Pendant l’été, le champ de la recherche du travail est plus diversifié sur les côtes balnéaires de la Catalogne (en Espagne) et partout ailleurs en Europe. Durant cette époque de l´année, les appelés à tort «sans papiers» venant des quatre coins du monde, et aussi une bonne partie des migrants sénégalais s’adonnent à la vente ambulante et à d´autres activités comme faire des tresses à la plage et dans les lieux de promenade des touristes et vacanciers locaux. Ces activités durant des années ont constitué l’apanage du collectif sénégalais et leur ont rapporté des gains notables et une stabilité de travail dans le secteur informel espagnol et dans lequel ils ne représentent qu’une minorité.
Avec la période de vaches maigres et surtout avec la vente des produits d’imitation, certains commerçants européens prétendent faire d’eux des boucs-émissaires de la situation de crise que traversent les commerçants de ce secteur. Ces «produits de marques» falsifiés dont sont friands les touristes et une bonne partie de la population sont répandus à grande échelle dans le marché informel européen particulièrement italien, espagnol et grec. Pourtant les sénégalais représentent le maillon le plus faible et visible de cette longue chaine de transmission du faux. Les plus gros bonnets de cette industrie sont généralement Espagnols ou Italiens, voire même Grecs. Le sociologue français Alain Tarrius a pourtant documenté sur de telles pratiques les quinze dernières années. Il a appelé, cette longue chaine de transmissions du faux qui prend souvent naissance dans l´Italie alpine, les «fourmis de l´Europe» (en référence aux Marocains qui se sont spécialisés dans le faux). Les «faussaires Européens», quant à eux, sont très peu inquiétés par les autorités répressives des différents pays, car l’idée que les responsables sont ces vendeurs là empêchent de remonter de façon sérieuse jusqu’à l´origine du faux ou simplement manque de volonté politique de le faire.
Actuellement, le collectif sénégalais est en proie à des tensions et conflits latents avec les associations de commerçants espagnols basés dans les zones touristiques. Cette situation constitue un casse-tête pour les institutions locales qui pendant longtemps ont fait la «sourde oreille», fermant donc les yeux sur la vente ambulante bien qu’elle soit légalement interdite. Cette tolérance est due au fait que les migrants pour des questions «d’irrégularité administrative» ne peuvent pas s’incorporer dans le marché de travail régulier. Donc, pour gagner leur vie, plutôt que verser dans la délinquance, ils s’adonnent à ce commerce et entrent souvent en tensions avec les commerçants «autochtones» qui voient en leurs activités une concurrence déloyale.
Les ordonnances municipales en matière de l’occupation de la voie publique mettent face à face les polices municipales et les vendeurs ambulants. Cependant, il faut remarquer que les relations entre les polices municipales et les vendeurs ambulants ont toujours été marquées par des heurts au quotidien et même souvent des abus de pouvoir. A plusieurs reprises, certains agents de police ont eu des pratiques peu orthodoxes à savoir faire main basse sur les avoirs des vendeurs ambulants en les menaçant de les conduire à la brigade de police des étrangers, donc à l´expulsion. Parfois aussi, un discours vexatoire de certains agents entraine des réactions de self défense de l’amour propre des vendeurs ambulants qui aboutissent parfois à des affrontements. Devant ces faits sporadiques, on essaie de taxer à tort la communauté de vendeurs ambulants de violents et on ferme les yeux sur les causes.
A Barcelone les célèbres promenades de la Rambla et de Vila Olimpica ont été pendant longtemps et continuent d’être le théâtre de persécution des vendeurs ambulants surtout Africains, Chinois et Bangladeshi. A Madrid, Valence et partout ailleurs en Espagne, les tracasseries policières et les interpellations sont le lot quotidien des migrants et surtout les «sans papiers». En ce qui concerne Barcelone, la communauté sénégalaise qui se dédie à cette activité après plusieurs actes d’abus de pouvoir de la part des policiers a fini de les dénoncer au niveau de la Justice, mais sans en obtenir gains de cause.
