
Les Africains de la diaspora et les pays africains doivent revoir leurs relations. Les transferts de fonds ne relèvent pas, pour l’essentiel, de l’engagement durable vers le pays d’origine. Une relation « gagnant-gagnant » autour de projets structurants est possible, considère Samir Bouzidi, expert et fondateur de la start-up tunisienne Diaspora Invest.
Par Samir BOUZIDI
DIASPORA – Au nom des racines, un avenir commun. Vraiment ? Ne dit-on pas en Afrique que « l‘enfant du pays a beau vivre ailleurs pendant des années, il pensera toujours à sa terre ».
Entre réalités économiques et exaltations mystico-patriotiques, le défi stratégique de l’intégration économique et humain des diasporas est en train de se poser en termes ardus pour bon nombre de pays africains et l’issue de ce «diaspora round» sera sinueuse et incertaine !
Révolu le sacrifice des anciens, les nouvelles majorités au sein des diasporas aspirent désormais à une relation plus équilibrée avec le pays d’origine et, exigent garanties et réciprocités.
Aux premières loges, les élites captées et fidélisées par les pays d’accueil, pour qui l’investissement au pays d’origine répond d’abord à un plan d’opportunités… et de garanties !
À ce stade, l’erreur serait d’interpréter faussement la manne considérable des transferts d’argent (10 milliards d’euros en 2018 de la France vers l’Afrique) comme un indicateur de bonne politique publique voire d’ancrage des diasporas dans le pays d’origine.
Bien au contraire, seuls 10 % à 20 % de ces flux en Afrique du Nord et 5 % à 10 % en Afrique subsaharienne, vont aux projets (épargne, remboursement des crédits immobiliers, investissements…) ; l’écrasante majorité «agissant» comme des subventions aux dépenses de base des familles (alimentation, santé, éducation…).
Ainsi, les transferts financiers répondent quasi exclusivement à de la philanthropie familiale et ne doivent pas servir à dissimuler cette autre réalité que les diasporas connaissent bien. Dans la grande majorité des pays africains (Algérie, Soudan, Mozambique, Zambie, Gambie…), la mobilisation et la reconnaissance de la diaspora restent embryonnaires, voire un non-sujet.
Seule une minorité de pays (Ghana, Kenya, Maroc, Sénégal, Mali, notamment) ont mis en oeuvre une stratégie proactive d’engagement de la diaspora. En cause pour expliquer ce manque d’ambition, la perception des diasporas comme des communautés à l’esprit trop libre et influentes auprès de leurs familles, présentant par conséquent un risque politique pour certains régimes autoritaires.
L’exclusivité donnée aux transferts financiers est donc un modèle de compromis implicite entre les pays d’origine et la diaspora, qui peut se résumer ainsi : « Envoyez de l’argent à vos familles, mais restez où vous êtes».
Nouvelle donne
L’Afrique doit absolument anticiper le modèle actuel dominé par ces transferts d’argent philanthropiques, car elle est sous la menace démographique.
Sous l’effet du vieillissement et de l’ancienneté migratoire, les descendants de migrants seront majoritaires à la prochaine génération (c’est déjà le cas chez les Maghrébins en France) et nul doute que ces derniers ne seront pas animés des mêmes élans de générosité vis-à-vis de la famille au pays !
Dans cette perspective, il est urgent de déconstruire le modèle unidimensionnel du migrant captif qui n’existe que par ses transferts financiers, pour s’ouvrir à un écosystème faisant se rencontrer les contributions multidimensionnelles de la diaspora dans sa globalité et où les fruits profitent à tous : épargne, investissement, tourisme, soutien à l’export, transfert de compétences, philanthropie, soft power, e-influence…
Pour libérer tous les potentiels, l’heure est donc venue de changer de paradigme ! Pour commencer, les pays africains ne doivent plus considérer que leur diaspora est captive et éternelle… et en conséquence, partir à la conquête de ces nouvelles majorités silencieuses suivant une approche structurée et inclusive.
Pratiquement, il s’agit de rompre avec ce message perçu comme non équitable par la néodiaspora, « nous n’avons pas fait grand-chose pour vous depuis toutes ces années mais aidez-nous ! » et, proposer au contraire un nouveau pacte d’opportunités «gagnant-gagnant». Prosaïquement, l’Afrique doit montrer qu’elle aime sa diaspora et pas seulement son argent!
Et comme premier chantier stratégique, il faut entreprendre de réparer et renforcer le lien multidimensionnel avec la diaspora, sous peine de ne récolter d’autres dividendes additionnels que les transferts financiers actuels et des flux de visites à caractère familial… En termes marketing, il faut redonner l’envie et la confiance pour susciter de nouveaux besoins !
Trouver un nouvel engagement
Dans cette perspective, la première clé est entre les mains de la classe politique des pays d’origine, qui doit adopter et décliner en actes une position forte et constante vis-à-vis de sa diaspora : « Vous êtes des partenaires stratégiques du développement national, qu’il soit humain ou économique.»
La deuxième clé est d’ordre méthodologique et commande de se baser sur des réalités et non des représentations fantasmées. C’est notamment par tropisme que les stratégies d’engagement diasporique lancées par les pays africains étudiés se concentrent sur l’investissement des élites, alors que leur diaspora est majoritairement de constitution ouvrière et de classe moyenne.
Plutôt que ce mot d’ordre élitiste, « investir », adressé aux 5 % de la diaspora, il faudrait parler de « s’investir » (tourisme, épargne, compétences, investissement, influence, engagement sociétal.) assimilable par 100 % de la diaspora et autrement plus impactant !
Sur le plan structurel, la mobilisation de la diaspora nécessite un leadership institutionnel incarné par des personnalités politiques consensuelles et un organe exécutif fort à même de collaborer efficacement avec une pluralité de ministères et administrations sur ces sujets transversaux.
Surtout, pour garantir la pérennité des actions et se prémunir d’éventuels conflits d’intérêts avec les pays d’origine, la mobilisation de fonds souverains et dédiés doit être la règle… Deux prérequis essentiels qui font défaut dans bon nombre de pays africains !
Diaspora 4.0
Ce qui est bon pour la diaspora est bon pour l’Afrique… et vice versa ! La révolution numérique est synonyme de progrès majeurs pour les immigrés et leurs descendants qui ont ainsi l’opportunité de s’approprier et d’entretenir à distance leur identité maternelle.
Mais surtout, elle réinvente leur mode d’engagement vis-à-vis du pays d’origine en leur permettant de « s’investir » et non plus seulement d’« investir ». Et les pays africains seraient bien inspirés d’investir ces nouveaux territoires d’opportunités où s’organisent les majorités silencieuses et se cultivent les projets de demain.
Dans cette « diaspora 4.0 », le marketing, les datas et les nouvelles technologies constituent les piliers fondateurs. En ouvrant les vannes des marchés diasporiques traditionnels (transports, télécoms, transferts d’argent) à de nouveaux acteurs comme les start-up, en imaginant de nouvelles offres plus affinitaires intégrant l’espace transnational, en appréhendant les dynamiques portées par les nouveaux besoins comme le tourisme mémoriel, qui permet de renforcer le lien avec le pays d’origine, ce nouveau marché va se révéler, se structurer et parvenir à maturité. « La force du baobab est dans ses racines. » Aux pays africains de fertiliser les sols !
Samir Bouzidi est promoteur du « Diaspora Africa Tour », une tournée d’expertise solidaire pour assister les gouvernements africains dans l’engagement de leur diaspora.