Le Sénégal se trouve à un moment crucial de son histoire économique et sociale avec l’exploitation prochaine des réserves de pétrole et de gaz au large de ses côtes. Cette opportunité offre un grand potentiel de développement, mais elle comporte également des défis importants. Avec une économie déjà structurée qui ne dépend pas d’une quelconque rente, le Sénégal peut bien marcher sur les traces du Qatar et réussir le pari de la répartition des revenus issus du pétrole et gaz.
Pour maximiser les avantages de cette rente pétrolière et gazière, le Sénégal doit revoir son rôle économique et social.
Dans de nombreux pays en développement, une partie des recettes pétrolières est souvent utilisée de manière improductive, notamment pour gonfler l’administration et soutenir des subventions qui peuvent ne pas être économiquement justifiables. Des tarifs sociaux sont souvent utilisés pour maintenir une paix sociale artificielle dans des économies marquées par des inégalités économiques et sociales importantes.
Il est fortement recommandé que le Sénégal n’utilise pas la rente pétrolière pour financer des augmentations de salaires et d’indemnités. En effet le Sénégal doit éviter le syndrome vénézuélien ou saoudien ou de certains pays en voie de développement il y’a quelques années, à ne pas commettre l’erreur d’utiliser la rente pétrolière pour financer des augmentations de salaires, surtout avec la pression probable sur le gouvernement des syndicats les plus actifs du Sénégal dans des secteurs tels que la santé, l’éducation et la justice qui consomment déjà une part importante du budget national.
Parallèlement, l’utilisation de la rente pétrolière à des fins politiques pour maintenir les dirigeants au pouvoir, peut conduire également à une instabilité politique à long terme. En effet la rente pétrolière et gazière ne doit pas être également utilisée par les dirigeants politiques pour gérer une clientèle politique afin de se maintenir au pouvoir. Nous avons constaté à travers des recherches que la rente pétrolière accroit la durée de l’exercice du pouvoir exécutif en Afrique et à long terme, cette pratique peut conduire à une instabilité politique, car elle crée des tensions au sein de la société.
La dépendance excessive à l’égard des revenus pétroliers et gaziers peut également exposer l’économie sénégalaise aux fluctuations des prix mondiaux de l’énergie, d’où l’importance de diversifier l’économie. Assurément, la dépendance excessive à la rente pétrolière et gazière peut entraîner une « malédiction des ressources naturelles ». Cela signifie que d’autres secteurs économiques, tels que l’agriculture, le tourisme et la pêche peuvent être négligés au profit du secteur des hydrocarbures.
Et outre, l’argent du pétrole peut rendre les acteurs économiques paresseux et tuer des secteurs. C’est le cas de la Hollande dans les années 1960 avec son secteur textile.
Cette concentration économique peut rendre l’économie sénégalaise vulnérable aux fluctuations des prix des matières premières. Pour éviter des difficultés budgétaires lorsque les prix du pétrole chutent, l’Etat du Sénégal doit surtout éviter de dépenser de manière démesurée en période de boom pétrolier.
La rente pétrolière et gazière qui est volatile et épuisable est aussi à l’origine de l’endettement externe élevé de beaucoup de pays producteurs de pétrole et de gaz ; particulièrement les pays en voie de développement d’où la nécessité d’un encadrement par rapport à la rentabilité de l’investissement. Une discipline budgétaire s’impose pour le Sénégal afin d’éviter des dérives liées aux dettes adossées sur les ressources pétrolières et gazières.
Par ailleurs le Sénégal qui dispose déjà d’un bon cadre institutionnel et réglementaire, comprenant un processus budgétaire transparent, une bonne conformité aux normes de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) et des médias relativement libres et actifs, peut espérer une gestion équilibrée et durable des ressources pétrolières et gazières.
Ce point d’espoir réside surtout dans la loi 2022-09 du 19 avril 2022, qui régit la répartition et la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz au Sénégal. Selon cette loi, jusqu’à 90% des recettes seront alloués au budget général de l’État, tandis qu’au moins 10% seront destinés à un fonds intergénérationnel. Ce fonds vise à préserver des économies pour les générations futures, permettant leur développement après la fin de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières. De plus, le surplus des recettes à la fin de chaque trimestre sera utilisé pour constituer un fonds de stabilisation, qui protégera le Sénégal contre la volatilité des revenus pétroliers et gaziers sur les marchés internationaux.
En comparaison, le Ghana a mis en place une règle des recettes qui répartit les fonds générés par l’exploitation des ressources entre le budget de l’État, le fonds de stabilisation et les générations futures.En effet au Ghana, une règle des recettes (susceptible de modification tous les trois ans) définissant la répartition des fonds générés par l’exploitation des ressources entre le budget de l’Etat (70%), le fonds de stabilisation (21%) et pour les générations futures (9%).
En résumé, le Sénégal à l’image du Ghana pouvait mette en place une règle de répartition des revenus plus détaillée pour mieux garantir la stabilité budgétaire et l’équité intergénérationnelle en dotant un pourcentage au fonds de stabilisation.
Enfin concernant la gestion du fonds intergénérationnel, malgré la mise en place d’institutions nécessaires, il existe des lacunes en termes de transparence et de responsabilité dans la gestion des fonds. Le Fonds d’Investissement Stratégique National (FONSIS) est utilisé pour constituer une épargne pour les générations futures, mais il ne publie pas de rapports financiers complets. De plus, le gouvernement utilise des procédures de dépenses simplifiées, ce qui peut réduire la transparence dans les dépenses publiques.
En définitive, une répartition réussie à mon avis est celle qui va permettre au Sénégal de créer des activités pérennes à partir de ressources non renouvelables issues de l’exploitation du pétrole et du gaz.
Par El Hadji Diallo de FORTESA, membre du cadre de concertation des compagnies pétrolières et gazières.