ZOOM – Mort à l’âge de 43 ans des suites d’un cancer, l’acteur américain Chadwick Boseman avait accédé à la gloire grâce au blockbuster « Black Panther », sorti en 2018. Un rôle hautement symbolique dans un film qui l’était tout autant. Explications.
Pour écrire son histoire, un comédien a parfois besoin de s’approprier celle des autres. En 2013, Chadwick Boseman a déjà 37 ans lorsqu’il incarne Jackie Robinson, le champion dont l’ascension mettra fin à la ségrégation dans le monde du baseball professionnel. Le film s’intitule 42, le numéro de l’ancien joueur des Dodgers, et marque un tournant dans la carrière du comédien, fils d’une infirmière et d’un petit entrepreneur de Caroline du Sud.
Après une décennie bien remplie entre les plateaux de série télé et les planches de Broadway, son étoile brille enfin à Hollywood. La même année, ses talents de chant et de danse lui permettent d’interpréter James Brown dans le biopic Get on up. Etourdissant dans la peau du « Godfather of soul », il entre dans le cercle encore trop fermé des comédiens noirs que les producteurs envisagent dans un premier rôle, à la manière d’un Will Smith ou d’un Denzel Washington.
Le premier superhéros noir chez Marvel
« Lorsqu’un jeune comédien blanc avait droit à quinze prises, j’en avais droit à trois. Lorsqu’il avait neuf chances de se planter, je n’en avais qu’une« , expliquera Chadwick Boseman dans Rolling Stone en 2018. Des épreuves qu’il porte en lui lorsque les studios Marvel l’approchent pour le projet Black Panther, longtemps porté par Wesley Snipes qui fut, dans les années 1990, le superhéros vampire Blade.
Black Panther, c’est un personnage crée en 1966, dans une Amérique secouée par les combats du mouvement pour les droits civiques. Son apparition précède toutefois la création du mouvement politique du même nom. Soucieux d’intégrer des personnages noirs dans leurs publications, les auteurs Stan Lee et Jack Kirby ont imaginé T’Challa, un être doté d’une force surhumaine et d’une intelligence supérieure qui règne sur le Wakanda, un pays africain imaginaire qui bénéficie d’une technologie avancée lui permettant de se protéger de ses ennemis.
A l’époque, Black Panther devient un symbole pour les jeunes lecteurs afro-américains, privés de représentation dans l’univers des comics. Il y aura par la suite Falcon, Luke Cage ou encore Blade. Mais T’Challa reste le plus iconique d’entre tous et il faudra donc patienter de longues années, jusque 2014 précisément, pour que Kevin Feige, le grand patron de Disney qui a racheté Marvel quelques mois plus tôt, annonce l’arrivée du personnage sur grand écran sous les traits de Chadwick Boseman. Hollywood n’avait jamais produit un blockbuster aussi splendidement noir- « Time Magazine » en 2018
Comme dans les années 1960 où il dû ferrailler aux côtés des Quatre Fantastiques avant d’avoir sa propre bande-dessinée, Black Panther fait une première apparition dans Captain America : Civil War en 2016. La réaction des fans est unanime, Chadwick Boseman lui insufflant un mélange de force et de sérénité savoureux, mais la maison de Mickey n’imagine sans doute pas encore l’impact culturel – et le succès commercial – que le film Black Panther va avoir.
« Hollywood n’avait jamais produit un blockbuster aussi splendidement noir », écrira dans Time Magazine le journaliste Jamil Smith à la sortie de Black Panther, en 2018. Excessif ? Même pas. Pour bien comprendre le phénomène, il faut se rappeler qu’au printemps 2016, plusieurs personnalités comme Will Smith et sa femme Jada avaient boycotté la cérémonie des Oscars dans le sillage du mouvement #OscarsSoWhite, dénonçant l’absence de comédiens noirs parmi les nominés. Et au-delà le sort réservé aux minorités ethniques par Hollywood, devant et derrière la caméra.
Ce n’est donc pas un hasard si la réalisation de Black Panther est confiée à un jeune réalisateur noir, Ryan Coogler, auteur remarqué de Fruitvale Station et de Creed. C’est également la première fois qu’une superproduction budgétée au-delà des 200 millions de dollars est majoritairement interprétée par des comédiens noirs. Chadwick Boseman dans le rôle-titre, donc. Mais aussi Michael B. Jordan, Lupita Nyong’o, Daniel Kaluuya, Danai Gurira, réunis dans un divertissement à la dimension politique plus qu’évidente.
Il s’est battu pour l’accent africain du personnage
« En tant qu’afro-américain, je sais à quel point nous pouvons être déconnectés de nos ancêtres, de notre culture et de nos traditions« , expliquera Chadwick Boseman dans Rolling Stone. « Ce film, c’est ma manière de les retrouver« , ajoutera l’acteur, dont la famille est originaire de Sierra Leone. Dans un autre entretien au Hollywood Reporter, il révélera s’être battu auprès de Disney pour que les personnages du film parlent avec un accent africain, certains craignant une réaction négative d’une partie du public.
« Je ressentais exactement le contraire. Du genre, si je parle avec un accent britannique, que se passera-t-il quand je rentrerai à la maison ? Pour moi, c’était ça ou rien. Je me souviens leur avoir dit : ‘si je perds cette bataille, qu’allons-nous devoir lâcher ensuite pour mettre quelques personnes à l’aise ?« . Dans sa quête d’authenticité, l’acteur a vu juste.
A sa sortie en février 2018, Black Panther triomphe non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe, en Afrique, en Amérique Latine, en Chine et même en Arabie Saoudite où il est le premier film projeté au cinéma en 35 ans ! Avec 1,3 milliard de dollars de recettes, c’est le troisième plus gros succès de l’histoire du cinéma pour un film de superhéros, dépassant de très loin les attentes de ses producteurs. Cerise sur le gâteau : 7 nominations aux Oscars, dont celle du meilleur film. Du jamais vu pour un Marvel.
Les fans ne veulent pas d’un nouvel acteur
Personnage discret, Chadwick Boseman ne dira rien du mal qui le ronge. L’acteur lutte en effet contre un cancer du côlon qui lui a été diagnostiqué dès 2016. Courageux, il a enchaîné les tournages. Celui de Black Panther, de Avengers : Infinity War et Avengers : Endgame. Mais aussi de Marshall, dans lequel il incarne le premier juge noir nommé à la Cour Suprême des Etats-Unis. Une autre figure de l’histoire de la communauté afro-américaine qu’il honore encore dans Da5Bloods de Spike Lee où il joue l’un des membres d’un commando noir au Vietnam tué sur le champ de bataille.
On reverra Chadwick Boseman au cinéma l’an prochain dans Ma Rainey’s Black Bottom, un film dans lequel il incarne le guitariste de l’une des pionnières de la musique noire, jouée par Viola Davis. Alors qu’il devait retrouver le personnage de Black Panther dans une suite programmée pour 2022, de nombreux fans demandent sur les réseaux sociaux à Disney de ne pas le remplacer. Seront-ils entendus ?