Les ravages de la drogue « nyaope » et la criminalité, attribués aux immigrés, justifient une xénophobie aveugle. Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional) LE MONDE

Il vend de l’alcool dans un quartier pauvre et dur, Pretoria West, à la périphérie de la capitale sud-africaine. C’est dire si le patron du Rudy’s Liquor Shop a l’habitude de détecter la violence lorsqu’elle approche. En prévision de la journée de manifestations anti-étrangers supposée se rassembler dans les environs, vendredi 24 février, Rudy est donc allé acheter le plus gros des cadenas disponibles au magasin de bricolage du coin. Juste avant qu’il ferme, et que son propriétaire, d’origine pakistanaise, fasse comme lui, se préparant au pire.
Depuis, chacun a tiré les rideaux de fer, barricadé les magasins, dans l’attente du cortège emmené par les Résidents inquiets de Mamelodi, une petite formation d’autodéfense née dans le quartier de Mamelodi, dans les environs de Pretoria. Magoka Leganyane, l’organisateur de la manifestation, a affirmé que les intentions du groupe « ne relèvent pas de la xénophobie », mais qu’il souhaite lancer un appel aux autorités : « Nous avons besoin que les gens qui vendent des drogues et s’adonnent au trafic d’êtres humains soient expulsés. »
Comprendre : les étrangers, accusés de tous les maux, et donc susceptibles d’être victimes de toutes les violences. Le tout emballé dans un discours flou mais ravageur et soutenu de manière ambiguë par de nombreux responsables politiques. Aujourd’hui, il y a des centaines et des centaines de manifestants qui n’ont rien à voir avec le groupe d’autodéfense. Certains ont terrorisé les étrangers à Danville ou Atteridgeville, à une dizaine de kilomètres, avant de venir, à pied, jusqu’à Pretoria West, errant en bandes à la recherche d’une opportunité de bagarre ou de pillage.
Le nyaope a tout casséTout se brouille. Depuis la mi-février, des habitants de certains quartiers affirment que le temps est venu de nettoyer leur zone des responsables de la criminalité, qui font fleurir la prostitution et le commerce de drogue, notamment de « nyaope », une mixture à base d’héroïne de mauvaise qualité, qui pousse ses consommateurs à de multiples délits. Il y a du vrai dans ce désespoir : dans une large couronne de quartiers, entre Johannesburg et Pretoria, le nyaope est en train de tout casser, en rendant la vie infernale aux familles.