient jamais été défaites. « Retour à la case départ, constate, cynique, Besim, le père, 38 ans. On a tout sacrifié, on s’est endettés pour arriver jusqu’ici, et la seule chose que l’Allemagne trouve à nous offrir, c’est un billet d’avion retour ». Neuf mois après avoir quitté son pays pour l’Allemagne, la famille s’apprête à être rapatriée, comme le seront sans doute aussi les quelque 320 autres demandeurs d’asile originaires du Kosovo, d’Albanie ou du Monténégro qui vivent avec eux dans le centre d’Ingolstadt, en Bavière.
Dans cette ancienne caserne militaire convertie en centre d’arrivée et de rapatriement, le rêve d’Allemagne prend fin pour ceux qui ne sont pas venus pour sauver leur vie, mais dans l’espoir d’en trouver une meilleure. « Ce centre vise àregrouper les demandeurs d’asile originaires des pays des Balkans qui n’ont presque aucune chance de rester », explique Maria Els, vice-présidente de la région de Haute-Bavière, en présentant les bâtiments.
D’un côté, les logements des migrants, de l’autre, les bureaux administratifs. Toutes les autorités jouant un rôle dans la procédure sont présentes sur place : la région, l’Office fédéral de l’immigration et des réfugiés (BAMF), une antenne du tribunal administratif de Munich et la police, pour les expulsions. A leur arrivée, les migrants passent directement d’un bureau à l’autre pour la prise d’empreintes digitales, la visite médicale, l’enregistrement de la demande d’asile, l’entretien, puis l’éventuel recours. L’objectif : réaliser toute la procédure en l’espace de quatre à six semaines, contre plusieurs mois d’ordinaire.
Accélérer les retours
Car c’est bien la vocation de ce centre spécialisé ouvert en septembre : accélérerles démarches pour renvoyer plus vite les migrants économiques originaires de « pays sûrs », qui n’obtiendront pas l’asile. Et envoyer un signal fort aux candidats de ces pays, à l’heure où l’Allemagne − qui s’attend à recevoir jusqu’à un million de demandes d’asile cette année − voudrait se consacrer à l’intégration des réfugiés fuyant les zones de conflit. « Nous pouvons accepter et soutenir les gens qui ont besoin d’une protection [les réfugiés] seulement si ceux qui n’en ont pas besoin ne viennent pas ou sont renvoyés rapidement », soulignait récemment le ministre allemand de l’intérieur, Thomas de Maizière.
Pour accélérer les expulsions, Berlin vient de durcir sa législation : l’Albanie, le Kosovo et le Monténégro ont été ajoutés à la liste des pays d’origine « sûre » (laBosnie-Herzégovine, la Serbie et la Macédoine l’étaient déjà) et les allocations en argent liquide perçues le temps que la demande soit examinée seront désormais remplacées, autant que possible, par des prestations en nature. Ces mesures devraient conduire au renvoi de « dizaines de milliers » de ressortissants des Balkans, selon le ministre de l’intérieur. Ces derniers représentent près de 40 % des demandes d’asile enregistrées dans le pays cette année, alors que leur chance de voir leur demande acceptée est inférieure à 1 %, selon les chiffres du BAMF. Les Albanais et les Kosovars, par exemple, s’inscrivent aux 2e et 3e rangs des demandeurs d’asile, juste derrière les Syriens.
● Nombre de demandes d’asile: 22 958,0
● Taux d’admission (%) : 0,1
Le centre d’Ingolstadt va désormais être agrandi pour compter jusqu’à 500 places d’ici décembre et la région en a déjà ouvert un deuxième du genre, à Bamberg. « L’idée est que le maximum de demandeurs d’asile issus des Balkans, qu’ils soient déjà présents dans le pays ou qu’ils arrivent, passent par ces centres », explique Maria Els.
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« Pour eux, on est les mauvais migrants »
La famille Hasani a compris le message. « Ils nous ont dit qu’il fallait faire de la place aux Syriens », soupire Besim. Son épouse Lumturije et leurs deux enfants ont reçu une réponse négative, lui attend toujours. C’est sa deuxième demande d’asile en Allemagne. L’entretien de Lumturije a duré 40 minutes, à peine. Elle a bien senti que son cas était joué d’avance : « Ils m’ont presque coupée en me faisant comprendre que je n’avais pas ma place », raconte-t-elle. Sur le bureau de la fonctionnaire, il y avait une boîte de mouchoirs, mais Lumturije n’a pas voulupleurer. Elle aurait pu s’inventer une histoire, prétendre des persécutions, ou même tenter de se faire passer pour Syrienne, certaines le font bien. Elle a préférédire la vérité.
« Les demandeurs d’asile que nous recevons ici sont pour la plupart très honnêtes : ils disent qu’ils sont là pour trouver du travail, faire des études ou offrir un meilleur avenir à leurs enfants », explique Herbert Binter, directeur du bureau du BAMF au centre. Dans ce cas, l’entretien est en effet plus court, puisque ces motivations ne les qualifient pas pour obtenir le statut de réfugié. Mais « l’accélération de la procédure ne veut pas dire que nous écourtons l’examen de la demande. Comme partout, nous respectons toutes les étapes, dans le respect du droit », assure M. Binter.
