Sommet de Malte sur l’immigration : l’heure de la facture de l’offensive de Merkel sur les migrants a sonné

 

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Si Angela Merkel donne le ton depuis plusieurs années à l’UE, elle se fait aujourd’hui réprimander par l’Europe et ses partenaires. Donald Tusk a appelé notamment dimanche la chancelière à être plus ferme: « En tant que pays de l’Europe, l’Allemagne a la responsabilité de contrôler les frontières extérieures à l’UE, de manière énergique si nécessaire ». De quoi remettre en question le leadership qu’elle avait jusqu’ici sur l’Europe.

Atlantico : Est-ce que dans ce cadre, et au vue de la position des autres pays face à l’Allemagne, nous pouvons y voir une fin du leadership allemand ? 

Roland Hureaux : Angela Merkel  donnait le ton parce que les autres chefs  d’Etat  l’acceptaient,  en particulier le président français  où le régime de l’euro, plus favorable à l’économie allemande qu’à l’économie française  a  réveillé les vieux complexes que nous avons  hérités de la guerre.

Mais bien peu en Allemagne la  considéraient comme un « grand homme ». 

Ses déclarations selon lesquelles l’Allemagne était prête à accueillir un million de réfugiés ont suscité un immense espoir dans les pays en guerre, spécialement en Syrie, et dans d’autres qui ne le sont pas, même si l’Allemagne, comme les Etats-Unis et la France,  ont une responsabilité lourde dans la perpétuation de cette guerre. 

Aujourd’hui le flux de réfugiés continue d’augmenter car le message que  l’Allemagne s’était fait moins accueillante n ‘est pas encore  passé.

Il faudra peut-être plusieurs mois, au moins si les  populations  concernées veulent l’entendre .

L’Allemagne n’a normalement pas, vu sa position géographique,  la responsabilité de la frontière extérieure de l’espace Schengen. Mais pour l’atteindre, il faut traverser des pays comme la  Slovénie, la  Slovaquie, la Tchéquie et surtout la Hongrie,  la Pologne et l’Autriche  qui ont été gravement déstabilisées par ces flux. Si encore les « refugiés » partaient directement en Allemagne, ces pays pourraient se débarrasser du problème mais l’Allemagne, au bout d’une semaine, sous la pression de l’opinion publique s’est faite moins accueillante et ils se trouvent donc avec leurs milliers de réfugiés, vrais ou faux qu’importe,  dont ils ne savent que faire. 

Ces pays ont donc le sentiment que Angela Merkel a fait preuve d’une grave irresponsabilité, et de désinvolture à leur égard. On les comprend. Donald Tusk est, certes, très proche des Américains qui veulent cette migration, mais il est aussi polonais, un pays qui n’est pas tout à fait en première ligne mais où l’opinion publique réagit très mal aux projets allemands  

Cette contestation du comportent du gouvernement allemand n’est certes pas la fin de la suprématie allemande, mais le prestige d’Angela Merkel a été singulièrement atteint. D’autant qu’elle s’est aussi  comportée de manière irrationnelle sur d’autres terrains. Ainsi, elle est allée soutenir Erdogan en campagne électorale alors que le président turc est responsable à la fois de l’afflux de djihadistes en Syrie et du passage de milliers de réfugiés en Europe, lesquels transitent par son territoire. Il pourrait empêcher ces flux s’il le voulait mais il est clair qu’il ne le veut pas. Le même Erdogan est venu insulter les Français à Strasbourg, puis les Européens à Bruxelles sans que personne ne réagisse. Non seulement, il ne fallait pas lui faire de promesses, mais il fallait le menacer de lui retirer tous les avantages que son statut de candidat à l’Union européenne lui vaut, s’il ne cesse  pas de jeter le trouble. Le comportement d’Angela Merkel est parfaitement incompréhensible. Erdogan est beaucoup plus dangereux pour nous qu’ Assad et  nous allons lui permettre d’emporter les élections ! Qui comprend ? 

Quant à l’Allemagne dans son ensemble, elle reste un pays puissant et prospère mais l’affaire Volkswagen a aussi porté atteinte à son prestige et sans doute révélé certaines failles cachées. 

Guillaume Duval : Angela Merkel a effectivement pris une position claire et tranchée sur la question des réfugiés syriens. Elle y a perdu des soutiens ainsi que l’aval de 16% de l’opinion allemande, pour atterrir à 54%. Cela reste suffisant pour nuancer car plus de la moitié des Allemands la soutienne, mais elle était à 70% en début d’année.

