Migrants: les forces européennes à l’offensive contre les passeurs

«Intercepter» les passeurs au large des côtes libyennes, c’est l’objectif de la deuxième phase de l’opération Sophia de la force européenne Eunavfor-Med qui débute ce mercredi. Après environ trois mois d’observation, une dizaine de navires européens vont désormais pouvoir intervenir en haute mer, au large des côtes libyennes, afin de s’attaquer aux filières clandestines. Les trafiquants seront arrêtés et traduits en justice.

Une dizaine de zones de patrouilles ont été établies en face de la Libye afin d’endiguer le flux de migrants. Plusieurs centaines de milliers de migrants seraient en attentes ou tenteraient de rejoindre la Libye pour passer en Europe, selon les estimations des services de renseignement occidentaux.

La phase de renseignement de la mission Eunavfor a débuté fin juillet. Les patrouilles maritimes, les survols, et les photos satellites du littoral libyen nous ont permis d’en savoir plus sur les habitudes des passeurs. « Ils partent de nuit, après avoir rassemblé les migrants sur certaines plages, désignent un capitaine parmi les migrants, et appellent les secours italiens une fois en mer », indiquait récemment un haut responsable français du Renseignement. « Ils ont un mode d’action assez simple, explique à RFI l’amiral français Hervé Bléjean, commandant adjoint de la Force navale européenne. Il consiste à charger une embarcation en bois ou pneumatique d’un maximum de migrants. En moyenne, le passage pour partir en Méditerranée est d’environ 1500 euros par migrant. »

Puis ils prennent le large avec une quantité de carburant, d’eau et de nourriture qui ne permet pas à ces migrants de rejoindre une quelconque côte en Europe par leurs propres moyens. « C’est surtout contre cela que nous souhaitons lutter, poursuit l’officier supérieur de marine, parce que ces passeurs et ces réseaux de transporteurs qui se voient peut-être comme des agences de voyage ne peuvent pas ignorer les risques qu’ils font courir aux migrants. »

Une dizaine de bâtiments de guerre

Ces dernières semaines, la force navale européenne a réussi à identifier vingt bateaux utilisés par les réseaux de passeurs de clandestins. Dix-sept embarcations libyennes, et trois autres opérant depuis l’Egypte.Ces bateaux, précise l’Union européenne, auraient pu être interceptés si cette phase 2 avait déjà été lancée.

Sur le papier, l’opération mobilise une dizaine de bâtiments de guerre. La France a envoyé la frégate Courbet, l’Italie a déployé son navire amiral, le porte-avion Cavour, où se trouve l’état-major embarqué de la flotte européenne. Objectif : s’emparer des bateaux des passeurs au large, et traduire en justice les trafiquants. Une première en haute mer en Méditerranée.

L’argent de la migration irrégulière représenterait 35% des revenus de la Libye. Nous allons travailler près d’un pays extrêmement instable avec une présence terroriste avérée. Nous interviendrons pour le moment uniquement en haute mer, tant que nous n’avons pas le cadre juridique pour aller plus loin.
Amiral Hervé BléjeanNuméro 2 de la force Sophia07/10/2015 – par Olivier FourtÉcouter

Problème : comment intervenir militairement sans faire courir de risque aux réfugiés ? Comment différencier un navire de passeur d’un bateau de pêche ? La phase 3 de l’opération pourrait aller plus loin dans le démantèlement des filières en intervenant à terre sur le sol libyen, avec l’aval des autorités libyennes ou une résolution de l’ONU ce qui est loin d’être acquis.

« Nous avons un impératif absolu : la protection de toute vie humaine en mer, quelle qu’elle soit. Evidemment, celle des migrants mais également celle de nos adversaires, sachant que nous avons affaire à des criminels mais pas à des combattants au sens du droit du conflit armé », précise l’amiral Bléjean.

Pour le président du Comité international de la Croix-Rouge Peter Maurer, les pays engagés dans ce dispositif devront en priorité veiller à appliquer le droit international humanitaire et octroyer toutes les garanties aux personnes qui seraient détenues. Le CICR compte bien veiller à ce que ce droit soit respecté : « Il y a des règles : comment il faut détenir et transférer les détenus, traiter les détenus ; il y a des règles sur l’utilisation de la force armée. Des acteurs sont là pour s’assurer que [sur] ces dimensions importantes, la politique européenne se passe aussi selon le droit applicable. »

RFI