Lumturije a fait appel mais « à quoi bon ? ». La réponse est restée la même. « Pour eux, on est les mauvais migrants. Si on est ici, c’est qu’il n’y a plus d’issue », estime-t-elle. Alors, comme beaucoup, elle a signé le formulaire pour un retour volontaire et accepté les billets d’avion. « C’était ça ou attendre que la police vienne nous chercher à 4 heures du matin pour nous expulser. On ne voulait pas que les enfants vivent ça. » Depuis l’ouverture du centre, 90 expulsions ont eu lieu et 220 retours volontaires ont été enregistrés. Pour leur retour, certaines familles peuvent solliciter des aides en plus du billet d’avion – argent liquide de départ par exemple –, au sein de programmes soutenus par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Mais les conditions sont très variables : les Hasani n’y étaient pas éligibles car ils sont arrivés après le 31 décembre 2014. Ils ne demanderont pas non plus d’aide à Pristina à leur arrivée : « le gouvernement kosovar n’a rien à nous offrir », croit savoir Besim.
Les illusions perdues
Au détour des longs couloirs du centre, l’espoir a laissé place à l’abattement. Et à l’amertume. C’en est fini de l’attente fébrile d’une réponse positive. Ici, on n’attend plus que la date de son départ, résigné. Demain soir, Lumturije et les enfants seront rentrés à Mitrovica. Besim les accompagnera à l’aéroport de Munich. Et ne tardera pas à les rejoindre, il ne se fait pas d’illusions. Il veut malgré tout encorecroire qu’il finira par décrocher un permis de travail, un jour.
Car qu’auront-ils à offrir à leurs enfants, de retour chez eux, sans argent ni travail ? Même avec plusieurs années d’études, un diplôme d’infirmier et trois langues parlées couramment, Besim n’a jamais trouvé d’emploi au Kosovo, où près de la moitié de la population est au chômage. Son voisin de pallier albanais, Gzim Ndou, non plus, malgré ses douze ans à l’école et son diplôme de policier. Les deux pères de famille pensaient qu’ils auraient plus de chance en Allemagne ; ils avaient entendu dire que le pays cherchait de la main-d’œuvre qualifiée et donnait l’asile facilement. Alors, les Hasani ont fait comme quelque 130 000 autres Kosovars partis sur les routes entre l’été 2014 et le mois de février.
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A Mitrovica, une ville qui porte encore les stigmates de la guerre, divisée entre quartiers serbes et albanais, la famille retournera vivre chez les parents de Besim ; heureusement les enfants sont excités à l’idée de retrouver leurs grands-parents et leurs copains d’école. Lumturije, elle, s’inquiète beaucoup pour les 600 euros qu’il faudra rembourser à la famille au retour : le prix qu’a coûté levoyage. Les 400 euros mensuels d’allocations reçus en Allemagne ont beaudépasser un salaire kosovar, ils étaient à peine suffisants pour vivre, encore moins pour mettre de côté. Besim s’empresse de préciser : « Ce n’est pas pourtoucher ces allocations qu’on est venus. » Cela le contrarie que certains Allemands voient les Kosovars comme des profiteurs qui demandent plusieurs fois l’asile pour percevoir les prestations sociales ou envoyer de l’argent à leur famille.
Une porte ouverte à la violence
Dans le centre-ville d’Ingolstadt, les sentiments sont mitigés sur ce « centre des Balkans », comme l’appellent certains habitants. Il y a ceux, nombreux, qui se portent bénévoles pour organiser rencontres et activités, témoigne Wolfgang Scheuer, adjoint au maire. Mais aussi les « Not welcome » (pas les bienvenus), venus taguer les bâtiments du centre. « Il faut nous comprendre : les communes d’Allemagne accueillent déjà des milliers de réfugiés. On ne peut pas en plus faire de la place pour ceux qui viennent juste chercher un travail », confie Kristin, une habitante.
A l’heure où les incidents contre les foyers d’accueil se multiplient dans le pays, les associations de défense des migrants craignent que ces centres regroupant les réfugiés selon leur région d’origine n’ouvrent la porte à la violence et à une stigmatisation contraire à la promesse d’un examen individualisé des demandes d’asile. « Avant même de décider de la protection à accorder, les demandeurs d’asile sont divisés entre bons et mauvais réfugiés. Or cette division, basée uniquement sur le pays d’origine, préjuge de la décision qui sera prise sur le besoin avéré ou non d’une protection », dénonce Stephan Dünnwald, du Conseil pour les réfugiés de Bavière. Il déplore que ces centres, parce qu’isolés, privent leurs résidents de l’assistance des associations et de tout processus d’intégration. Et déscolarisent les enfants.
La veille, les Hasani ont fait l’aller-retour à Munich pour aller chercher des vêtements d’hiver dans leur ancien foyer d’accueil. Il a fallu attendre plus de quatre heures : la famille a été appelée en dernier, après les Syriens, les Afghans et les Erythréens. Besim, pourtant, n’en veut à personne. Il sait bien que les Syriens sont prioritaires à l’accueil. « Chez eux, c’est la guerre, ils meurent tous les jours… » Il se souvient d’un temps où les Bosniaques et les Kosovars étaient les Syriens de l’Europe. « Aujourd’hui on ne fuit plus les bombes, mais nous aussi on tente de survivre. Notre guerre est psychologique : on se bat contre la misère, le chômage, la corruption, le crime organisé. » Ainsi Besim a-t-il bien du mal à comprendre comment son pays peut être considéré comme « sûr ». Il aimerait qu’on réfléchisse aux raisons qui poussent son peuple à s’exiler.
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