
Une partie de ces migrants a obtenu l’asile en Italie, d’autres sont en situation irrégulière. La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté un jeune homme résidant dans le plus grand ghetto de la région, à Rignano (sud, à 170 km de Naples). Il a filmé les conditions de vie des travailleurs avec son téléphone portable.
Ousmane Kassambara, 28 ans, est un de ses amis. Travailleur migrant originaire du Mali, il a passé deux ans à la solde des « caporali », vivant dans un ghetto et ramassant des tomates pour un salaire dérisoire. Il a accepté d’expliquer le fonctionnement de ce système souvent comparé à de l’esclavage moderne.
En 2006, 27 « caporali » de diverses nationalités ont été mis en examen par la justice italienne pour « trafic d’êtres humains » et « réduction en esclavage ». L’ONG Oxfam estime par ailleurs que le système du « caporalato » est une forme d’esclavage moderne.
« Je suis payé 3,50 euros pour remplir une caisse de 300 kg de tomates »
Tous les étés depuis trois ans, je fais la récolte des tomates.
Je suis payé 3,50 euros par caisse pour remplir une caisse de 300 kg de tomates. Ceux qu’on appelle ici « caporali » [caporaux] ou « capo nero » [capos noirs], sont des Africains ou des Arabes qui ont fait ce métier, mais qui ont « réussi ». Ils sont en Italie depuis sept ou huit ans, parlent bien la langue et possèdent au moins une fourgonnette. Ils sont les intermédiaires entre nous, les travailleurs, et les Italiens [propriétaires des exploitations agricoles].

Le propriétaire paye au capo 7 ou 8 euros par caisse [de 300 kg], lui nous donne seulement la moitié. Je dois aussi payer 5 euros au capo pour le voyage quotidien jusqu’au champ, et si on veut un sandwich ou une bouteille d’eau, il faut payer aussi [environ 5 euros pour un sandwich, 3 pour une bouteille d’eau]. C’est l’arnaque et les cadences sont infernales.
Je suis resté deux ans dans le ghetto de Rignano, été comme hiver, saison durant laquelle je faisais d’autres petits boulots. À une période, je ne suis pas allé en ville pendant six mois. On est loin de tout. Il faut payer 10 euros à un taxi illégal pour se rendre quelque part.

Les habitations où on loge sont construites avec des matériaux de récupération qu’on trouve un peu partout… en ville, dans les maisons abandonnées. On doit par contre louer une fourgonnette 60 euros pour les apporter au ghetto. J’ai par exemple fabriqué ma propre « maison », avec des planches et des morceaux de plastique.

Les baraques du camp de Rignano, parfois construites dans de vieux camions ou caravanes. Photo publiée en octobre 2017 sur Google Maps.
Mais certains préfèrent louer un matelas dans une « maison » déjà construite. Là-dedans, ils dorment parfois à trente ou quarante personnes, et payent environ 35 euros pour deux ou trois mois de saison.
Pour avoir de l’eau, il faut en prendre au camion-citerne qui passe tous les trois ou quatre jours. Tout le monde vient en prendre avec son bidon. Pour se laver avec de l’eau chaude, il faut payer 1 euro à des Burkinabès qui s’occupent de la chauffer. Pour les toilettes, on va dans les champs des environs…
L’hiver, on est quelques centaines. L’été, on est généralement entre 2 000 et 3 000 personnes à vivre là. Il faut un peu mettre de l’ordre, on a donc des représentants, environ trois par pays d’origine, et quelques « policiers » [informels]. Quand quelqu’un a un mauvais comportement, il doit payer une amende. S’il recommence, il est viré du ghetto.
Notre Observateur espère ne pas avoir à travailler à nouveau dans les récoltes l’été prochain. Il loue désormais une maison dans un village en Italie, et vit de petits boulots dans des stations balnéaires.

Les campements d’un autre ghetto, situé à Boreano, à 80 km de celui de Rignano. Photo prise par Francesco Castelgrande en avril 2016.
Depuis, les autorités tendent d’endiguer le phénomène mais doivent faire face à un puissant système mafieux, notamment celui de la mafia calabraise ‘Ndràngheta, à laquelle seraient liés de nombreux « caporali ».