L’Afrique sera-t-elle frappée de plein fouet par la crise provoquée par la guerre en Ukraine et l’inflation qui touche le monde entier ? La question est discutée dans les couloirs de l’Africa CEO Forum d’Abidjan. Si certains sont inquiets, les spécialistes ne sont pas aussi pessimistes
Avec notre correspondant en Côte d’Ivoire, Pierre Pinto
C’est Alassane Ouattara , le président ivoirien, qui a donné lundi le coup d’envoi de l’Africa CEO Forum d’Abidjanla grande réunion entre responsables politiques et personnalités du monde des affaires. Lors de son discours, le chef de l’État à dresser un portrait sombre de la situation économique de l’Afrique, fragilisée par la pandémie et la crise ukrainienne.
« En raison de la guerre en Ukraine, plusieurs pays ont restreint ou suspendu leurs exportations pour garantir leur sécurité alimentaire. Une telle situation inflationniste partout dans le monde pousse les gouvernements et les entreprises à réévaluer leur dépendance aux réseaux internationaux et à accélérer la relocalisation de leurs opérations. Donc c’est réellement une remise en cause de la mondialisation », a déclaré Alassane Ouattara.
Il s’inquiète notamment pour « les pays en développement » : « Nous sommes donc préoccupés par le ralentissement de la croissance mondiale et de la disponibilité pour l’Afrique de certains produits tels que le blé et les engrais. Et aussi par la poussée inflationniste alimentée par la hausse des prix du carburant notamment ».
« On est à des niveaux de confiance qui dépassent ceux d’avant la pandémie »
Pourtant, la situation n’est pas si mauvaise, estiment de nombreux spécialistes. Si les populations les plus vulnérables vont pâtir de la conjoncture économique difficile, les indicateurs macroéconomiques sont plutôt bons en Afrique. Avec une prévision de croissance de 3,7 % cette année, selon la Banque mondiale, alors que certaines zones comme l’Europe seront en récession, l’Afrique subsaharienne résiste plutôt bien à la crise mondiale.
« L’Afrique est nette gagnante en ce qui concerne les prix agricoles, de l’énergie et les prix des matières premières minérales. Nous sommes pour l’instant en situation où l’inflation de nos exportations l’emporte sur l’inflation de nos importations », décrypte l’économiste et ancien Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou.
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Les États doivent en revanche protéger leurs populations. Car pour le moment, l’Afrique bénéficie des hausses des cours des matières premières mais les populations les plus vulnérables, en particulier dans les villes, risquent de subir les effets de la crise de plein fouet :
« Les émeutes de la faim, c’est un vrai risque politique, social ou de déstabilisation. Le problème n’est pas tant macroéconomique, il est macrosocial. Il y a des gens qui peuvent représenter jusqu’au tiers de la population qui vont être extrêmement éprouvés. On risque d’avoir des gens qui repassent très fortement sous le seuil de pauvreté. Pour les politiques publiques, la question, c’est « Comment protège-t-on les plus vulnérables ?« », estime Lionel Zinsou.
Finalement, les économies africaines attirent toujours après le Covid-19. Selon le cabinet Deloitte, qui vient de sortir son baromètre annuel, les trois quarts des dirigeants d’entreprises africains ont confiance dans les perspectives de développement du continent et en particulier en Afrique de l’Ouest.
« On est à des niveaux de confiance qui dépassent ceux d’avant la pandémie. Il y a plusieurs facteurs à cela : l’économie africaine a été particulièrement résiliente pendant la crise et les groupes africains se sont dotés d’outils en termes de gestion des risques et se sentent donc plus confiant que par le passé pour affronter de nouvelles crises », analyse Emmanuel Gadret, directeur général Afrique francophone chez Deloitte.
Le Covid-19 aura donc démontré la capacité d’adaptation rapide des économies africaines. Une qualité indispensable si la crise perdure, estiment les spécialistes.