La campagne pour les primaires républicaines est rythmée par l’apparition de candidats aussi improbables qu’excentriques. Après le milliardaire Trump, place au chirurgien Ben Carson, qui a récemment comparé l’Amérique d’Obama à l’Allemagne nazie.
Le scénario était écrit à l’avance : Jeb contre Hillary, le fils et frère de président contre l’ex-première dame. Bush versus Clinton acte II. Mais le duel annoncé ne séduit pas l’Amérique, qui se découvre régulièrement de nouveaux chouchous. Après la sensation Donald Trump – qui n’est toujours pas retombée – un autre candidat se détache, tout aussi controversé et haut en couleur : Ben Carson.
Quelques heures avant le deuxième débat entre candidats républicains, qui se tient mercredi 16 septembre, c’est lui qui occupe la deuxième place du dernier sondage (Trump est à 27 %, lui à 23 %) loin devant ceux qu’on appelait encore il y a peu les favoris (Jeb Bush et Marco Rubio pointent à 6 %).
Qu’il semble loin le temps où la primaire républicaine s’apparentait à une promenade de santé pour les candidats de l’”Establishement”. Anciens gouverneurs ou sénateurs, protestants bon teint, appréciés des milieux d’affaires, ils étaient naturellement lancés dans la course par le parti quand leur heure semblait venue.
Tout l’inverse de Ben Carson, un ancien chirurgien afro-américain qui n’a jamais exercé le moindre mandat électif.
La star des chirurgiens
L’histoire de Carson semble tout droit tirée d’un scénario hollywoodien. Élevé dans un quartier pauvre de Détroit par une mère célibataire, il veut très tôt devenir médecin et s’emploie à travailler dur à l’école pour accéder à son rêve américain.
Il parvient à intégrer la prestigieuse université de Yale puis l’école de médecine du Michigan avant de devenir, à 33 ans, le plus jeune responsable de chirurgie pédiatrique à l’hôpital John Hopkins de Baltimore, l’un des plus réputés du pays.
C’était après qu’il eut “rencontré Dieu”, un soir où il se repentissait seul dans sa chambre d’avoir donné un coup de couteau suisse à un camarade . “Dieu a entendu mes larmes d’angoisse”, confie-t-il dans sa première autobiographie intitulée “Des mains douées”.
Sa dextérité, ainsi que sa foi (il prie avant chaque opération), font rapidement de lui une star parmi les chirurgiens. En 1987, il parvient à séparer deux frères siamois joints par la tête, une première mondialelargement relatée dans les médias du monde entier.
Devenu un ponte de sa discipline, il est présenté en exemple à la jeunesse afro-américaine déshéritée, sans jamais sembler s’interésser à la politique. Ce n’est qu’à 61 ans, alors qu’il est déjà en préretraite et s’apprête à couler des jours tranquilles avec sa femme dans leur nouvelle propriété de Floride, que son destin bascule à nouveau.
Un petit déjeuner avec Obama
Jusqu’ici connu du seul monde médical, le docteur Ben Carson devient une célébrité auprès du grand public le 7 février 2013.
Ce jour là, il participe au “Petit déjeuner de Prière national”, un événement mondain de Washington auquel assistent notamment Barack Obama et son épouse. La vidéo de l’événement a depuis fait le tour du web. On y voit Ben Carson, à la tribune, comparer l’Amérique d’Obama à la Rome décadente sur le point de s’effondrer.
Assis à deux siège de l’orateur, le président américain perd rapidement son grand sourire, pour le plus grand plaisir de ses ennemis de toujours.
« I love this guy! » (J’adore ce gars”) s’exclame aussitôt Rush Limbaugh, un célèbre animateur de radio ultra-conservateur, dans son émission à très grande audience.
Dès le lendemain, le conservateur et influent « Wall Street Journal » publie un éditorial au titre sans équivoque : “Ben Carson président”. “Le neurochirurgien de John Hopkins n’est peut-être pas politiquement correct, mais c’est le plus pertinent qu’il nous ait été donné d’entendre depuis des années”, peut-on y lire.
Son deuxième livre “America the Beautiful”, publié en 2012, etait passé inapercu. Il se vent désormais comme des petits pains. Il est naturellement embauché par la chaîne conservatrice Fox News, dont l’un des journalistes les plus connus assure qu’il votera pour Carson sans hésiter une seconde, s’il se présente un jour.
Il fait les beaux jours des émissions de la chaîne, où il répète inlassablement son credo – le même que celui qui a récemment fait de Donald Trump un candidat redouté : le politiquement correct est en train de tuer l’Amérique.
“Obama est la pire chose qui soit arrivée à l’Amérique depuis l’esclavage“
Sa liberté de ton est alors totale. Un jour il déclare qu’Obama est la pire chose qui soit arrivée à l’Amérique depuis l’esclavage, un autre il assure que son pays vit une époque en tout point similaire à ce qu’a vécu l’Allemagne nazie.
Une outrance qui fait de lui un bon client pour les médias, d’autant qu’il refuse toujours de s’excuser pour ses propos les plus controversés. Seul remords jamais exprimé par l’ancien chirurgien, celui d’avoir abordé un jour la question de l’homosexualité. Il avait déclaré sur CNN qu’être homosexuel était “un choix”, car, tentait-il d’expliquer, “de nombreux hétérosexuels qui vont en prison en ressortent homosexuels”…
Docteur Carson et le “psychopathe” Obama
Un candidat noir qui a des chances sérieuses de remporter des primaires, certains ont été tentés d’établir un parralèle avec Barack Obama. Mais l’actuel président est surtout la cible préféree de Ben Carson. C’est à lui qu’il réserve ses saillies les plus virulentes, voire les plus obscures. Lors du dernier discours sur l’État de l’union, alors qu’on lui faisait remarquer qu’Obama était élégant, il déclare “comme la plupart des psychopathes. C’est pour ça qu’ils ont du succès. C’est leur apparence, ils ont tous l’air géniaux”.
Des propos, qu’il ne renie nullement, comme à son habitude, et qui ont contraint un journaliste consciencieux du Washington Post à interroger deux psychanalystes sur le sujet. Leur conclusion : “techniquement, Obama n’est pas un psychopathe”.
Son aversion pour l’actuel président est largement partagée par ses concurrents républicains. Mais le fait d’être lui-même afro-américain lui confère un avantage auprès des ultra-conservateurs, régulièrement taxés de racisme. C’est du moins ce qu’estime un analyste politique, cité par le « New York Times », qui imagine qu’il peut servir d’excuse à cette frange de l’électorat : “Vous voyez bien que je ne suis pas raciste, se disent-ils, Ben Carson pense la même chose que moi”.
Une démonstration assez alambiquée mais qui commence à sérieusement inquièter l’ensemble des autres candidats républicains, hormis peut-être Donald Trump. Le promoteur immobilier assure n’être guère impressionné par le chirurgien. “Ben Carson ne va pas être le prochain président, ça je peux vous le dire” a-t-il récemment déclaré sur CNN, minimisant toute menace de celui qu’il considère tout juste comme un “docteur passable” (‘Okay Doctor’).