« Il nous est arrivé de dormir dehors, dans les rues, devant des inconnus ». Dans une vidéo de moins d’une minute, Amadou, rentré au Sénégal après avoir erré en Europe, raconte la difficulté de son voyage et l’inquiétude de ne « jamais savoir où aller ». « J’ai vu mes amis poster des photos d’eux en Europe sur Facebook et j’ai pensé qu’il me serait facile d’y aller aussi. Ce n’était pas le cas », confie quant à lui Francis, ému devant la caméra. Ce dernier assure avoir été arnaqué à plusieurs reprises par des passeurs lui proposant de traverser la méditerranée.
Un message plus « authentique »
Comme eux, des dizaines de migrants retournés vivre dans leur pays ont accepté de participer à la campagne de sensibilisation « Migrants as Messengers » (« les migrants comme messagers ») et de témoigner, dans de courtes vidéos publiées sur les réseaux sociaux, de leur expérience sur la route de l’exil. Lancé en avril 2018, ce projet a été initié par l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) dans le but de délivrer une information « authentique » et « fiable » sur les risques de la migration illégale à destination de potentiels candidats au départ.
« Cette campagne est née après des études sur le fait que de plus en plus de migrants potentiels sont septiques quand ils voient les avertissements de grandes organisations et des gouvernements expliquant que la migration irrégulière est dangereuse », explique à InfoMigrants William Quiviger, chargé de communication du bureau de l’OIM à Dakar. Avec ces vidéos diffusées en plusieurs langues, il espère que l’information ait « plus d’impact », les migrants de retour connaissant les risques « mieux que personne ». « Nous ne disons pas qu’il ne faut pas migrer, mais nous souhaitons encourager la voie régulière », ajoute-t-il.
La campagne entend également permettre à ces anciens migrants de « développer eux-mêmes » leur message. Pour cela, l’OIM s’est rendue dans trois pays depuis lesquels de nombreuses personnes se tournent vers la migration illégale, le Sénégal, la Guinée et le Nigeria, pour proposer des ateliers vidéos. « Nous avons formé des migrants récemment retournés dans leur pays aux techniques de réalisation de ces contenus et nous les avons équipé de tablettes, smartphones, micros et trépieds pour qu’ils puissent s’interviewer entre eux, aller sur le terrain récolter des témoignages, puis les partager sur les réseaux sociaux », détaille William Quiviger.
Dans ces témoignages, que l’on peut retrouver sur Facebook ou Youtube, les migrants évoquent l’argent dépensé en vain, les mensonges des passeurs, mais surtout la peur de mourir et les décès de compagnons de voyage. « La souffrance que nous avons vécu, nous ne voulons pas que les autres endurent la même chose », insiste l’un d’entre eux dans une vidéo publiée par l’OIM Guinée (voir ci-dessous). « J’ai vu beaucoup de choses pitoyables dans le désert, j’ai vu des gens qui mourraient à cause de la faim et la soif, des bébés qui mourraient et des filles violées », enchaîne une autre participante.
« Participer à ce projet m’a libéré »
Elhadj Mohamed Diallo a participé à la formation organisée à Conakry en juin dernier. Ce jeune guinéen de 31 ans a quitté son pays en 2015 pour se rendre en Algérie, puis au Maroc, avant de finalement décider de reprendre la route jusqu’en Libye dans l’espoir de traverser la mer Méditerranée. Incarcéré en Libye pendant plusieurs mois, il décide finalement de faire demi-tour direction le Niger et de demander à rentrer en Guinée. En novembre 2017, il revient chez lui avec l’aide de l’OIM. « Participer au projet Migrants as Messengers m’a libéré, car avant je ne pouvais pas parler de ce que j’avais vécu. J’avais honte d’être rentré et je considérais mon parcours comme un échec », explique-t-il à InfoMigrants.
Depuis, avec plusieurs autres participants, il a monté une association, « L’organisation guinéenne de la lutte contre la migration irrégulière » (OGLMI), avec laquelle il organise des opérations de porte-à porte dans certaines communautés et intervient dans les médias. « Nous allons également commencer à faire des conférences dans les écoles et universités pour s’adresser plus directement aux jeunes », souligne Elhadj Mohamed Diallo.