Plongée dans l’âme noire des tueurs en série

Un peu à l’image des ogres des contes de fées, les serial killers sont les monstres des temps modernes. Ils inspirent nombre de best-sellers et de grosses productions hollywoodiennes. Les médias les affublent de surnoms, tous plus explicites les uns que les autres : le « boucher », le « vampire », le « cannibale »… Ils renvoient aux mythes du comte Dracula, pompant l’énergie vitale de ses victimes, ou du respectable Dr Jekyll, qui se métamorphose en horrible Mr Hyde la nuit, ou encore du robot tueur, froid et inflexible, incarnation du mal absolu. Des personnages de fiction comme Hannibal Lecter, dans Le Silence des agneaux, ont contribué à les starifier : l’anthropophage raffiné compte de très nombreux admirateurs dans le monde entier.

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Le public entretient avec ces « héros » de romans noirs une relation ambiguë, révélatrice d’une fascination pour la transgression des tabous les plus stricts de la société. Dans la réalité aussi, les tueurs en série intriguent, attirent même : en prison, beaucoup reçoivent un courrier considérable, des demandes en mariage, ou sont sollicités pour des interviews. Reconnu coupable de l’assassinat de sept jeunes femmes, Guy Georges, le « tueur de l’Est parisien », s’est déjà fiancé deux fois, depuis son incarcération, et doit bientôt se marier. Aux Etats-Unis, les serial killers ont même des fan-clubs ! Certains font l’objet de trading cards, ces petites fiches publicitaires glissées dans les boîtes de céréales consommées par des millions d’adultes et d’enfants au petit déjeuner…

Mais, au-delà de cette tentation équivoque et des clichés mythiques déformants, qui sont vraiment les tueurs en série ? Quelles sont leurs motivations pour tuer autant de personnes ? Y en a-t-il davantage aujourd’hui qu’auparavant ? N’assiste-t-on pas à un ancrage sur le Vieux Continent de ce qu’on pensait n’être qu’une réalité américaine ? Comment les débusquer et les attraper ? Comment s’en protéger ?

A l’évidence, Michel Fourniret appartient à cette caste particulière de criminels. En effet, contrairement au tueur passionnel (le mari jaloux qui poignarde sa femme) ou au tueur de masse (le forcené qui tire sur tout ce qui bouge), le tueur en série accumule les victimes à intervalles réguliers dans le temps, sous l’empire d’une sorte de boulimie meurtrière : l’expression serial killer a été inventée, dans les années 1980, par l’agent spécial du FBI Ronald Ressler, en référence aux séries télévisées américaines (les serials), dont chaque épisode suscite l’irrépressible envie de regarder le suivant. En grande majorité de sexe masculin, les tueurs en série agissent généralement en solitaire et, dans les deux tiers des cas, leurs victimes sont des femmes. Certains s’octroient néanmoins la complicité de leur épouse ou compagne, dont le rôle consiste à faire du rabattage, à prendre des photos…

Un bon voisin

La plupart du temps, le serial killer ne choisit pas ses victimes dans son entourage. Il est aussi, très souvent, bien intégré dans le tissu social, comme le notent Lysia Négrier-Dormont et Ronald Nossintchouk dans l’étude qu’ils ont consacrée à ce phénomène criminel. C’est, en apparence, un bon époux, un bon père de famille, un voisin serviable, un partenaire de sport… Parfois même, il s’investit dans des activités bénévoles. Auteur de dix meurtres connus, exécuté sur la chaise électrique en 1989, l’Américain Ted Bundy passait ses nuits au standard téléphonique d’une association caritative de type « SOS Amitié », répondant aux appels de détresse avec une étonnante sincérité.

On constate qu’une grande partie des tueurs en série ont vécu une enfance difficile : parents tortionnaires, alcooliques, absents ou négligents… Tristement célèbre, entre autres crimes, pour avoir poignardé, en 1969, l’actrice américaine Sharon Tate, enceinte, Charles Manson, fils non désiré d’une prostituée, a sombré très jeune dans l’alcoolisme et la prostitution. La vie des serial killers se résume souvent à une succession d’échecs. « Plus de la moitié d’entre eux n’ont pas achevé leur cycle scolaire, observe Stéphane Bourgoin, spécialiste français des tueurs en série, dont l’ouvrage Serial Killers est une référence internationale. Ils montrent également une grande instabilité professionnelle. Ils changent constamment de lieu de travail. »

Contrairement à ce qu’on croit, ils ne sont pas forcément plus intelligents que la moyenne. Leurs échecs scolaires en font même des individus généralement peu cultivés. Cas extrême : impliqué dans une vingtaine de dossiers de meurtre, Francis Heaulme, le « routard du crime » du Pas-de-Calais (nord de la France), affiche un quotient intellectuel de 65. « S’ils sont normalement intelligents, beaucoup manifestent, néanmoins, une aptitude remarquable à saisir de manière très fine l’inconscient de leurs interlocuteurs, repérant facilement leurs failles et leurs attentes, souligne le Dr Daniel Zagury, chef du centre psychiatrique du Bois de Bondy, près de Paris, et qui a expertisé de nombreux tueurs en série, dont Guy Georges et Patrice Alègre. Cette faculté explique qu’on retrouve, chez ces criminels, de nombreux séducteurs, rusés et très manipulateurs. »

