Réhabiliter Mamadou Dia, le père oublié de l’indépendance du Sénégal

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SUNUDIASPORAEn ce lundi 4 avril 2016, le Sénégal  célèbre pour la 56ème fois, la fête marquant son accession à la souveraineté internationale. Voici aussi plus d’un demi-siècle que notre mémoire, oublieuse et ingrate, passe sous silence le rôle éminent de M. Mamadou Dia qui n’est autre que le père de cette indépendance du Sénégal dont nous nous glorifions tant.

C’était aussi un lundi 4 avril 1960, ironie du sort, que MM. Mamadou Dia, à l’époque président du Conseil de Gouvernement du Sénégal et vice-président de la Fédération du Mali et Modibo Keita, président de la fédération, ont signé et paraphé les accords de Matignon à Paris ayant alors consacré l’indépendance du Sénégal et du Soudan français (actuelle république du Mali). Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle, représentait la partie française. Un acte historique et fondateur qui a eu lieu en présence d’un autre grand témoin, Me Lamine Guèye, président de l’Assemblée du Sénégal.

Pourtant, hormis trois éditions de la célébration de la fête nationale du Sénégal (1960, 1961, 1962) pendant lesquelles MM. Dia et Senghor, les deux têtes de l’Exécutif d’alors ont paradé solennellement devant les forces vives de la Nation, la machine à discréditer s’est emballée très vite. Le divorce consécutif aux navrants événements du 17 décembre 1962, les agissements des larbins et 12 ans d’isolement total au bagne de Kédougou sont passés par là.

Elargi de prison en 1974, le président Senghor, son ami de plus de 15 ans, n’a pas fait grand-chose pour réhabiliter cet homme dont la compétence, la rigueur, le patriotisme et la foi, ne souffrent d’aucune contestation, jusque chez ceux que l’on peut considérer comme ses plus farouches adversaires. La longue parenthèse des 19 ans de règne de Abdou Diouf n’y a rien changé. Une curiosité de la part de M. Diouf, le gouverneur de la région du Sine-Saloum,  qui s’était gardé, lors de la crise de 1962, de prendre parti pour l’un ou l’autre protagoniste, avec son célèbre propos :« je suis républicain».

Rendre au « Grand Mawdo » ce qui appartient à Mamadou Dia

Avec l’avènement de Me Abdoulaye Wade à la magistrature suprême, on a entrevu  une « réhabilitation » du père de l’indépendance du Sénégal à travers la révision du procès de Mamadou Dia et ces co-accusés. La tentative a fait long feu. L’ancien président du Conseil, même s’il n’avait donné aucune objection au projet wadien, n’avait « rien demandé ».

Voilà que le président Macky Sall célèbre son cinquième 4 avril. Rien encore à l’horizon pour, sinon réhabiliter Mamadou Dia à travers la révision de son procès, au moins rendre au « Grand Mawdo »  ce qui appartient à Mamadou Dia ; c’est-à-dire, inscrire et vulgariser l’œuvre de ce père-fondateur dans la naissance et dans la consolidation de l’Etat sénégalais dans la mémoire collective des Sénégalais. Il est vrai que l’actuel chef de l’Etat s’était signalé en 2007 par une sortie épistolaire malheureuse adressée au « Grand Mawdo ». Défendant alors son patron, Me Wade, indexé dans sa gestion de l’Etat par le président du Mouvement pour le Socialisme et l’Unité (MSU), le chef du gouvernement avait évoqué des « attaques ad hominem ». Osons espérer que le crime de lèse-majesté d’alors n’était qu’une sortie de piste qui entravera en rien l’hommage qui sied au personnage.

Quand Talla Sylla devance la République

A cette aune, ce ne sont pas que les politiques qui doivent être mis à l’index. Les historiens et autres intellectuels, les forces vives de la Nation en général, ont tous le devoir de se mobiliser pour la cause. Les manuels d’histoire, des noms de places et de rues, à lui dédiés, peuvent être de bons relais pour un enseignement et une célébration de la mémoire de Mamadou Dia et des autres grandes figures historiques du pays.

Dans cette dynamique, il faut saluer l’acte mémoriel posé par le maire de Thiès, Talla Sylla et son Conseil municipal, pour avoir baptisé une place importante de la ville, du nom de M. Mamadou Dia. L’édile de Thiès a incontestablement devancé la République. Mais osons espérer que c’est un premier jalon pour un hommage mérité à ce grand Sénégalais à offrir en exemple à la jeune génération en ce moment où notre société est ensablée par le sable du désert des valeurs.

Il faut le dire, c’est à la fois scandaleux et abracadabrantesque que le décor des grandes villes du Sénégal soit encore peuplé des patronymes  d’anciennes figures du colonialisme français pendant qu’à titre d’illustration, un projet de baptiser le Boulevard de la République à Dakar du nom du président Mamadou Dia, tarde à se concrétiser depuis plusieurs années.

Cheikh Lamane DIOP