Retrouvés à Dubaï : Les raisons profondes de l’exil musical des frères Guissé

Ils ont fait les beaux jours de la musique sénégalaise avant de subitement disparaître des radars. Cheikh et Djiby des «Frères Guissé» ont choisi de s’ouvrir au reste du monde au détriment du Sénégal. Ce qui leur a fait perdre leur aura d’antan. Actuellement à Dubaï, dans le cadre de l’exposition universelle 2020, nous leur avons tendu le micro. Leurs débuts, leurs déboires et leur retour sur scène sont autant de sujets que Cheikh aborde…

Passé : «Au début, nous étions trois (03), Alioune, Djiby et moi, mais en réalité nous avons débuté l’aventure Djiby et moi d’abord, il y a très longtemps. Nous faisions tous les groupes de jazz de Dakar. Avant ça, nous étions dans des orchestres et nous nous faisions accompagner par d’autres musiciens. Nous avons commencé par la musique Afro-Jazz avec un groupe dont les instrumentistes étaient des étudiants passionnés de musique. Le premier 25 décembre organisé par Youssou Ndour au stade Demba Diop, si je ne me trompe, c’était en 1987, Djiby et moi avec l’orchestre groupe ‘’Jaam’’, qui fait actuellement du Jazz et qui se fait appeler ‘’Jaam Jazz ‘’, avions assuré la première partie. Quelques mois avant, nous avions fait le mémorial Alla Seck en octobre 1987. A l’époque, j’avais 17 ans. Beaucoup pensaient que Djiby était mon jumeau, mais c’est mon aîné de 5 ans. Nous avons fait ce concert et quelques mois après, Youssou Ndour nous a invités pour faire sa première partie à Demba Diop. Après, notre groupe a éclaté parce qu’à l’époque, tous les grands qui avaient besoin d’instrumentistes venaient puiser chez nous. Notre dernier groupe s’appelait ‘’Oasis’’, nous y étions avec Dembel Diop du Super Diamono, Iba Ndiaye qui, en même temps, jouait pour Kiné Lam, avant d’être débauché par Ismaïla Lô. Le batteur, Alioune Diouf, est parti avec Baaba Maal et d’ailleurs, ils sont toujours ensemble. Baaba Maal était parti en tournée aux Etats-Unis avec son batteur, ce dernier a pris la fuite, à son retour, il est venu puiser chez nous. Cela a toujours été un handicap, Djiby et moi, nous nous retrouvions sans groupe. Après, nous nous sommes mis à apprendre la guitare. Nous jouions chez nous à Yarakh, dans les rues, etc. Nous faisions des reprises. Petit à petit, nous avons commencé à jouer dans des clubs de jazz. Cela a débuté en 1989 ou 1992, avec le mémorial Prosper Niang au Centre culturel français. Des gens nous ont apprécié et ont adoré notre concert et là, nous nous sommes mis à travailler. C’est ainsi que le groupe ‘’Frères Guissé’’ est né. Pour le nom, le producteur ‘’Syllart productions’’ qui a voulu collaborer avec nous, nous a demandé de faire une maquette. Comme il logeait dans un hôtel dakarois et qu’il devait rentrer, il a laissé une enveloppe pour nous à la réception et y a écrit ‘’Guissé et frère’’ parce qu’il ne connaissait que Djiby. C’est ce qui est devenu ‘’Frères Guissé’’. Au fil des ans, on a suggéré d’intégrer notre frère Alioune qui faisait du théâtre, mais aussi de la percussion. C’est comme ça qu’il a rejoint le groupe en 1994. Maintenant, il vit au Canada depuis quatre ou cinq ans. Il a préféré mener sa vie là-bas avec sa famille. Djiby et moi continuons notre bonhomme de chemin. Nous avons renforcé le groupe avec de la kora, de la percussion. Notre premier album ‘’Fama’’ est sorti en 1995 et a été un succès énorme, parce que les gens voulaient du neuf. La concurrence était rude, mais nous sommes venus avec un style un peu particulier, avec trois personnes qui jouent, animent à la place de 12 à 13 personnes que les gens voyaient habituellement. C’était une musique presque nouvelle. Il y avait déjà la musique acoustique, mais nous y sommes allés à 100% et nous avons influencé beaucoup de jeunes qui ont fini par emprunter cette voie.» 


«Nous avons un pied au Sénégal…»
Présent : «Si nous nous sommes fait rares au niveau national, c’est que nous avons toujours cherché une musique à exporter. Nous n’avons pas voulu faire une musique qui resterait au Sénégal. Elle était ouverte à tout le monde et à tous les peuples. Nous voulions participer à tous les festivals du monde. Quand nous avons opté pour cette voie, nous avons perdu pied au Sénégal et nous nous sommes mis à faire des tournées un peu partout dans le monde. Nous avons beaucoup plus de présence à l’étranger qu’au Sénégal. Nous avons perdu beaucoup de choses au Sénégal. A deux, trois reprises, nous avons perdu des boîtes que nous gérions de manière illégale. Les gens nous coupaient les herbes sous les pieds. La dernière fois, c’était avec notre boîte Planète café. Nous faisons jouer tout le monde et toutes les musiques, mais surtout, la musique traditionnelle. Nous y avons fait jouer Yandé Codou, Ndiaga Mbaye, Samba Diabaré Samb, Boucounta Ndiaye, Touré Kounda. C’était un lieu mythique et tout le monde s’y retrouvait. Des gens ont tout fait pour que nous la perdions. Cela nous a beaucoup découragés et poussés à nous investir à l’étranger. C’est ce qui explique notre longue absence de la scène sénégalaise. Ce n’était pas des misères, mais des contretemps qui arrivent dans l’organisation de la musique. Après plusieurs sollicitations, nous avons décidé de revenir au Sénégal. Malheureusement, il y a eu la pandémie et le covid-19 est devenu le nouveau patron du monde. Cela nous a mis à terre, comme dans tous les autres secteurs. Nous continuons de jouer, de faire les festivals, mais ce n’est plus comme avant. Récemment nous étions en Chine où nous avons fait quatre mois dans un hôtel pour jouer de la musique sénégalaise. Mais depuis quelque temps, nous sommes de retour au Sénégal pour tenter d’apporter notre grain de sel. Nous continuons de sentir que nous sommes toujours dans la musique.» 

