Arrivé en Allemagne en 2010, Erick Salemon Bassène y a trouvé la stabilité avec sa petite famille : sa femme allemande et son fils. Journaliste, naguère correspondant du « Quotidien » en Casamance, formé à l’Université Paris 8 et à l’École supérieure de journalisme de Paris, il est l’un de ces centaines de compatriotes qui ont fait le choix de l’immigration légale dans un pays, où il est plus facile de s’installer quand on est Syrien ou Afghan…

Propos recueillis par Momar DIENG (Berlin)
Vous restez en Allemagne, pourquoi ?
Je suis très bien intégré ici, je maîtrise la langue du pays de
Goethe. J’y travaille et cotise dans la caisse de retraite, assurance
maladie, assurance chômeur… Mais je n’écarte pas l’idée de rentrer
définitivement un jour au pays. Je dois souligner que j’ai encore une
partie de ma famille à Dakar, en Casamance, en Gambie et en
Guinée-Bissau. J’ai également des amis d’enfance et d’université restés
au pays. Je suis toujours en contact avec eux.
Peut-on dire que tu as opté pour «l’immigration choisie » ?
À dire vrai, je ne souhaitais pas aller en Allemagne. Ce n’est pas mon
pays de rêve à l’époque. J’avais choisi le Québec en 2009 après avoir
obtenu le visa pour « travailleurs qualifiés». Entre-temps, ma copine
(devenue ma femme) est tombée enceinte de moi. Nous étions à l’époque à
Ziguinchor où j’étais le correspondant du journal « Le Quotidien ». Après
son accouchement en Allemagne, j’y suis allé dans l’intention de
retourner au Sénégal ou d’immigrer au Québec. Ma femme, elle, voulait
repartir à Ziguinchor. Finalement, pour des raisons strictement
familiales, nous avons décidé de rester en Allemagne. Maintenant,
j’aime bien ce pays. C’est ma deuxième patrie où j’ai mes amis,
collègues de travail et voisins. J’ai renoncé d’aller vivre au Québec.
Je reste ici avec ma famille.
Quelles difficultés vivent les étrangers qui optent pour l’immigration choisie ?
Elles sont multiples, mais à mon sens la langue est le premier écueil
auquel ils sont confrontés. C’est vraiment la clé de l’intégration et de
l’accès au marché du travail pour de nombreux étrangers qui sont ici.
Lorsque je suis arrivé ici, je ne parlais aucun mot allemand.
Maintenant, je parle un allemand académique. La reconnaissance des
diplômes est aussi un problème, surtout pour ceux qui ont étudié dans un
pays non membre de l’Union européenne. Ce n’était pas mon cas, car j’ai
été formé à l’Université Paris 8 et l’École supérieure de journalisme
de Paris. Il me fallait seulement les faire traduire en Allemand. Sans
la langue et sans un bon niveau d’études, ils sont condamnés à faire de
petits boulots mal rémunérés et délaissés par les Allemands d’origine.
De là, découle un certain système d’exploitation par les employeurs.
Ça peut devenir intenable à la fin… non ?
La plupart sont très frustrés et déprimés à cause de leurs conditions
de vie et de leur situation économique, car ils ne parviennent pas à
joindre les deux bouts. Au finish, ils cherchent de l’argent facile en
vendant de la drogue ou se prostituent pour pouvoir compléter la fin du
mois. Généralement, ces histoires finissent mal avec des règlements de
comptes : assassinat, emprisonnement ou/et la reconduite à la
frontière.
L’administration aussi est réputée rigide et rigoureuse dans le traitement des dossiers d’étrangers apprend-t-on…
La bureaucratie allemande est une véritable bête noire pour certains
étrangers. Aussi, la famille et les amis restés au pays exercent des
pressions sur les expatriés pour qu’ils leur envoient régulièrement de
l’argent. Certains d’entre eux ne savent pas dire non. Ils s’endettent
auprès de leur banque pour satisfaire la famille et les amis, et se
retrouvent en fin de compte dans des problèmes financiers.
Quel regard jettes-tu sur l’immigration en général, en Allemagne ?
Tout n’est pas rose au pays d’Angela Merkel. Ce n’est pas facile de
quitter son pays pour aller reprendre à zéro sa vie ailleurs. La vie est
très dure ici. Nous sommes dans un pays où le niveau de vie est trop
élevé, surtout au sud de l’Allemagne. Je pense que c’est à nous,
expatriés, d’oser parler de nos difficultés en Europe à nos petits
frères et sœurs restés au pays. Peut-être que cela pourrait faire
réfléchir certains.
Vous leur en parlez ?
Lors de mes voyages professionnels, je rencontre souvent
des clandestins sénégalais et africains en Grèce, en Italie, en Espagne
ou au Maghreb qui me disent qu’ils veulent «se rendre en Allemagne pour travailler, parce que là-bas, il paraît qu’il y a beaucoup de travail pour les réfugiés».
Si je leur décrit la vie en Allemagne, ils pensent que je cherche à les
décourager. Certains me comprennent, d’autres non. Ils me demandent :
« toi, pourquoi tu es toujours en Allemagne ? Il faut rentrer alors au Sénégal».
En tant que journaliste, en quoi consiste ta mission auprès des réfugiés présents en Allemagne ?
