Récit d’un journaliste mauritanien El Hadj Cissé : la Mauritanie a peur de ses jeunes noirs

Coat_of_arms_of_MauritaniaL’autre soir, je me rendais à un concert de rap avec un ami journaliste à l’Institut Français de Mauritanie, lorsque soudain, à quelques encablures du Centre, nous fûmes alpagués par un pick up de policiers comme au bon vieux temps, de la période la plus sombre de l’histoire de notre pays.

Contrôle au faciès, délit de sale gueule, simple routine? Nous ne le saurons jamais, toujours est-il qu’ils nous ont traités comme des moins que rien sans ménagement aucun. Cela a pris quelques minutes, qui nous ont semblé une éternité au vu de la rudesse du propos assez ordurier.

Cette histoire peut paraitre anecdotique pour la majorité des habitants des quartiers populaires de la ville de Nouakchott habitués aux humiliations permanentes de la part de sa police, mais pas pour moi, qui rêve d’une Mauritanie juste et respectueuse de sa population dans toute sa diversité. Pourquoi la Mauritanie a peur de ses jeunes Noirs?

Le pays et son peuple sont indéniablement en ordre de bataille face à leur destin, à l’instar du monde arabo musulman et du continent africain auxquels ils appartiennent pour faire face aux multiples défis que représente la mondialisation. Cependant, revoir Nouakchott après quelques années d’absence du territoire national m’a inspiré cette citation presque péremptoire tirée d’un roman révolutionnaire ou réactionnaire, c’est selon : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».

Le temps passe, repasse, trépasse et le décor change mais l’esprit mauritanien de fermeture et de l’entre soi demeure tenace. Est-ce un mal en soi? Certainement pas pour la majorité des gens! Qu’à cela ne tienne….

Est-ce un bien pour autant, je ne le pense pas. Le mal est profond : notre société demeure profondément racialisée, ethnicisée, divisée en tribus et en clans. A Nouakchott, la Capitale, au-delà des écrans de fumé que représentent les changements urbains cosmétiques, l’impression générale est que l’esprit s’y étiole. La pensée iconoclaste s’y fane et que le renoncement à un idéal de liberté et d’égalité s’en va triomphant.

En tant que peuple, dans notre poursuite du progrès social, culturel et économique qu’avons-nous peur de perdre à respecter l’autre, à le considérer comme un égal ? Pourquoi en Mauritanie, aujourd’hui encore la race passe avant l’humain, la religion avant l’homme, la tribu avant le peuple? N’est ce pas la haine de soi même et par delà du genre humain que de souhaiter un pays multiculturel devenir, un peuple monocolore?

Certains se délectent d’avoir réussi un tour de force consistant à la prouesse de dégouter des jeunes noirs mauritaniens d’un retour prochain. Comme si les dés étaient déjà jetés, l’espoir ne semble pas permis. Mais ce ne sont qu’illusion et aveuglement d’un pouvoir politique imbu de sa propre fatuité et de ses vanités mortifères. Le temps passe, la vérité demeure : mauritaniens nous serons toujours.

Mon affection pour la Mauritanie et sa population reste intact. J’y retrouve encore quelques ruines des spécificités qui l’ont fondé et me procurent un quelque chose d’inénarrable dans ma perception et mon sentiment de mauritanité: un carrefour de cohabitations de tout type, des convictions et des pratiques ancrées défiant le temps qui fuit mais se heurtant inexorablement aux changements du siècle naissant. La Mauritanie ne va pas mieux…..

El Hadj Cissé, Journaliste
E-mail : sulesa9@gmail.com