Perspectives : «Nous sommes en train de travailler sur un petit album. Ce sera un maxi de deux, quatre à six titres pour dire aux Sénégalais que nous sommes là et que nous continuons de chanter. Nous y sommes. Nous faisons des scènes un peu partout dans le monde, mais nous n’abandonnons pas le Sénégal. Depuis presque trois mois, nous animons le buffet du King Fahd Palace, également un restaurant aux Mamelles et de temps en temps, L’endroit. Nous animons des dîners de gala, des cocktails etc. Ce n’est pas comme avant où il y avait plus de publicités, le système a changé avec le Covid-19. Ce sont ceux qui sont dans nos lignes de publicités qui sont au courant de nos événements. Depuis presque 15 ans, nous organisons le festival de l’environnement appelé ‘’Festivert ‘’. C’est un week-end qui coïncidait avec la journée mondiale de l’environnement, le 05 juin. Avec le ramadan, nous l’avions reporté jusqu’en octobre. C’est un festival qui regroupe toutes les associations, plateformes, entreprises, qui polluent et qui n’ont plus envie de polluer. Nous animons tout ce qui est discours de bienséance pour sauvegarder l’environnement ou sauver l’environnement du Sénégal, à partir de Yarakh. La Baie de Hann qui faisait partie des plus belles du monde, est aujourd’hui la plus détériorée. Cette année, ça coïncide avec le sommet mondial de l’eau qui doit se tenir au Sénégal en 2022, nous allons appeler le ‘’Festivert’’, ‘’FestiEau’’.» 
Contexte Covid : «Cela a été difficile pour le tout monde. Nous en avons subi les affres comme tout le monde, mais nous avons essayé de sortir la tête de l’eau. Avec le ‘’restez chez vous’’, nous ne pouvions pas nous déplacer. Djiby était resté chez lui. Le soir, je faisais des concerts à la maison seul avec ma famille et ma guitare. Je faisais des directs sur Facebook pendant au moins 3 mois. Je le faisais sans rien gagner. Après, j’ai commencé à chercher des sponsors et des institutions m’ont financé à trois reprises jusqu’à la levée du couvre-feu. C’était plus pour sensibiliser. C’était dur. Nous avons eu des aides venant du gouvernement. Nous disons merci au Président, mais cela ne nous a servi à rien. C’était comme donner un grain de riz pour toute une famille. Il n’y a pas eu d’organisation et cela a été un préjudice énorme. Il y a eu trop de manquements. Nous avons perdu des tournées entre l’Espagne, l’Italie, la Belgique…»


«Aujourd’hui dans la musique, c’est la promotion de la médiocrité»
Retour : «Notre philosophie, ce n’est pas d’être célèbre, d’être connu. Nous sommes en train d’exercer notre métier. Nous jouons de la musique, de la bonne musique pour des gens qui en veulent. On voit qu’aujourd’hui, c’est la promotion de la médiocrité. Nous continuons de faire ce que nous avons à faire et les gens qui ont envie de nous écouter font des efforts pour le faire. Nous ne cherchons pas à nous imposer partout, à faire parler de nous partout au Sénégal. Nous ne sommes pas dans la recherche de buzz. La musique est un métier pour nous. C’est comme un médecin qui va à l’hôpital pour une intervention. Nous faisons beaucoup de musique de films et de documentaires dans le monde. La musique a beaucoup reculé, mais c’est partout dans le monde. Actuellement, la musique en mode est celle qui nous vient du Nigeria, qui a été imposée partout dans le monde. Les gens souffrent pour exposer leur musique. C’est la musique commerciale qu’on est en train de favoriser partout. C’est la musique fast-food ou la musique qu’on écoute avec les pieds. J’aime bien les projets de Jules Gueye trompettiste-jazzman qui fait d’excellentes choses, de la musique recherchée, bien travaillée. Nous savons que ce n’est plus évident de nous imposer au Sénégal.»
Présence à Dubaï : «Nous sommes là pour participer à l’Expo Dubaï 2020. Nous avons l’expérience pour ce genre de rencontres. Nous avons visité plusieurs sites d’exposition universelle. Nous avons visité l’Aténium de Bruxelles. C’était il y a plusieurs années. Nous avons fait la Tour Eiffel. Quand nous avons eu vent de la tenue de l’Expo à Dubaï, nous sommes allés voir le Dr Malick Diop, directeur général de l’Asepex, pour lui dire que nous aimerions participer musicalement à cet événement. C’est comme ça que nous sommes venus ici pour représenter le Sénégal, animer les stands, participer au forum, mais surtout animer la journée nationale du Sénégal, le 13 octobre. Aujourd’hui, nous avons une émission avec la radio Dubaï dédiée à l’exposition et au Sénégal.»
CODOU BADIANE (ENVOYEE SPECIALE A DUBAÏ)