La question sensible du divorce au sein des couples d’immigrés africains mariés vivant en Occident

Bien que considéré par beaucoup de gens comme une institution sacrée, une prescription religieuse, comme le soubassement incontournable sur lequel l’on devrait fonder une famille, par conséquent une société, qui n’est rien d’autre qu’un agrégat organisé de familles, le mariage a perdu de sa superbe au fil des années. Ce qui s’est soldé par un désenchantement qui a, entre autres, pour corollaires la prolifération des divorces et la montée en flèche des unions libres. Les époux immigrés, à l’instar de beaucoup de couples mariés à travers le monde, n’échappent pas à la menace de divorce qui – lorsqu’elle s’accomplit – peut laisser dans son sillage une noria de conséquences.

senegalais-france-500x330Pourtant, dans une certaine mesure, l’étranger semble être un endroit idéal pour la préservation et la pérennisation de l’union des couples d’immigrés mariés. Car, si leur mariage est basé sur l’amour, la distance, la solitude et les objectifs communs de réussite…peuvent leur permettre de renforcer la solidité de leur couple. Qui plus est, ils  sont éloignés de leur pays d’origine qui est quelquefois l’univers tendu et étroit où leur entourage proche (parents, beaux-parents, « amis »…) est parfois prêt à tout pour les séparer, dût-il recourir au maraboutage ou à d’autres artifices malveillants. Dans nos pays où la frontière entre la  sphère publique et la sphère privée est très ténue, il est souvent difficile pour des époux voulant mener leur vie de couple à leur convenance de faire fi de certaines réalités sociales et traditionnelles et/ou de mauvaises influences…qui ne vont pas toujours dans le sens de la consolidation de leur ménage.

Si les couples d’immigrés mariés échappent aux dangers qui peuvent  parfois les guetter, les mettre à l’épreuve en allant parfois même jusqu’à les briser dans leur pays d’origine, qu’est-ce qui peut expliquer leur éclatement dans leur pays de résidence? Cette question est d’autant plus intéressante que certains d’entre eux ont  la chance d’avoir une bonne situation professionnelle et financière, ce qui, en plus de l’amour, constitue un bon facteur de stabilité du mariage. Cette situation laisse penser qu’il existe des spécificités géographiques et sociales quant aux causes du divorce, c’est-à-dire mis à part certains motifs généraux pouvant provoquer la rupture de n’importe quel couple à travers le monde, il existe d’autres facteurs qui peuvent être différents d’une région à une autre, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre, d’une culture à une autre. Ces spécificités peuvent entrainer des conséquences différentes.

D’aucuns pourraient objecter que bien que la distance puisse être un gage de sécurité pour la préservation et la pérennité de l’union de beaucoup de couples d’immigrés mariés, elle peut aussi  être un danger ou un inconvénient pour sa longévité. Car elle peut constituer un obstacle aux médiations que l’entourage proche du couple comme les amis, les belles-familles, parfois même l’autorité religieuse du quartier pourrait faire en cas de divorce ou de problèmes de ménage, comme c’est souvent le cas en Afrique. Il faudrait leur répondre qu’avec le développement des nouvelles technologies, ces médiations demeurent toujours possibles, même si les effets escomptés peuvent être différents à cause de la distance, de l’accessibilité et de bien d’autres facteurs. Ces mêmes moyens peuvent toutefois aussi être utilisés pour avoir les effets contraires. Mais les mêmes raisons peuvent entamer  leur efficacité ou les rendre inopérants.

Il existe beaucoup de problèmes qui peuvent être spécifiques aux couples d’immigrés mariés, comparés à ceux vivant dans leur pays natal. Le cas des conjoints qui travaillent est très courant en Occident, mais l’est beaucoup moins en Afrique. Dans ce genre de situation, une simple question de non-concordance des emplois du temps des époux, les questions relatives aux travaux ménagers et à l’éducation et à la garde des enfants… peuvent secouer leur ménage. Dans beaucoup de pays africains, il y a une sorte de « division du travail » qui veut que ce soit souvent la femme qui s’occupe de tout ce qui a trait aux tâches domestiques. Certains maris immigrés africains veulent toujours garder ce privilège. Or, les réalités différentes de leur pays de résidence doivent les pousser à changer d’attitude. Car si, en plus de son travail dans son entreprise, c’est la femme qui doit tout faire dans la maison, elle finira inévitablement par être frustrée, ce qui peut être fatal pour sa vie de couple.

L’infidélité, qui n’a pas de nationalité, encore moins de frontières, est une menace et une cause permanente de divorce qui guette tous les couples mariés du monde. Toutefois, la tentation peut être plus grande dans certains pays que dans d’autres. Dans une société sans tabou, avec moins de pression sociale et plus de lois protégeant les libertés et orientations sexuelles, la tentation peut y être plus grande pour beaucoup de personnes, parce qu’elles peuvent s’y sentir plus en sécurité et en liberté pour mener leur vie sexuelle comme elles l’entendent. Vu de cet angle, l’Occident, peut être un endroit où les couples d’immigrés africains mariés peuvent être plus exposés à la tentation de l’infidélité qui peut faire éclater leur mariage, bien que des changements soient en train de s’opérer dans beaucoup de sociétés africaines où le sexe naguère tabou commence à « avoir voix au chapitre » dans les débats publics.

