Un slogan sahraoui dit : « Ce sont les jeunes qui franchiront le mur de sable ». Ils sont soutenus par une large partie de la population, plus âgée et plus prudente. « Si nous rouvrons le conflit armé, j’irai me battre, mais nous perdrons de nombreuses vies et nous ne sommes déjà pas nombreux », explique un Sahraoui préférant rester anonyme. « Souvent, il arrive aussi qu’après avoir remporté la liberté par la violence, la démocratie meure et qu’une élite militaire s’accroche au pouvoir. C’est ce qu’on a déjà ici d’ailleurs. Les vieux qui se sont battus s’accrochent au pouvoir et refusent de céder la place aux plus jeunes, sous prétexte qu’ils n’ont pas connu la guerre, qu’ils ne savent pas ce que cela signifie », poursuit-il.Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Ahmed Lehbib, va lui aussi en ce sens. « Les jeunes ont des positions importantes dans les institutions, mais ils n’ont pas assez de pouvoir. Ils représentent une minorité des décideurs politiques », explique-t-il. Ahmed Lehbib a les cheveux grisonnants. Pourtant, âgé de 32 ans, il est le plus jeune ministre du gouvernement sahraoui.« Nous sommes prêts »
Les violations des droits humains des Sahraouis dans les territoires marocains sont fréquentes. En 2017, Human Rights Watch dénonçait « une suppression systématique de toutes les manifestations pro-indépendance organisées par des Sahraouis au Sahara occidental ».Les images des forces de l’ordre marocaines réprimant les manifestations arrivent directement sur les téléphones portables des Sahraouis vivant dans les camps. Elles exacerbent leur colère face à l’inaction de la communauté internationale. À diverses reprises, le Conseil de Sécurité de l’ONU a statué sur l’élargissement du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme. Mais chacune de ces propositions a été rejetée. La France, traditionnel allié du Maroc, est décriée pour utiliser son droit de veto sur cette question.« Notre ennemi maintenant c’est la France, ce n’est plus le Maroc », affirme le ministre de la Jeunesse. Assis, le dos bien droit sur un coussin dans une tente, il affirme qu’il ne souhaite pas que le mandat de la Minurso soit renouvelé à son expiration, le 31 octobre. « La Minurso ne sert à rien. Elle est devenue une gardienne du statu quo », affirme-t-il. Si la mission de l’ONU quitte le territoire, cela peut signifier la reprise de la guerre. « Oui, nous sommes prêts. Demain même. Nous n’avons pas besoin d’armes. Nous sommes armés de notre courage et de notre envie de liberté », soutient le jeune ministre.Optimisme prudent
Pendant que certains revendiquent une solution radicale, d’autres continuent à travailler à la voie pacifique pour la résolution du conflit. Jamal Zakari, membre de la délégation des négociations, profite de ses escales entre New York, Bruxelles et Berlin pour passer du temps en famille dans le camp de Smara. On le trouve occupé à lire Le Monde diplomatique dans la cour de sa maison.« Tout le peuple sahraoui a le sentiment qu’il a été oublié en plein désert par la communauté internationale. C’est une situation qui est inacceptable », martèle-t-il. « Pour moi, la limite est déjà dépassée. Mais l’essentiel ce n’est pas de faire la guerre pour faire la guerre », affirme-t-il. « Aujourd’hui, il y a des gestes de la communauté internationale. Je suis optimiste, mais prudent. Un proverbe sahraoui dit : « celui qui a été mordu par un serpent se méfie d’une corde », ajoute Jamal Zakari, le sourire aux lèvres.Dos au mur
Dans son bureau en bordure du camp de Rabuni, d’où est gérée l’administration de la République sahraouie, le Premier ministre Mohamed Wali Akeik se félicite aussi des dernières avancées de la communauté internationale. Horst Kohler, l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental a multiplié les rencontres ces derniers mois. La position des États-Unis, qui refusent de continuer à financer la Minurso si elle ne remplit pas sa mission, est à l’avantage des Sahraouis. L’année dernière, le mandat de la Minurso n’a été reconduit que pour six mois. Cela a permis de mettre la résolution du conflit sous pression.Mais les dirigeants du Front Polisario, engagés dans les processus de négociations, sont poussés dos au mur par les appels des Sahraouis à reprendre les armes. « C’est une grande menace pour le gouvernement et pour toute la direction du Front Polisario. Avant chaque congrès, on peut entendre la voix des plus jeunes, affirmant fortement que trop, c’est trop et qu’on ne peut attendre pour retourner à la maison », explique Mohamed Wali Akeik. Le chef d’État n’est pas certain d’arriver à calmer les Sahraouis. L’air dépité, impuissant, il ajoute : « Nos jeunes ont perdu confiance en tout et ils pourraient ne pas être aussi patients qu’on le souhaiterait ».