Malgré de vives critiques, Londres se prépare à de premières expulsions vers le Rwanda

Plusieurs migrants de nationalité irakienne, albanaise, iranienne et syrienne, devrait être expulsés mardi soir par le Royaume-Uni en direction du Rwanda. Une mesure initiée par le gouvernement de Boris Johnson et contestée par l’ONU et les associations de défense des droits humains. L’opposition rwandaise s’indigne également. 

Le gouvernement de Boris Johnson est en passe de mettre en application une mesure vertement critiquée par l’ONU, par des associations de défense des droits humains et par le prince Charles en personne.

Un vol spécialement affrété avec à son bord des clandestins doit décoller de Londres dans la soirée du mardi 14 juin et atterrir le lendemain matin à Kigali. Sauf annulation de dernière minute, de premiers migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni doivent être expulsés vers le Rwanda.  

D’après le correspondant de France 24 à Kigali, Simon Wohlfahrt, « une dizaine de migrants de nationalité irakienne, albanaise, iranienne et syrienne » sont attendus, à l’abri des caméras, les journalistes n’ont pas été autorisés à être présents.

En envoyant ces migrants illégaux dans ce pays d’Afrique de l’Est, à plus de 6 000 kilomètres de Londres, le gouvernement entend dissuader les traversées illégales de la Manche. Celles-ci ne cessent d’augmenter malgré les promesses répétées de Boris Johnson de contrôler l’immigration depuis le Brexit. Depuis le début de l’année, plus de 10 000 migrants ont traversé illégalement la Manche pour atteindre les côtes britanniques sur de petites embarcations, un record.

« Les groupes criminels qui mettent la vie des gens en danger dans la Manche doivent comprendre que leur modèle économique va s’effondrer sous ce gouvernement », a martelé lundi le Premier ministre britannique sur la radio LBC.

Le premier vol risque de décoller quasi vide

Ce projet controversé, qui rappelle la politique menée par l’Australie, a été validé par la justice britannique. Un tribunal a rejeté en première instance, puis en appel des recours de dernière minute formulés notamment par des associations pour tenter de stopper les expulsions. De nouveaux recours sont prévus mardi. 

Mais le premier vol risque de décoller quasi vide. Car si elles ont échoué à interdire la mesure, les multiples contestations en justice ont eu pour effet d’en réduire significativement l’ampleur.

« Il y aura des personnes sur ces vols et si elles ne sont pas sur ce vol, elle seront sur le suivant », a répondu la cheffe de la diplomatie, Liz Truss, sur Sky News. « Ce qui importe vraiment, c’est d’établir le principe » et de « briser le modèle économique de ces gens épouvantables, ces trafiquants qui font commerce de la détresse ». 

Selon l’association Care4Calais, qui a dénoncé un « projet cruel et barbare », au moins 23 personnes sur 31 ont ainsi vu leur ticket vers le Rwanda annulé. Parmi ceux devant partir initialement, se trouvaient notamment des Iraniens, des Irakiens, des Albanais et un Syrien, selon elle. 

Après ce premier vol, les associations n’entendent pas baisser les bras. Une manifestation a rassemblé des centaines de personnes devant le ministère de l’Intérieur lundi soir. 

Les associations d’aide aux migrants comptent poursuivre leur contestation en justice. « Nous sommes déçus, mais notre recours plus large contre cette politique sera défendu en juillet », a réagi l’association Detention Action à propos de l’examen détaillé de la légalité de la mesure prévue le mois prochain. 

Intérêt économique pour le Rwanda

« L’intérêt du Rwanda à mettre en place un tel mécanisme est surtout économique », souligne Simon Wohlfahrt à Kigali. Le journaliste a pu visiter l’hôtel qui accueillera les migrants. « Le gouvernement rwandais a obtenu 144 millions d’euros de Londres pour la mise en place de cet accord. » 

L’hôtel où les migrants seront abrités vient d’être rénové. Il était auparavant destiné à loger une vingtaine d’orphelins du génocide des Tutsi de 1994. 

Le gouvernement rwandais a précisé qu’il proposerait aux migrants la possibilité « de s’installer de manière permanente ». 

L’ambassadeur du Rwanda au Royaume-Uni, Johnston Busingye, a dit dans le Daily Telegraph être « déçu » que les critiques du projet doutent de la capacité de Kigali à fournir « un refuge sûr » aux demandeurs d’asile.

Une violation de la Convention de Genève

Mais pour l’ONU, vent debout depuis l’annonce de la mesure, « cet accord ne va pas du tout, pour tellement de raisons différentes ».

L’organisation de défense des droits humains HRW estime que Londres « cherche à rejeter entièrement ses responsabilités en matière d’asile sur un autre pays », ce qui va à l’encontre de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés dans le monde.

Côté rwandais, l’opposition a vivement réagi au projet de Londres, explique Simon Wohlfahrt. « Pour Victoire Ingabire, la président du parti Dalpha Umurinzi – non reconnu par les autorités – le Rwanda n’a rien a offrir à ces migrants, alors que des milliers de Rwandais sont déjà au chômage. Elle estime que le Royaume-Uni fait porter la responsabilité de ses demandeurs d’asile à un pays pauvre et non démocratique ».

Avec AFP