En 1957, Osagyefo disait que « le plus important pour l’Afrique est de conquérir l’indépendance et le reste viendra ensuite tout seul ». Certes, nous avons conquis notre indépendance, mais force est de reconnaître que les choses se compliquent davantage pour l’Afrique, qui est redevenue le champ de rivalité des puissances du monde.
En parlant d’Osagyefo ou le « rédempteur », je veux nommer Kwame Nkrumah du Ghana. Son pays était l’une des premières Nations africaines noire à accéder à l’indépendance, en 1957. Avec ces vents de souveraineté, l’espoir a commencé à souffler dans les colonies, naguère des victimesnon seulement du commerce triangulaire avec ses millions de morts et de déportés vers les Amériques, mais également de la colonisation, avec une balkanisation totale de l’Afrique.
A l’instar des autres figures incontournables du panafricanisme, Nkrumah s’est battu jusqu’à sa mort pour une Afrique unie au profit des générations futures à l’image des Etats-Unis d’Amérique. Des Présidents comme Jomo Kenyatta du Kénya, Julius Nyéréré de la Tanzanie, Modibo Keïta du Mali, Ahmeth Sékou Touré de la République de Guinée, Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Felix Houpheit Boigny de la Côte d’Ivoire, Maurice Yaméogo du Burkina Faso, Hamani Diori du Niger, Ahmadou Babatoura Ahidjo du Cameroun, Léon Mba du Gabon, Fulbert Youlou du Congo Brazaville, Joseph Kasa-Vubu du Congo Kinshasa, Nnamdi Azikiwe de la Fédération du Nigéria, pour ne citer que ceux-là, participèrent à la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA)en 1963, avec comme seul objectif, « les Etats-Unis d’Afrique ».
Malheureusement,ce rêve d’une Afrique unie tombe à l’eau, parce qu’elle n’a pas su résister aux idées des nouveaux leaders de pays indépendants, qui ne veulent pas renoncer à leur toute nouvelle souveraineté, mais surtout, aux coups d’Etat notés dans plus de 90% des pays indépendants. Notre continent était ainsi devenu, le champ de guerre du capitalisme et du communisme, dans le cadre de la guerre froide. Les pères fondateurs des indépendances qui ont théorisé la souveraineté de nos différents Etats, ont été renversés par des officiers et sous-officiers à la solde des puissances coloniales.
Alors qu’il est en visite officielle en Chine, le Président Kwame Nkrumah du Ghana est renversé par un coup d’État militaire en 1966. Il trouve refuge chez le Président guinéen Sékou Touré, avant de mourir en Roumanie en 1972, des suites d’un cancer.
Au Congo Kinshasa, Joseph Mobutu renverse Joseph Kasa-Vubu en novembre 1965, après avoir éliminé physiquement Patrice Lumumba.
De l’autre côté du fleuve Congo, particulièrement à Brazzaville, le Président Fulbert Youlou est renversé en 1963 par Alphonse Massemba-Débat.
A la porte du Sénégal, le Président Modibo Keïta du Mali est arrêté par le lieutenant Moussa Traoré, le 19 novembre 1968 et déporté avec ses proches à Kidal.
Son voisin du Niger, à savoir le Président Hamani Diori, est également victime d’un coup d’Etat, dirigé par le lieutenant-colonel Seyni Kountché, le 14 avril 1974.
Dans la Fédération du Nigéria, l’officier Johnson Aguiyi-Ironsi renverse le Président Nnamdi Azikiwe en 1966. Pour rappel, ce pays a connu six (06) coups d’Etat avant qu’Olusegun Obasanjo ne soit élu démocratiquement, président de la République en 1999. Il faut également préciser que dernier avait également organisé un coup d’Etat en 1976, avant qu’il ne soit renversé par Shehu Shagari en 1979.