Pendant l’été 2007, un jeune sénégalais fut heurté par une voiture à la suite d’une course poursuite avec la police municipale dans les rues hyper mobiles de Barcelone. La communauté sénégalaise à travers son association a médiatisé le cas et a entreprise des négociations avec les autorités municipales pour trouver une solution à la tension née de cette affaire à l´époque. Une fois que la situation s´est accalmée et la pression médiatique diminuée, la Mairie a donnée aucune d’importance au cas.
En août 2012, c’était à Alicante et les villes voisines où les Sénégalais et les Sénégalaises, établis depuis des années, que le torchon a brûlé. Pourtant, les Sénégalais étaient et continuent d’être bien vus dans leurs activités de vente ambulante là-bas tant que la «prospérité» des Espagnols, dans ces dernières années de gloire économique, n´était pas remise en cause. La preuve de cette convivialité c’est cette volonté notable et le rôle actif des associations sénégalaises dans les différentes localités.
Une semaine après Alicante toujours en 2012, c’est encore à Mallorca que les vendeurs ambulants se sont heurtés avec les touristes étrangers dans un lieu très transité. Quelque que soit les causes de cette nouvelle bataille, cela n’a pas donné bonne presse au collectif déjà indexé à tort ou à raison.
Les Sénégalais avaient salué à l’époque la venue à Alicante de ABC l´ancien Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur pour une action de médiation. Cette visite du Ministre qui avait surpris, avait eu un impact positif dans la gestion des tensions. C’était une première en Espagne. Les Sénégalais croyant de façon ferme à l’importance des Institutions républicaines, continuent de réclamer une relation de proximité, donc que le contact avec la «diaspora sénégalaise» établie en Espagne pour renforcer une collaboration efficace en tenant en compte les rôles et responsabilités de chaque acteur. Malheureusement, au niveau de la diaspora aujourd’hui, il ya le sentiment que leur Ministère de tutelle et les directions ou services rattachés ne donnent pas entière satisfaction. Devant cette situation la diaspora gère au quotidien avec les moyens du bord la problématique migratoire en s’appuyant sur les associations et dahiras pour assurer l’accueil et l’accompagnement dans les processus d’intégration devenus difficiles dans ces moments de crise économique.
Devant cette situation, en Espagne et ailleurs, les crises sporadiques résultat de conflits latents continuent et parfois font la une de l’actualité comme récemment à Salou. Les causes de ces crises aussi demeurent parce que liées à une situation structurelle qui met les migrants ”sans papiers“ dans des situations de vulnérabilité et les poussent parfois à vivre à la marginalité qu’ils optent parfois comme dernier recours devant le manque d’opportunité d’insertion économique et sociale par les voies normalisées et régulières.
Cet été encore à Barcelone, la vente ambulante et nos compatriotes qui la pratiquent sont au cœur de l’actualité. Cette crispation atteint son paroxysme avec la mort de notre compatriote Mor Sylla le mardi 11 août à la suite d’une descente de la police autonome (Mossos d’Esquadra) dans leur appartement en persécution de matériel falsié.
Evidemment, devant la mort de Mor Sylla la réaction solidaire de nos compatriotes qui vivent dans cette municipalité ne s’est pas fait attendre car il est impossible dans de pareil cas de réagir autrement. Pour la communauté sénégalaise, le fait de se lever le matin avec une triste et inattendue nouvelle de la mort d’un compatriote dans une telle circonstance a entrainé une réaction spontanée et légitime qui a eu des effets collatéraux certes que nous pouvons déplorer. Mais ce que nous ne pouvons pas admettre ni cautionner comme communauté et structures associatives, c’est qu’une certaine presse, une partie de la société et des politiques de tendance xénophobe tentent de frivoliser la mort de notre compatriote en donnant plus valeur aux dégâts sur le mobilier urbain.
