Un explosif héritage belge en Casamance sénégalaise

Depuis un conflit indépendantiste armé, le sud-ouest du Sénégal est pollué par des mines antipersonnel. Une partie de ces engins mortels a été produite en Belgique.

Reportage – Par Clair Rivière, Correspondant au Sénégal, LESOIR.BE

u milieu des rizières, un petit char blindé laboure la terre à la recherche de mines antipersonnel. A bonne distance, Téréma Ousmane Diémé contrôle la machine à l’aide d’une imposante télécommande. « Au début, on faisait du déminage manuel, avec des détecteurs », se souvient cet employé d’Handicap International. Mais en Casamance, ça n’a pas duré. Car peu après le commencement des opérations de déminage, en 2008, « on a découvert une mine indétectable ». Son nom ? La PRB M35. Son pays de fabrication ? La Belgique.

Depuis la n du siècle dernier, la Casamance est polluée par un nombre inconnu de mines, antipersonnel et antichar. C’est la triste conséquence du con it qui oppose depuis les années 1980 les troupes sénégalaises à une rébellion armée, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), qui revendique l’indépendance de cette région excentrée. Bizarrerie géographique résultant du partage colonial de l’Afrique, la Casamance forme la partie sud-ouest du Sénégal (francophone), mais elle est séparée du nord de ce pays par la Gambie (anglophone).

Malgré la signature d’un cessez-le-feu en 2004, le con it casamançais n’est pas encore totalement terminé. Quelques groupes armés sont toujours cachés dans la brousse. De temps à autre, des escarmouches les opposent aux soldats sénégalais.

Mais les phases les plus violentes du con it appartiennent au passé : dans les années 1990 et 2000, des milliers de civils ont dû quitter leur maison pour fuir les combats. Aujourd’hui encore, des zones entières restent inhabitées parce que villages, champs et vergers sont pollués par des mines. C’est pour permettre le retour des populations déplacées que l’ONG Handicap International mène des opérations de déminage.

Une mine indétectable

Ce matin, les démineurs sont en train d’achever la dépollution d’une piste reliant le village de Kouring à celui de Bassere, à quelques kilomètres de la frontière avec la Guinée-Bissau. Ces dernières semaines, quinze mines ont été neutralisées dans le secteur. Soudain, en voici une autre : émergeant de la terre fraîchement retournée par la machine à déminer, un petit objet rond est apparu.

« C’est une mine portugaise, une mine antipersonnel », diagnostique Téréma Ousmane Diémé, du haut de sa quinzaine d’années d’expérience. Puis il ajoute :

« C’est une mine détectable. »

Une mine PRB M35 de fabrication belge retrouvée sur le terrain en 2008 par Handicap International. – Clair Rivière.

Certaines des mines que l’on retrouve ici ne sont pas décelées par les détecteurs : c’est le cas de la C3 espagnole, une mine antichar. C’est surtout le cas de la PRB M35, la mine antipersonnel belge

En Casamance, la précision a son importance. Car certaines des mines que l’on retrouve ici ne sont pas décelées par les détecteurs : c’est le cas de la C3 espagnole, une mine antichar. C’est surtout le cas de la PRB M35, la mine antipersonnel belge. « Des essais ont été faits avec di férents types de détecteurs », relate Abdourahmane Ba, d’Handicap International. « La conclusion est la même : indétectable. » Et pour cause : cette mine est en plastique. Dans ses « aiguilles percutrices », elle contient certes une petite quantité de métal, mais trop faible pour que le détecteur puisse la repérer.

La PRB M35 a été la première mine indétectable découverte dans la région.

« Dès qu’on l’a trouvée, les données du déminage ont changé ! », souligne Téréma Ousmane Diémé. En présence de ce type de munitions, l’utilisation du détecteur devient ine     cace et dangereuse. C’est pourquoi dès 2011, il a fallu recourir à une machine, la « Digger », un engin de fabrication suisse qui creuse la terre et fracasse les mines qu’il rencontre.

La Belgique, impliquée dans le déminage

La mine PRB M35, elle, était produite par les Poudreries réunies de Belgique (PRB). Une vieille société qui a fermé ses portes au début des années 1990, juste avant que la Belgique adopte, en 1995, une loi d’interdiction des mines antipersonnel. La diplomatie du Royaume s’est ensuite particulièrement impliquée dans l’élaboration de la Convention d’Ottawa, qui a étendu cette interdiction à l’international à partir de 1997.

En 2008, la Belgique a contribué au nancement du démarrage du déminage en Casamance. Aujourd’hui, une ONG d’origine amande participe à la dépollution de la région aux côtés d’Handicap International : basée en Tanzanie mais créée par des Belges, Apopo (Anti-Persoonsmijnen Ontmijnende Product Ontwikkeling, soit « Développement de produits de détection des mines antipersonnel ») a envoyé au Sénégal une équipe de chiens détecteurs d’explosifs.

870   victimes depuis 1988

D’après les données du Centre national d’action antimines au Sénégal (Cnams), les démineurs ont jusqu’ici mis hors d’état de nuire près de 500 mines en Casamance. Ces engins sont d’origine portugaise, espagnole, française, soviétique, italienne, chinoise ou encore yougoslave. Des mines belges de di férents modèles ont aussi été exhumées. Parmi elles, vingt PRB M35.

« Dieu merci, il y a de petites quantités de mines. Mais cela n’empêche pas que le travail est di cile », note Papa Maguèye Diop, le directeur du Cnams. En Casamance, la contamination n’est pas systématique, mais « erratique » et « sporadique » , dit-il : « Sur une large étendue de territoire, on met quelques mines. Mais où sont-elles ? » C’est cet « éparpillement » qui rend le déminage complexe. Et qui rend dangereux des territoires entiers : il su          t d’un seul engin explosif pour terroriser tout un village et provoquer l’abandon d’hectares de terre agricole.

Depuis 1988, les mines ont tué 199 personnes en Casamance. Si on y ajoute les blessés, on dénombre 870 victimes. Sarany Diatta en fait partie : enfant, il a sauté sur une mine dans la cour de son école et a perdu la jambe droite. Aujourd’hui à la tête de l’Association sénégalaise des victimes de mines, ce diplômé de sociologie insiste sur l’importance des activités d’éducation aux risques menées par son organisation : « Cela a beaucoup contribué à la réduction du nombre d’accidents. » Après un pic à 221 victimes en 1998, « la courbe a chuté » jusqu’à ce qu’en 2022, on ne déplore plus aucun accident. En 2023, on a tout de même compté huit victimes (des militaires), mais en 2024, pas une seule, pour l’instant.

Le paradis de la Casamance

« Il y a de moins en moins de violence, de moins en moins d’accrochages entre l’armée et le MFDC », se félicite Ismaïla Diedhiou, directeur technique de l’Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance. Cet ancien journaliste espère que la n du con it et l’achèvement du déminage permettront le décollage économique de la région, grâce à la relance du tourisme et de l’agriculture. Béné ciant d’un climat tropical, beaucoup moins aride que le reste du Sénégal, la Casamance est un paradis pour la culture des arbres fruitiers, notamment l’anacardier, qui donne la noix de cajou.

Actuellement, les opérations de déminage béné cient de l’aide nancière de l’Union européenne et des Pays-Bas. Si le soutien international s’élève à la hauteur de leurs espérances dans les prochaines années, les autorités sénégalaises envisagent de terminer la dépollution en 2026.