A Conakry où il avait installé sa base arrière dans sa lutte contre le colon pour la libération de la Guinée-Bissau et du Cabo Verde, Amílcar Cabral, également connu sous le pseudonyme Abel Djassi, est assassiné le 20 janvier 1973, par les services secrets portugais, avec la complicité de ses proches. La liste des coups d’Etat est loin d’être exhaustive.
Victime de la rivalité des puissances
Plus de 65 ans après les indépendances, l’Afrique fait encore face à une nouvelle vague de coups d’Etat, qui ne fera que l’affaiblir davantage dans un monde en perpétuelle mutation. Commençons par notre voisin, le Mali.
Elu démocratiquement, le Président Ibrahim Boubacar Keïta est renversé, le mardi 18 août 2020, en pleine crise de la pandémie de la Covid-19 par les militaires, suite à une mobilisation populaire dirigée par l’imam Dicko qui réclamait sa démission. Aujourd’hui, ce même imam Dicko en visite à Dakar, dit avoir « regretté » son acte.
En République de Guinée, le Colonel Doumbouya prend le contrôle du pouvoir en septembre 2021 et place le Président Alpha Condé en résidence surveillée.
Au Burkina Faso, le Président Roch Marc Christian Kaboré est arrêté, le 24 janvier 2022, par le lieutenant-colonel Damiba, qui sera à son tour, démis de ses fonctions par le colonel Traoré, le 30 septembre de la même année.
Sans nul doute, la proximité du Niger avec le Burkina Faso et le Mali, a eu un effet de contagion avec le renversement du Président Mohamed Bazoum par le général Abdourahamane Tchiani, chef de la garde présidentielle, le 26 juillet 2023.
Le dernier en date s’est produit au Gabon, où le Président Ali Bongo a vu son pouvoir tomber dans les mains du général Brice Oligui Nguema, chef de la garde présidentielle, le mercredi 30 août 2023, après une élection présidentielle qui a connu beaucoup d’irrégularités.
Ces coups d’Etat sont toujours suivis par la mise sur pied de Comités ou Conseils de transition, peu importe l’appellation par ces différents officiers à la solde des puissances qui rivalisent en Afrique, pour un contrôle des ressources du continent.
Les différentes sorties des émissaires de ces grandes puissances témoignent à suffisance, la thèse des spécialistes de la géopolitique qui pensent que l’Afrique est aujourd’hui la victime de la rivalité des grandes puissances.
Dans son livre « Géopolitique de l’Afrique » paru en avril 2022, Sonia Le Gouriellec soutient que « du fait qu’elles abritent d’importants potentiels de croissance, une importante population et des problématiques sécuritaires et stratégiques, les Afriques attirent l’attention et les convoitises de nombreux acteurs extérieurs. Les relations avec les anciennes puissances coloniales demeurent globalement étroites, mais elles dépendent également de l’activisme des mouvements nationalistes au moment des indépendances. Ainsi, la majeure partie de l’aide africaine fournie par les anciennes puissances européennes, continue-t-elle d’aller aux pays qu’elles contrôlaient par le passé.
Cependant, depuis le début du xxie siècle, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition – ou leur retour – sur le continent. Au cours des deux dernières décennies, les relations politiques et économiques entre la Chine et l’Afrique, particulièrement la Corne de l’Afrique, se sont développées à un rythme soutenu : le volume des échanges est en effet passé d’environ 11 milliards de dollars en 2000, à 192 milliards de dollars en 2019. Si les États-Unis restent encore le premier fournisseur d’aide au continent africain, la Chine arrive sur le devant de la scène en tant que partenaire pour le développement des infrastructures.
Dans un système international qui s’éloigne de l’uni-polarité, les États africains ont de plus en plus de choix parmi ces différents partenaires. Le contexte politique international est marqué par une forte interdépendance et les objectifs politiques des différents acteurs s’influencent mutuellement… » (Chapitre V. Rivalités de puissances dans les Afriques : un nouveau « grand jeu » ? pages 80 à 109)
Par Talibouya Aïdara
Journaliste/communicant/auteur
Email : aidara.or.t@gmail.com