Le voile ou le silence posé sur le massacre, le 1er décembre 1944, de Tirailleurs sénégalais par des militaires français à Thiaroye [une banlieue dakaroise] en dit long sur la ‘’contradiction’’ entre la »France des droits de l’homme » et celle qui ‘’exerce un pouvoir violent’’ dénoncée par les premiers intellectuels africains notamment Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Frantz Fanon, estime l’historien sénégalais Mamadou Diouf.
Le 1er décembre 1944, des »tirailleurs sénégalais » démobilisés et renvoyés en Afrique après la seconde Guerre mondiale, sont tués par l’Armée coloniale française, alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur était promis depuis des mois par les autorités politiques et militaires de la France.
»C’est la contradiction entre ce qu’ils appellent la France des droits de l’homme, la France idéale, philosophiquement et intellectuellement, et la France historique, qui est la France qui a un empire colonial. Une France qui exerce, en fait, un pouvoir qui est un pouvoir violent’’, a notamment dit l’universitaire lors d’un entretien accordé à l’APS en prélude des commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.
Si on ne comprend pas que le massacre de Thiaroye est perpétré au même moment où la France fête la libération après l’occupation, la débâcle de 1940, on ne comprendra pas pourquoi la France a tout fait pour qu’on n’en parle pas, a martelé Mamadou Diouf.
Il s’agit, selon l’enseignant chercheur à l’université de Columbia aux Etats Unis, de l’environnement dans lequel il [le massacre de Thiaroye] s’est déroulé.
‘’Et cet environnement, c’est effectivement l’environnement de l’euphorie de la libération, en fait, et de l’arrivée au pouvoir de ce que De Gaulle va appeler les compagnons de la libération, ceux qui se sont battus pour que la France soit libérée’’, a expliqué l’historien ajoutant que c’est pourquoi ‘’ce massacre colonial, comme la plupart des massacres coloniaux, sera en général tu’’ par l’Hexagone.
Le Pr Diouf a toutefois relevé que l’année du massacre est présente dans l’esprit des leaders africains.
Il cite le poème contemporain de Léopold Sédar Senghor écrit en décembre 1944 où il se lamente du massacre de ces anciens soldats prisonniers [la plupart d’entre eux, sinon la quasi-totalité, étaient en prison pendant 4 ans après la débâcle. Et quand ils ont été libérés, ils ont été rapatriés et cantonnés à Thiaroye].
‘’Donc la première réaction de Senghor, c’est de manifester effectivement sa désapprobation et sa condamnation. Et en 1946, Senghor (alors député à l’Assemblée nationale française) va aussi demander une amnistie’’, s’est-il remémoré.
La deuxième grande réaction qui précède celle de Senghor, souligne Mamadou Diouf, est celle de Lamine Guèye, député maire de Dakar qui demanda, en 1944, la mise en place d’une commission parlementaire pour enquêter sur ce qu’il appelle ‘’l’abominable atrocité et la tuerie de Thiaroye’’.
L’universitaire souligne aussi la contribution du dramaturge et homme politique guinéen, Keita Fodéba, auteur de ‘’Aube africaine’’, écrit en 1948. Cette pièce sera représentée dimanche prochain au Grand Théâtre national de Dakar dans le cadre du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.
Le président du comité pour la commémoration du 80e anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye a relevé tout de même ‘’le silence complice » d’hommes politiques sénégalais une fois au pouvoir.
‘’Et c’est vrai, quand Senghor devient président, il n’en parle pas. Quand il est remplacé par Abdou Diouf, il préside la première du film de Sembene +Camp de Thiaroye+ [le film de Sembene Ousmane et de Thierno Faty Sow sorti en 1988], mais il n’en parle pas. Le film va être interdit par la France pendant 10 ans’’, a fait savoir l’historien.
Il souligne qu’Abdoulaye Wade, en revanche, s’est intéressé aux tirailleurs en initiant une journée qui leur est dédiée. « Mais pour la date, d’après la rumeur, les Français ont exigé qu’ils ne prennent pas le 1er décembre’’, informe le professeur Diouf, ajoutant que c’est à cause de tout cela que « le massacre de Thiaroye s’est dissipé ».
Pour Mamadou Diouf, »cette histoire doit être dévoilée au sens plein du terme. Il va falloir lever le voile, ce voile qui a été posé effectivement par la France »’.