Le mariage de complaisance existe partout, mais pour deux concitoyens vivant dans leur pays natal, il est impossible qu’il y ait un mariage pour les papiers, à moins que l’un  d’eux ou les deux disposent en même temps de la citoyenneté d’un autre pays. Beaucoup d’immigrés sans-papiers sont souvent obligés de recourir au mariage de raison pour régulariser leur situation administrative dans leur pays de résidence. Une fois leurs objectifs atteints, certains d’entre eux n’hésitent pas à chercher le divorce.

En Occident, beaucoup de femmes d’immigrés africains jouissent de certains droits dont elles ne disposent pas toujours dans leur pays d’origine, pour moult raisons. Certaines d’entre elles, parfois malveillantes et plus animées par l’esprit de lucre, peuvent chercher le divorce par beaucoup de moyens dont elles ont le secret. Car elles savent, dans la plupart des cas, que ce sont les hommes qui quittent le domicile familial, surtout en cas de violence conjugale. Elles pourraient alors bénéficier d’une importante pension alimentaire si elles ont un mari riche, gagner leur procès avec des dédommagements conséquents si le divorce se termine devant le juge, qui pourrait en outre leur accorder la garde de leurs enfants. Donc, un divorce peut être enrichissant dans certains pays occidentaux. Beaucoup d’autres facteurs tels que l’incompatibilité culturelle et cultuelle pour les couples mixtes et la gestion financière de la maison  peuvent être à l’origine de certaines ruptures au sein des couples d’immigrés mariés.

Mais, quel que soit le motif de la séparation du couple, il peut y avoir beaucoup de conséquences tant sur les conjoints que sur leurs enfants, s’ils en ont. En Occident le divorce est généralement plus compliqué qu’il ne l’est dans beaucoup de pays africains parce que, la plupart, pour ne pas dire tous, se terminent devant un juge, à moins une solution à l’amiable ne soit trouvée. Ce qui n’est pas souvent le cas, car c’est rare que les gens divorcent « bien », quand ils se séparent. Cependant, pour préserver certains intérêts communs et pour une meilleure éducation des enfants, le cas échéant, il peut arriver que la séparation se fasse à l’amiable.

Après un divorce, il sera difficile de faire la part des choses dans l’hypothèse d’une communauté de biens, et en cas de paiement à deux des crédits contractés par les conjoints à la suite de l’achat d’une maison, d’une voiture… et d’investissements communs effectués dans leur pays d’origine où ils projetaient retourner après un certain nombre d’années passées à l’étranger. Certains immigrés divorcés, condamnés par la justice de leur pays de résidence à verser une pension alimentaire mensuelle à leur ex-femme, ont parfois préféré retourner à leur pays natal ou aller vivre ailleurs plutôt que de rester dans leur pays d’accueil pour travailler et verser de l’argent à une femme qui vit peut-être avec un autre homme. Le divorce peut avoir d’autres conséquences désastreuses. Il peut briser une vie et ruiner une carrière, parce qu’à sa suite, il peut arriver que l’un des époux vivant et travaillant légalement dans son pays de résidence y devienne sans-papiers et perde par conséquent son travail. Ne disposant encore de la citoyenneté de ce pays, ou ayant un statut administratif précaire, le renouvellement de ses papiers qui lui permettent d’y vivre et d’y travailler légalement peut être assujetti au statut administratif de son ou sa partenaire. Or, en cas de divorce il peut y avoir une  impossibilité de les faire renouveler, car dans beaucoup de pays occidentaux, il faut non seulement une présence physique des deux époux lors du renouvellement des papiers -ce qui sera compliqué à la suite d’une rupture difficile – mais il faut aussi, en cas de regroupement familial, par exemple une vie commune pendant un certain nombre d’années durant lesquelles le couple ne doit pas se séparer, sous peine de voir annuler le statut légal qui a permis à l’un des conjoints qui a bénéficié  de cette procédure pour pouvoir venir vivre et travailler régulièrement dans son nouveau pays de résidence. Le divorce peut séparer des familles en occasionnant l’expulsion du pays de résidence de l’un des conjoints devenu sans-papiers à sa suite. Dans certaines situations, la haine qu’il occasionne est souvent grande non seulement entre les ex-conjoints, mais parfois entre leurs belles-familles souvent restées à des milliers de kilomètres du pays de résidence des immigrés. Ces familles peuvent habiter dans le même quartier ou la même ville et peuvent parfois même être parents. Cette situation ne sera pas facile non plus pour celui ou celle qui aura la charge et l’éducation des enfants dans le pays de résidence. Ces enfants peuvent être affectés par l’absence permanente de l’un de leurs parents. Certaines personnes qui n’ont pas pu faire face à certaines conséquences éprouvantes de leur divorce ont versé dans l’alcoolisme, d’autres se sont même suicidées, d’autres encore sont allées jusqu’à commettre des crimes passionnels.

S’il est impossible d’empêcher le divorce – car, comme disait Mariama Bâ : « Le mariage n’est pas une chaine. C’est une adhésion réciproque à un programme de vie. Et puis, si l’un des conjoints ne trouve plus son compte dans cette union, pourquoi devrait-il rester? » – l’on est tenté de se demander si une solution peut être trouvée pour limiter ses conséquences quelquefois désastreuses au sein des couples d’immigrés africains mariés. La réponse à cette question n’est pas facile, parce que la crise que traverse le mariage semble mondiale, à l’instar de la crise économique. Cependant, en ayant en tête certaines valeurs morales et religieuses acquises dans leur pays natal, beaucoup d’immigrés africains peuvent éviter de briser leur mariage pour des peccadilles, pour l’appât du gain facile et certaines facilités matérielles ou pécuniaires.

Bosse Ndoye