L’Allemagne ne pourra s’en sortir en Europe que si elle accepte de desserrer les taux d’un point de vue budgétaire. En aucun cas elle ne parviendra à convaincre les Polonais, les Hongrois ou les Tchèques d’héberger des réfugiés, si l’Europe ne paye pas pour les aider à en accueillir, ou les autorise à s’endetter pour résoudre la crise. Est-ce que l’Allemagne peut accepter une sorte de plan Marshall pour les réfugiés ? C’est-à-dire, qu’on s’endette tous ensemble dans de bonnes conditions ? Pour le moment, c’est un tabou surtout dans le camp d’Angela Merkel.

Il y a un affaiblissement interne indéniable de la position de chancelière qui aboutit  à un affaiblissement en Europe.

Cependant, nous pouvons nous interroger quant aux choix qu’elle avait. Du côté de l’Europe de l’Ouest, elle a pu affirmer sa position morale, et sur ce point-là, je ne crois pas qu’elle ait pu affaiblir la position allemande au niveau européen. Néanmoins, elle a contribué à renforcer le lourd problème qui résidait déjà au niveau de l’Europe centrale et orientale. En défendant une politique d’ouverture, elle a fragilisé sa position vis-à-vis d’eux. Reste à savoir si la position de ces pays est défendable … Seulement, sa relation avec les pays à l’Est et notamment la Pologne, représente un réel problème pour elle, et cela peut l’affaiblir et lui porter préjudice. Que peut-elle faire pour inverser cette situation ?

Ulrike Guérot : Il y a un tiraillement fort évidemment. L’Allemagne se retrouve seule et perd petit à petit tous ses partenaires européens. En Europe de l’Est, certes, mais aussi en France par exemple. Les seuls qui ont suivi l’Allemagne sont l’Italie et la Grèce, que nous avons pourtant laissés seuls depuis longtemps. L’Autriche et la Suède ont également essayé de faire quelque chose. L’Allemagne se heurte effectivement à une grande solitude vis-à-vis des autres partenaires. La situation est complexe, car elle met en lumière le fait que le mécanisme institutionnel de l’Europe ne fonctionne pas. Tous les rouages de l’Europe tournent à vide. Apparemment l’Union Européenne n’est pas capable de mettre en œuvre ses propres décisions. Ainsi on se demande jusqu’où cela va aller ? Cela apparait comme une crise de l’Allemagne, parce que le pays a pris une décision contre l’Europe et qu’il n’est pas suivi. C’est une culmination d’un point de crise. L’instrument de l’Europe est ne fonctionne pas. Soit nous répondons à cette crise en tant qu’Union Européenne, soit nous ne répondons pas. Si nous ne répondons pas en tant qu’Union Européenne, l’Union Européenne est finie.

Je pense qu’effectivement, le fait qu’Angela Merkel se soit enfermée dans une vision déterminée sur les migrants a contribué à l’isoler et à lui faire perdre un certain leadership qu’elle avait en Europe. Jusque là, l’Allemagne avait toujours deux instruments pour huiler la politique européenne : le pouvoir et l’argent. Les deux ne fonctionnent plus. Autrefois, si l’Allemagne voulait que les autres pays d’Europe fassent quelque chose qui aille en leur sens, soit elle leur disait de faire ce qu’elle voulait et elle dominait la politique, soit elle leur donnait de l’argent. Aujourd’hui, ces deux instruments ne fonctionnent plus. Ainsi, l’Allemagne est dans une position d’isolement, et comme l’Allemagne est le cœur de l’Union Européenne, l’Europe tourne à vide. Les réfugiés ne sont que l’avant-garde du problème. C’est-à-dire qu’il s’agit du pépin, qui va permettre, ou pas, à l’Europe de faire des choix qui dicteront son avenir. Nous sommes jetés et projetés dans un nouveau monde. Les choses changent radicalement.

Quelle aurait été la réponse des autres pays à la place d’Angela Merkel ? On ne peut pas faire un mur autour de l’Europe, on ne peut pas les tuer, les laisser se noyer dans la méditerranée. Quand ils arrivaient, que faillait-il faire ? Les autres n’ont rien fait. Personne n’a eu une meilleure solution.

Je pense que l’ouverture du sommet va être très tendue car tout le monde sent qu’Angela Merkel est en train de perdre le soutien dans ses propres rangs, et si elle perd le soutien de l’Europe depuis quelques temps, le soutien de ses propres rangs est assez récent. Il faut une réponse européenne : l’Europe ne peut pas fermer les yeux sur la crise et la Chancelière va essayer de se battre au maximum pour trouver une réponse à cette crise. Elle garde heureusement le soutien du SPD qui la porte peut-être plus que son propre parti.