L’adoption, à 14 voix près, de l’article 2 visant la révision de la Constitution est un camouflet pour l’exécutif.
Après plusieurs heures d’un débat musclé, l’article 2 visant la révision de la Constitution a été adopté mardi soir à une courte majorité de 162 voix contre 148. Ce vote, acquis à 14 voix près, constitue un camouflet pour l’exécutif. Peu auparavant, un amendement du gouvernement, adopté à main levée, a fixé la nouvelle rédaction de la déchéance de nationalité, sans plus faire référence aux binationaux. Il précise qu’une personne peut être «déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit».
Manuel Valls avait sorti mardi matin devant les députés socialistes sa dernière cartouche. Il a prévenu les nombreux élus de gauche hostiles à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution que voter contre, ce serait «mettre en minorité le président». Le premier ministre a rappelé que «face au terrorisme, face à la menace, qui n’a jamais été aussi importante (…), sans doute encore plus importante qu’avant le 13 novembre (…), il faut prendre les décisions qui s’imposent».
À la veille du vote solennel sur l’ensemble de la révision constitutionnelle, prévu mercredi après-midi, le premier ministre, qui a dirigé les débats, entouré des ministres Jean-Jacques Urvoas, Bernard Cazeneuve et Jean-Marie Le Guen, a réaffirmé: «On ne peut pas découper en morceaux le serment du président», pris le 16 novembre, à Versailles. De l’avis d’un député PS qui n’a rien d’un frondeur, «l’ambiance était très tendue, car la déchéance de nationalité crée un dilemme pour chacun».
Les députés Républicains ont pour leur part assisté en interne à une sévère joute verbale entre Nicolas Sarkozy, le patron des LR, qui a une nouvelle fois appelé à voter l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Loi fondamentale, et François Fillon, pour lequel cette révision n’est «ni nécessaire ni utile».
Trente-quatre amendements de suppression de l’article 2 sur la déchéance de nationalité ont été défendus sans succès mardi après-midi par des élus de tous les groupes: en grande majorité des «frondeurs» du PS comme Christian Paul, Pouria Amirshahi, Laurent Baumel, Fanélie Carrey-Conte, Pascal Cherki, Daniel Goldberg ou Jean-Marc Germain, les élus Verts Barbara Pompili, Noël Mamère ou Cécile Duflot, les députés LR Nathalie Kosciusko-Morizet, Bernard Debré ou Jean-Frédéric Poisson, et même le député FN Gilbert Collard. Seuls les communistes, qui rejettent la réforme en bloc, n’avaient déposé aucun amendement.
Tous ces amendements ont été repoussés dans un climat de veillée d’armes, par 176 voix contre et 118 voix pour. À noter que 60 députés socialistes ont voté les amendements de suppression, aux côtés de 30 LR, 14 Verts, 4 radicaux de gauche, 9 PCF et 3 FN. Ce vote montre que les partisans de l’article 2 sont majoritaires puisque 132 PS, 33 LR, 6 centristes, et 4 radicaux ont refusé la suppression de l’article 2.
Lors de la discussion générale, Christian Paul, le chef de file des frondeurs du PS, a souligné que cette révision constitutionnelle constitue «une faute politique majeure» qui «divise la droite, la gauche»et qui a«divisé le gouvernement», contraignant Christiane Taubira à la démission. L’ancien ministre PS Benoît Hamon a critiqué «une mesure historiquement défendue par l’extrême droite», tandis qu’à droite, le centriste Charles de Courson, ému aux larmes, a expliqué que maintenir la déchéance de nationalité pour les binationaux aurait signifié «trahir la mémoire» de «son père, résistant, qualifié de terroriste par l’occupant nazi».
Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) a déploré «une mesure inutile et néfaste» pour l’unité nationale. En séance, Cécile Duflot a demandé à ses collègues de «résister au chantage» opéré selon elle par Manuel Valls en brandissant «le serment de Versailles». Pour l’élue de Paris, la déchéance de nationalité pour les terroristes «ouvre une brèche funeste dans la Constitution française». Le député Vert de Gironde, Noël Mamère, s’est exclamé: «Vous vous enferrez dans cette volonté d’aller à Versailles. Je vais tout faire pour que ce soit à Canossa!» À l’issue de la discussion générale, Manuel Valls a opéré un nouveau tour de vis en annonçant que le gouvernement s’opposerait à tout amendement visant à réécrire la nouvelle version de l’article 2. En clair, l’amendement du député «légitimiste» Olivier Faure (PS), cosigné par 75 élus PS, visant à instaurer une peine de «déchéance nationale», a été rejeté, par 145 voix contre 108. D’autres amendements déposés en faveur d’une peine d’«indignité nationale» devaient connaître le même sort.
Dans la nuit de lundi, l’article premier prévoyant l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution a été adopté dans un Hémicycle très déserté (103 pour, 26 contre, 7 abstentions, dont les élus LR Éric Ciotti et Guillaume Larrivé), à l’issue de débats de «haute tenue», selon André Chassaigne, le patron des députés Front de gauche, qui a voté contre. Philippe Vigier, le président du groupe centriste, a aussi voté contre, au motif que le contrôle parlementaire sur l’état d’urgence n’a pas été inscrit dans la Loi fondamentale. Sans surprise, Benoît Hamon et Barbara Romagnan (PS), Cécile Duflot et Danièle Auroi (Verts) ont aussi voté contre l’article premier. Vigier s’est félicité que l’état d’urgence soit prévu pour une durée de quatre mois, renouvelables, et qu’un amendement de Sébastien Denaja (PS) visant à empêcher la dissolution de l’Assemblée durant l’état d’urgence ait été adopté. Mais cet amendement a été qualifié mardi de «scélérat» par le patron des députés LR, Christian Jacob, qui a obtenu du premier ministre une nouvelle délibération pour faire rejeter l’amendement en nouvelle lecture. FIGARO