J’avais une double mission parce que j’avais deux employeurs : Epiz de
Reutlingen et la fondation Stephanuswerk d’Isny. Au niveau du centre
d’information pédagogique sur le développement-Epiz, mon travail
consiste, entre autres, à produire une documentation sur les causes
migratoires à travers divers phénomènes : guerres, néo-colonialisme,
accaparement des terres par des multinationales, dégâts sociaux de la
mondialisation, dictatures, famine, pauvreté, etc. J’anime également des
débats à la demande des communes, des associations (qui aident des
réfugiés), lycées et des organismes humanitaires ou caritatives. Je
diffuse également des films sur ces thématiques.
Et à Isny ?
À Stephanuswerk je préparais le plan de communication des réfugiés
mineurs non accompagnés par leurs parents avant leur rendez-vous
d’interview à Bamf, l’office fédéral de l’immigration et des réfugiés.
Je traduisais des textes et lettres de l’allemand au français, du
français en allemand, de l’anglais vers l’allemand. Ils viennent
d’Afrique, d’Europe de l’Est et de l’Asie (Afghanistan, Irak, Syrie,
Kurdistan, Yémen et Pakistan). J’ai souvent appelé au téléphone leurs
parents ou des membres de leurs familles restés au pays, pour avoir des
actes de naissance ou pour compléter une information sur le mineur.
Depuis fin février dernier, je ne travaille plus pour cette fondation.
Je n’ai pas voulu renouveler mon contrat pour me consacrer à ma famille
et à mon travail à Epiz. Mais ce fut une expérience professionnelle très
riche.
Quelle est la politique fédérale (ou dans les Landers) à l’endroit de ceux qui ont choisi de rester et vivre en Allemagne ?
En 2015, la chancelière Angela Merkel a ouvert les portes de
l’Allemagne à des centaines de milliers de candidats à l’asile. Berlin a
dépensé 22 milliards d’euros pour leur accueil. De nombreuses communes,
associations et bénévoles se sont organisés pour les mettre dans de
bonnes conditions. Chaque candidat à l’asile est logé, nourri, habillé,
soigné gratuitement et perçoit mensuellement de l’argent de poche. Le
montant varie en fonction de l’âge et des besoins de chacun d’eux. Il
suit des cours de langue grâce à la subvention de l’État fédéral
allemand. À côté, il faut suivre et réussir les tests de langue B1 et
celui de l’intégration. Le certificat B1 est un niveau intermédiaire
permettant à l’étranger de pouvoir communiquer, lire, s’orienter et
d’intégrer le marché du travail.
Oui, mais après, il y a eu des pressions politiques plutôt négatives sur la chancelière…
C’est vrai, à cause des agressions collectives de Cologne, Stuttgart
et dans de nombreuses villes, des attentats terroristes, des assassinats
et autres crimes présumés causés par ces demandeurs d’asile, la
chancelière, qui a fait l’objet d’une remise en cause sans précédent y
compris au sein de sa famille politique, n’a pas eu d’autre choix que de
lâcher du lest. Elle a mis fin à sa politique migratoire généreuse qui
était la source de son conflit avec son ministre de l’Intérieur, Horst
Seehofer.
Il y a eu un tour de vis anti-migratoire…
Face à la pression de la droite ultra-conservatrice, un plafond annuel
de réfugiés a été fixé à environ 200.000 personnes par an. De nouvelles
règles plus restrictives concernant le regroupement familial, ont été
mises en place le 1er août
2018. À cause des crises à répétition au sein de sa coalition et des
critiques contre sa politique migratoire qui ont fini par la fragiliser,
Angela Merkel en a tiré les conséquences. Elle a annoncé en octobre
dernier, au lendemain d’un énième revers électoral dans la région de
Hesse, qu’elle quitterait la tête de l’État à l’issue de son mandat de
chancelière en 2021 et qu’elle se retirerait de la vie
politique. D’ailleurs, la politique migratoire constitue l’un des enjeux
des élections européennes de mai 2019.
Qu’est-ce que vivre ici t’offre que ton pays d’origine n’a pu te donner ?
L’Allemagne m’a offert un emploi sûr et stable, une assurance maladie
valable sur tout l’espace européen, une assurance pour ma retraite et la
possibilité de découvrir le monde entier.
Vous avez pourtant travaillé au Sénégal ?
J’ai travaillé à Enda TIC-Enda Tiers Monde de Dakar. J’ai été le
correspondant du journal « Le Quotidien » à Ziguinchor pendant plus de 3
ans. Mais mon maigre salaire ne me permettait pas de vivre correctement
(…) alors que je travaillais dans une zone de conflit armé. Je me suis
rendu au moins 4 fois dans le maquis casamançais pour recouper une
information ou pour faire des reportages au prix de ma vie. À chacun de
mes déplacements, je pouvais sauter sur une mine ou recevoir une balle à
la tête. J’ai été mis sous écoute téléphonique, parfois suivi ou pisté
par les renseignements généraux sénégalais. J’ai été menacé de mort. À
cause de ces menaces de mort, j’ai porté plainte contre X au
commissariat de Ziguinchor. Le journal « Le Quotidien » a porté plainte
contre X de son côté à Dakar. Malheureusement, cette affaire a été
classée sans suite. J’ai été également intimidé par les politiques, des
administrateurs civils et même par l’armée sénégalaise à cause de mes
articles. Ce ne sont pas les chefs du Commandement militaire de
Ziguinchor d’alors qui me démentiront.
Propos recueillis par Momar DIENG impact.sn