La pénalisation pour quelques heures des services de train de la ligne qui passe par cette ville et quelques actions non contrôlées de nos compatriotes ont motivé des réactions exagérées d’une certaine presse et certains citoyens/es avec une dose subtile de xénophobie, une volonté de stigmatiser et criminaliser une communauté. Pourtant dans le passé des actions plus vandaliques des antis système et qui ne sont pas le résultat d’une mort, ont causé plus de dommage sur le mobilier urbain dans certaines villes mais les réactions n’ont pas été aussi bestiales. Ici certains mettent plutôt l’accent sur le matériel donc sur le mobilier urbain alors que la communauté sénégalaise endeuillée, déplore une perte humaine que nul ne peut compenser ni sur le plan matériel ni sur le plan émotionnelle pour toute sa famille éplorée inclue la diaspora sénégalaise en Espagne et dans le monde
Devant cette situation de crispation, de désolation, de frustration et d’impuissance, dans un environnement de conflits et de tensions, tous n’ont pas la même préparation ni le soutien psychologique pour résister et surtout trouver des alternatives. Ce qui fait qu’aujourd’hui le collectif sénégalais appelle à une alerte urgente qui mériterait une réflexion d’ensemble qui devrait être prise au sérieux avec l’implication de tous les acteurs.
Comment donc aborder cette question à défaut d´une politique migratoire claire de notre pays? Une politique qui aborde les migrations à temps dans les pays de départ, de transit et de destination. Si cette politique est en voie de définition, la sagesse politique appelle à oser aborder la question en impliquant les différents acteurs et en premier chef les migrants et leurs structures représentatives.
La mort de notre compatriote Mor Sylla à Salou/Espagne (paix à son âme) nous interpelle comme diaspora à une meilleure organisation pour faire face au besoin avec les moyens matériels et humains devant de tels cas.
Je salue au passage à sa juste valeur la prise en charge par le Gouvernement du Sénégal du rapatriement du corps de notre compatriote. Certes l’État n’a pas les moyens matériels de prendre en charge tous les rapatriements ou cas sociaux, mais à situation exceptionnelle action exceptionnelle à mesure.
En réclamant justice comme diaspora sénégalaise établie en Espagne, nous devons nous doter de moyens pour faire face aux procédures parfois longues astucieuses où gagnent les mieux préparés. C’est pour cela, que nous revenons demander à l’Etat du Sénégal son assistance sociale et judiciaire car sans moyens, généralement prévalent les évidences de l’adversaire donc de la police et les dossiers classés sans suite (cas d’un compatriote mort à Almeria / Espagne).
Certes dans de tels cas, les familles sont les principales concernées mais si la diaspora était plus structurée qu’elle n’est et avec des moyens, elle pourrait aussi se présenter ici dans ce cas précis de Salou comme accusation populaire et cela renforcerait et donnerait support à la famille dans la randonnée judiciaire qui peut s’avérer longue et couteuse.
Devant de tels cas, notre indignation toujours est totale et nous la manifestons dans les règles de la démocratie en convoquant des manifestations et concentrations pour réclamer justice. Mais, devant l’adversité de la pression médiatique partisane, une partie de la société avec une arrière garde politique réactionnaire qui nous considère comme semeurs de troubles, et si à cela nous ajoutons notre faible organisation comme collectif, notre indignation a toujours les risques de se transformer en frustration et l’impuissance.
Je déplore ici notre faible organisation en tant que diaspora parce que comme sénégalais/es nous sommes exigeants pour la performance résultat de la santé notre culture démocratique. Donc appeler à une meilleure organisation structurelle de la diaspora est un exercice de surmonter les adversités parfois subjectives qui bloquent toutes les initiatives d’union et fragilisent nos actions et parfois mettent en doute notre rôle d’acteurs de développement même si nous contribuons à 10 du PIB du pays.
Chers lecteurs, nous allons nous quitter par un dicton des Haalpulaar (ceux qui ont en commun la langue Peule) qui ont l´habitude de dire: booji jaama daacitake e goto. En Somme: «Aucun peuple ne doit laisser le cri de détresse au mains d’une seule personne!». Un émigré avertit en vaut deux !
Par Amadou Bocar Sam Daff
Président de la coordination des Associations sénégalaises de la Catalogne(CASC) et membre fondateur de la Fondation des Emigrés des Sénégalais (FES) et de la Fédération des Associations et Organisations Sociales des Sénégalais en Espagne(FAOSSE)