Au lendemain du classement de la rumba congolaise au Patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, notre invité est Ray Lema, le grand pianiste et compositeur originaire du Congo Kinshasa. Il est interrogé par Claire Fages.
RFI : Bonjour, vous qui avez rendu un hommage sur scène à l’un des géants de la rumba congolaise, Franco, il y a deux ans à Kinshasa, vous devez être fier de voir cette musique classée par l’Unesco patrimoine mondial immatériel ?
Ray Lema : Je suis extrêmement fier que la rumba soit passée comme patrimoine. Mais avant même que l’Unesco ne soit d’accord avec ça, vous avez remarqué que j’ai rendu hommage à un grand de la rumba parce que je considère que c’est une contribution extraordinaire que cette musique. J’ai vu la réaction, en tout cas en Afrique, et partout où je passe, j’ai vu la réaction à cette musique. De fait, cette musique congolaise, partout où on passe, ça marche sur les gens. Il y en a qui me disent : « c’est à cause de la langue », il y en a d’autres : « c’est à cause des mélodies ».
C’est aussi sa rythmique très particulière ?
On appelle ça des ostinatos, c’est-à-dire des phrases qui tournent en boucle. C’est la philosophie même des musiques africaines. Autant les compositions classiques sont une écriture rythmique linéaire, autant chez les Africains, c’est une roue qui tourne sur place. Et je pense que c’est cette roue qui induit une sorte de transe. Ce sont des petites boucles qui mettent tout le monde à l’aise, en tout cas, le corps… et l’esprit.
Quels sont les instruments de base de la rumba ?
Là, d’abord, c’est la guitare. La rumba, c’est une musique guitaristique. Petit à petit, ils ont passé la philosophie rythmique des tambours sur les guitares. La rumba n’est pas basée sur les percussions, non. C’est basé sur les percussions de la guitare et de la basse. C’est comme ça que nous jouons la rumba. Il faut tricoter d’abord les guitares, rajouter la basse au-dessus et on a déjà une rumba qui tourne.
La rumba cubaine a été classée patrimoine mondial avant la rumba congolaise. Alors la rumba vient-elle du Congo ou de Cuba ?
Moi, je suis allé plusieurs fois à Cuba et quand vous posez la question aux Cubains, les Cubains disent que près de 70% de l’esclavage qui est allé à Cuba venait du bassin du Congo. Donc il y a une filiation directe entre Cuba et l’Afrique. Nous ne sommes pas des enfants de Cuba, ce sont les Cubains qui sont des enfants de l’Afrique. Après, peut-être que le nom, « la rumba », est sûrement né à Cuba. Parce qu’en Afrique, nous avons une danse, en tout cas la danse de l’Afrique centrale, se danse à partir du bassin, et chez nous, le nombril s’appelle « kumba ». C’est une des théories que quand les Cubains ont entendu kumba, ils ont traduit ça par rumba. Mais je ne suis qu’un pauvre musicien, je ne pourrai pas rentrer dans les arcanes de cette musicologie.
Est-ce que ce classement de la rumba permettra à la musique congolaise d’être mieux préservée ?
Chez nous, l’enseignement de la musique est encore un peu négligé. Parce que moi j’ai travaillé au ballet national congolais, si vous voyiez la quantité de musiques purement traditionnelles congolaises qui sont complètement négligées. Je pense que, au moins, ils se rendront compte que la culture est un bien précieux. Ils devraient faire des efforts, par exemple, de préservation de toutes les musiques traditionnelles, ce qui n’est pas le cas pour le moment.
rfi