Guatemala : Jimmy Morales, un président « comique » et sans expérience politique

Jimmy-MoralesLassés par les scandales à répétition de leurs élites, les Guatémaltèques ont élu dimanche un ancien humoriste à la tête du pays. Sans étiquette, sans expérience politique et sans programme solide, Jimmy Morales s’apparente à un ovni politique.

C’est une sévère déculottée pour les partis politiques traditionnels. Jimmy Morales, acteur comique de 46 ans a remporté, dimanche 25 octobre, l’élection présidentielle au Guatemala avec plus de 69 % des voix. Dans le pays le plus pauvre d’Amérique centrale où l’affairisme va de pair avec le clientélisme et où la population est exaspérée par les scandales de corruption, les électeurs ont choisi de porter à la tête de l’État un parfait inconnu du sérail politique.

Paradoxalement, donc, c’est l’inexpérience politique de Jimmy Morales qui fut son atout principal. « Il est différent et c’est ce qui plaît, explique Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique latine à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Ce vote traduit une sanction à l’égard des partis traditionnels ». Morales partait pourtant de très loin. Au mois de juin, il n’était crédité que de 0,5 % des intentions de vote. En quelques semaines, soutenu par le FCN-Nation, un parti ancré à droite, il a réussi le tour de force de rattraper son retard, de se hisser au second tour, et finalement de rafler la magistrature suprême.

Un exploit réalisé au nez et à la barbe de professionnels de la politique comme Sandra Torres, son challenger, ex-Première dame du Guatemala, qui n’a récolté que 31,4 % des voix. Cette « méfiance » des électeurs à l’égard des partis traditionnels n’est pas vraiment une surprise, selon Jean-Jacques Kourliandsky. « Le président sortant [Otto Perez Molina] a été arrêté pour corruption [le 3 septembre], la population a voulu sanctionner son élite politique ». Otta Perez Molina est accusé d’être au cœur d’un vaste scandale de fraude au sein des douanes, réseau qui serait responsable du détournement de 3,8 millions de dollars entre mai 2014 et avril 2015.

« On lui demande de ne pas appartenir à une mafia »

Pendant sa campagne, Jimmy Morales a su habilement faire de ce scandale une force. Son slogan « Ni corrompu, ni voleur » a fait mouche dans un pays où 53,7 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Et qu’importe si son programme politique est jugé inexistant par ses rivaux, il passe pour un honnête homme. « On ne lui demande pas un programme, on lui demande de ne pas appartenir à une mafia, précise Jean-Jacques Kourliandsky. On lui demande d’être hors système ».

Et c’est exactement ce qu’il est. Animateur d’une émission humoristique à la télévision, acteur comique et producteur de cinéma, Jimmy Morales n’a jamais côtoyé les cercles de pouvoir. Mais plutôt le monde des paillettes. « Pendant 20 ans, je vous ai fait rire, je vous promets que si je deviens président, je ne vais pas vous faire pleurer », a lancé Jimmy Morales durant sa campagne. Avec son sourire hollywoodien et sa bonhomie naturelle, il s’est fait connaître et aimer du grand public. Avec son frère, il participe à des « moralejas », des sketchs (kitchs) et comiques parodiant la mafia et les travers de la société. Il a également réalisé sept films.

LES « MORALEJAS » DE JIMMY MORALES

En 2007, c’est son rôle de « Neto », un cowboy naïf sur le point de devenir…. président par accident (!) qui assoit sa notoriété. « À l’instar de Beppe Grillo [homme politique italien, ancien humoriste, fondateur du mouvement 5 étoiles] Jimmy Morales était très populaire dans son pays avant de se lancer en politique », précise le spécialiste de l’Amérique latine.

Un homme politique conservateur

Reste que, malgré sa sympathie, Jimmy Morales ne compte pas que des partisans. D’aucuns critiquent ses soutiens au sein du FCN-Nation, parti créé en 2008 par d’anciens militaires soupçonnés de violations des droits de l’Homme durant la guerre civile (1960-1996).

D’autres l’accusent de racisme. C’est le cas d’Alba Cecilia Merida, anthropologue, militante des droits de l’Homme au Guatemala. « C’est un homme quelconque et un comédien très raciste : tous ses sketches comiques sont basés sur la figure de l’Indien dont il se moque. Il donne une image péjorative des Indiens : des gens ignorants, bêtes… », a-t-elle déclaré sur RFI.

Jimmy Morales ne renvoie pas non plus l’image d’un homme politique particulièrement progressiste. « C’est un évangéliste. Et comme tout évangéliste, il place la rigueur morale au-dessus de tout. C’est donc un homme très conservateur. On sait, par exemple, qu’il est contre le mariage homosexuel », précise Jean-Jacques Kourliandsky, ou encore contre l’avortement, contre la légalisation du cannabis. On sait aussi qu’il partage l’idéologie libérale. « Ce qui est étonnant, c’est qu’après avoir porté au pouvoir Otto Perez, un homme de droite, corrompu, on aurait pu penser qu’un parti de gauche ou de centre-gauche aurait eu les faveurs des Guatémaltèques, mais ce n’est pas le cas », ajoute le spécialiste.

Le plus dur pour Jimmy Morales reste désormais l’exercice du pouvoir. « Il n’a aucune connexion politique, il n’a jamais eu de mandat. Il lui reste tout à construire ».