En revanche, les serial killers sont incapables de sonder leur propre subconscient. Ils ne peuvent pas expliquer pourquoi ils tuent. « Si je le savais, je ne le ferais pas ! » ont avoué plusieurs d’entre eux au Dr Zagury. Ils n’éprouvent également aucun remords ni le moindre regret. Ils n’ont aucune censure morale. Cela dit, à l’exception des psychotiques – minoritaires – qui tuent dans un délire schizophrène, la majorité d’entre eux, de tendance psychopathe, maîtrisent parfaitement leurs agissements : s’ils pressentent le moindre danger, s’ils craignent d’être repérés, ils peuvent renoncer temporairement à leurs crimes. Aussi, sur le plan médico-légal, sont-ils jugés responsables de leurs actes.

Leurs motivations meurtrières peuvent être diverses. Chez Michel Fourniret, le mobile est a priori sexuel. Il déclare lui-même rechercher des « jeunes filles gracieuses et vierges », qu’il étrangle ensuite pour se débarrasser de victimes encombrantes. Fourniret est un tueur « utilitaire », un peu comme Dutroux. Mais tous les serial killers ne sont pas des pervers sexuels. Certains sont motivés par l’unique plaisir de tuer et, parfois aussi, de torturer leurs « proies », à l’instar du « BTK strangler » : ce tueur en série de Wichita (Kansas, Etats-Unis), toujours pas identifié, qui n’avait plus sévi depuis trente ans et qui vient de refaire parler de lui en envoyant des photos de victimes à un journal de la région, avoue lui-même, dans des lettres cryptées adressées aux médias, adorer « ligoter, torturer et tuer » (en anglais : B ind, T orture, K ill).

Orgie narcissique

Fourniret, lui, ne semble pas attiré par cette jouissance meurtrière. Toutefois, en consentant à guider les enquêteurs autour du château du Sautou et en se permettant de choisir ses interlocuteurs judiciaires, il révèle une mégalomanie propre aux tueurs en série. « Le moteur essentiel de ces criminels particuliers est, dans tous les cas, la recherche de la domination, de la toute-puissance, explique encore le Dr Zagury. En s’investissant du droit de tuer ou de laisser vivre leurs victimes, ils se posent en démiurge. On peut les comparer à Charlie Chaplin, dans Le Dictateur, qui, dans le secret de son bureau, tient le monde à bout du bras et joue avec le globe en une sorte d’orgie narcissique. Cette toute-puissance exprime souvent la transformation en son contraire des souffrances et des échecs vécus pendant l’enfance. Le tueur n’est plus le pauvre gosse passif, abusé, écrasé. Il est actif, dominant. C’est lui désormais qui écrase. »

On ne devient pas serial killer du jour au lendemain. Dans la plupart des cas, on constate une lente progression dans la criminalité et la violence. Au départ, ce sont des délinquants ordinaires. Stéphane Bourgoin relève d’ailleurs qu’en France plus de 9 tueurs en série sur 10 sont déjà connus des services de police pour des faits de type vol ou agression, avant même de commettre leur premier assassinat. Par ailleurs, s’ils sont médiatisés à outrance, ils constituent heureusement un phénomène criminel très marginal. C’est le nombre de leurs victimes qui attire inévitablement l’attention, un peu comme pour les accidents d’avion. La France compte 46 tueurs en série identifiés, arrêtés ou jugés depuis 1999. C’est à la fois peu et impressionnant. Ces 46 tueurs ont assassiné à eux seuls 167 victimes reconnues.

Aucune statistique ne permet de dire s’ils sont plus nombreux aujourd’hui qu’hier. On constate seulement qu’on en parle de plus en plus, et sans tabou, mais aussi qu’on les détecte plus facilement qu’avant, les techniques policières actuelles permettant de mieux relier entre elles des affaires isolées. Longtemps, on a cru – ou voulu croire – que les Etats-Unis avaient l’apanage de cette criminalité hors du commun. Or, bien que les serial killers y soient légion, on en rencontre dans beaucoup d’autres pays et c’est l’Afrique du Sud qui bat tous les records. Proportionnellement au nombre d’habitants, on y recense le plus grand nombre de cas : il ne se passe pas une semaine sans qu’un tueur en série défraie la chronique de la presse sud-africaine.

Grâce à la mondialisation de l’information, on s’aperçoit qu’aucune partie du monde n’est épargnée par ces psychopathes meurtriers, que ce soit en Chine, en Iran, en Ukraine, au Nigeria, au Costa Rica… Chacun a ses monstres, tous plus terrifiants les uns que les autres. Au Pakistan, Javed Iqbal a été condamné, en 2000, pour le meurtre d’une centaine d’enfants des rues. Soupçonné de 300 meurtres, l’Equatorien Pedro Lopez Monsalve a été condamné pour le meurtre et le viol de soixante mineurs dont les corps avaient été retrouvés. Les tueurs en série ont toujours existé. On en trouve de nombreux exemples, dans l’histoire ancienne ou récente, de Gilles de Rais, alias Barbe-Bleue, au xve siècle, à Jack l’Eventreur au xixe et Landru, guillotiné en 1922, ou au Dr Petiot dans les années 1940.

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