Court mais dense ouvrage que celui-là. Et combien opportun à l’heure où l’Europe apparaît dépassée par les flux migratoires conjugués de centaines de milliers de personnes fuyant les poudrières du Proche et Moyen-Orient, et de celles qui quittent l’Afrique en quête d’une vie digne.
Son auteur, François De Smet, est depuis mars dernier le directeur du centre fédéral migration Myria – même si « La marche des ombres » a été écrit avant sa prise de fonction. C’est cependant en tant que philosophe qu’il aborde les enjeux des migrations. Aussi le mérite du livre est-il de prendre de la hauteur par rapport à un sujet sur lequel le politique, mais pas que lui, n’a qu’une vision très terre à terre, pour ne pas dire bornée.
De Smet rappelle que Kant avait déduit le droit des hommes de se mouvoir sur Terre, leur possession commune, de la rotondité de celle-ci, à cause de laquelle « ils sont forcés, à la fin, de se souffrir les uns à côtés des autres ». Dans la foulée, il interroge la pertinence de l’argument du « premier arrivé » sur un territoire, à l’échelle de l’histoire de l’humanité.
Faute de réelle politique migratoire, la réponse de l’Etat est forcément arbitraire et injuste, ajoute De Smet. L’exemple des centres fermés, vraie-fausse preuve de l’intransigeance de l’Etat face à l’immigration indésirable, est parlant. Y croupissent ceux qui ont eu la malchance d’avoir été arrêtés alors que ce même Etat ignore sciemment la présence de milliers d’autres « illégaux ».
Les coutures de l’Europe forteresse craquent de toutes parts. Objet d’une politique réfléchie et assumée, la migration pourrait passer du statut de « menace » à celui d’opportunité, notamment économique, qui profiterait à la fois au migrant, à son pays de départ et son pays de destination, insiste De Smet.
Conseillera-t-on assez aux élus, et à tout qui s’intéresse à la vie de la cité, la lecture de ce brillant ouvrage ?
« La marche des ombres », François De Smet, Espace de Libertés, coll. Liberté j’écris ton nom, 95 pp., 10 euros