Pour une migration choisie, par ceux qui partent et ceux qui accueillent

97356-004-5589B4CDCourt mais dense ouvrage que celui-là. Et combien opportun à l’heure où l’Europe apparaît dépassée par les flux migratoires conjugués de centaines de milliers de personnes fuyant les poudrières du Proche et Moyen-Orient, et de celles qui quittent l’Afrique en quête d’une vie digne.

Son auteur, François De Smet, est depuis mars dernier le directeur du centre fédéral migration Myria – même si « La marche des ombres » a été écrit avant sa prise de fonction. C’est cependant en tant que philosophe qu’il aborde les enjeux des migrations. Aussi le mérite du livre est-il de prendre de la hauteur par rapport à un sujet sur lequel le politique, mais pas que lui, n’a qu’une vision très terre à terre, pour ne pas dire bornée.

De Smet rappelle que Kant avait déduit le droit des hommes de se mouvoir sur Terre, leur possession commune, de la rotondité de celle-ci, à cause de laquelle « ils sont forcés, à la fin, de se souffrir les uns à côtés des autres ». Dans la foulée, il interroge la pertinence de l’argument du « premier arrivé » sur un territoire, à l’échelle de l’histoire de l’humanité.

A ce « droit de migrer » s’oppose celui de la souveraineté de l’Etat, progressivement établie suite au passage du nomadisme à la sédentarité. Pour des raisons de stabilité, L’Etat ne prise guère les nouveaux arrivants.
Depuis la fermeture des frontières, en 1974, seules les migrations « superflues » (entre pays riches) et celles dictées par la contrainte (les demandeurs d’asile) sont considérées comme légitimes. Or le droit d’asile, souligne De Smet, « n’épouse qu’imparfaitement le besoin humain de vivre ou de survivre dans de meilleures conditions ». Et le philosophe de remettre en question la distinction opérée, en droit et dans les esprits, entre le réfugié et celui qui ne cherche qu’à s’assurer une « vie ».

Faute de réelle politique migratoire, la réponse de l’Etat est forcément arbitraire et injuste, ajoute De Smet. L’exemple des centres fermés, vraie-fausse preuve de l’intransigeance de l’Etat face à l’immigration indésirable, est parlant. Y croupissent ceux qui ont eu la malchance d’avoir été arrêtés alors que ce même Etat ignore sciemment la présence de milliers d’autres « illégaux ».

Les coutures de l’Europe forteresse craquent de toutes parts. Objet d’une politique réfléchie et assumée, la migration pourrait passer du statut de « menace » à celui d’opportunité, notamment économique, qui profiterait à la fois au migrant, à son pays de départ et son pays de destination, insiste De Smet.

Conseillera-t-on assez aux élus, et à tout qui s’intéresse à la vie de la cité, la lecture de ce brillant ouvrage ?

« La marche des ombres », François De Smet, Espace de Libertés, coll. Liberté j’écris ton nom, 95 pp., 10 euros