Les affiliés français de la Fédération européenne des Journalistes, le SNJ, le SNJ-CGT et la CFDT-Journalites participent aujourd’hui, à Paris, un an après l’attentat qui a visé la rédaction de « Charlie-Hebdo », à la commémoration de toutes les victimes du terrorisme organisée par la Confédération européenne des syndicats (CES), à la Bourse du Travail.
L’occasion pour la FEJ de dresser un bilan amer… « J’ai honte pour eux, en repensant aux chefs d’Etat qui défilaient derrière la délégation de journalistes, à la Marche pour la liberté du 11 janvier 2015, commente Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la FEJ. Ils proclamaient « Je suis Charlie », ce jour-là. Ils se sont empressés de trahir leurs promesses, dès le lendemain de la marche. Partout en Europe, les gouvernements ont adopté des législations qui érodent la liberté de la presse, voire qui violent la Convention européenne des droits de l’homme, bafouant la liberté d’expression et la liberté d’accès à l’information. Les journalistes, aujourd’hui, ont des raisons de se sentir trahis par les gouvernants ».
« La Marche pour la liberté exige une réponse politique à la hauteur », écrivions-nous voici un an. « Un espoir totalement déçu, regrette Ricardo Gutiérrez. Les décideurs politiques ont offert aux terroristes ce qu’ils espéraient: une société qui sacrifie ses libertés fondamentales au prétexte, bien illusoire, d’accroître la sécurité de tous. Partout en Europe, la liberté de la presse et la liberté d’expression reculent. Partout en Europe, la démocratie faiblit ».
En 2015, 16 journalistes ont perdu la vie dans l’exercice de leur métier en Europe, dont 11 en France. C’est le chiffre le plus élevé, depuis 15 ans. Au cours des 25 dernières années, 346 journalistes ont été tués en Europe, soit plus d’une victime mortelle par mois, en moyenne. Et à l’heure qu’il est, 41 journalistes sont toujours emprisonnés, sur le sol européen, juste pour avoir fait leur travail.
En un peu plus de neuf mois, la FEJ et la FIJ ont signalé 95 violations graves de la liberté de la presse à la Plateforme en ligne du Conseil de l’Europe pour la Protection du Journalisme et la sécurité des journalistes. Sept signalements concernent la France de l’après-Charlie, dont nous avons notamment dénoncé la politique de blocage administratif de sites internet et la légalisation de la surveillance massive.
Les restrictions pleuvent, partout en Europe:
- loi « muselière » en Espagne et en Italie;
- rétablissement de la propagande en Pologne;
- criminalisation des lanceurs d’alertes dans l’Union européenne;
- violation du secret des sources journalistiques au Royaume-Uni;
- harcèlement des organisations de défense de la liberté de la presse en Russie;
- reprise des incarcérations de journalistes en Turquie et en Azerbaïdjan;
- bannissement de journalistes en Ukraine;
- intimidation des journalistes d’investigation au Vatican…
Sans parler des conditions de travail de plus en plus précaires qui font en sorte qu’aujourd’hui, en France, un journaliste sur trois est disposé à quitter son job.
Comme l’indiquent nos affiliés français du SNJ, « jamais le souci légitime de sécurité n’aurait dû justifier des mesures inutiles et dangereuses pour le citoyen et la démocratie. C’est pourtant ce qui s’est passé, le choix d’une restriction des libertés au nom de la défense des libertés : après la loi Renseignement, instrument de la surveillance de masse, l’état d’urgence et son cortège d’interdictions et d’exactions plus ou moins incontrôlées. Si le décret instaurant l’état d’urgence a exclu la disposition prévoyant le contrôle possible des médias par les préfets, le fait qu’une douzaine de députés socialistes n’aient pas hésité à déposer un amendement en ce sens, traduit l’état d’esprit du moment. Ces gens-là se disaient Charlie en janvier ».
« Il en est beaucoup d’autres qui scandaient « Je suis Charlie », poursuit Ricardo Gutiérrez. Et qui ont pourtant agi, dans la foulée, en fossoyeurs de la liberté de la presse et de la démocratie ».