Sahara occidental: Quand les jeunes revendiquent la voie des armes

Le 4 et 5 décembre, à Genève, devraient se tenir les premières négociations officielles entre le Maroc et le Front Polisario depuis 2012. Elles porteront sur l’avenir du Sahara occidental. Les représentants du peuple sahraouis se félicitent de ces avancées. Mais dans les camps de réfugiés, la promesse d’un nouveau round des négociations est loin de suffire à apaiser les tensions. Reportage.
Avec 50.700 habitants, le camp de Smara est le plus grand des six camps de réfugiés sahraouis dans la région de Tindouf.

Avec 50.700 habitants, le camp de Smara est le plus grand des six camps de réfugiés sahraouis dans la région de Tindouf. – M. W
Il n’y a pas d’autre solution que les fusils !, s’écrie Mohammed. C’est sûr que la guerre apportera l’indépendance. Cela nous donnera une visibilité dans le monde. Et s’il n’entend pas les balles siffler au-dessus de sa tête, le Maroc ne bougera jamais  », ajoute le jeune homme avec force.Dans la classe de préparation au baccalauréat de l’école Simon Bolivar, en bordure du camp de réfugiés de Smara, à l’ouest de l’Algérie, les discussions vont bon train ce matin. «  C’est par la politique que nous obtiendrons l’indépendance. La guerre, ça provoque des pertes et de la souffrance  », renchérit une jeune fille installée au premier rang. «  Mais s’il faut choisir entre la guerre ou rester ici, je choisis la guerre. Rester ici, ce n’est pas une option  », ajoute une de ses camarades. «  Ce qui a été pris par la force ne peut être repris que par la force !  », lancent plusieurs étudiants.Certains acquiescent, d’autres protestent. Mais s’il est un point sur lequel tous les étudiants s’entendent, c’est que la table ronde prévue en décembre entre le Front Polisario, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, ne changera rien à leur condition. «  Il y a déjà eu tellement de négociations qui n’ont rien changé. Le Maroc ment. Il ne veut pas perdre le Sahara occidental  », expliquent-ils.Cela fait longtemps que ces étudiants sont désabusés. Ils sont nés dans les camps de réfugiés sahraouis et y ont passé la majeure partie de leur vie, tout comme certains de leurs parents. Ces dernières années, la tension n’a fait qu’accroître. Les inscriptions dans l’armée augmentent. De nombreux jeunes veulent se battre. L’armée est aussi l’un des seuls secteurs où l’on peut trouver un emploi dans les camps.Une grande partie des Sahraouis dispose d’un diplôme universitaire obtenu à l’étranger. Nombre d’entre eux travaillent à l’extérieur. Il y a peu d’opportunité pour ceux qui choisissent de rester avec leurs proches. L’inoccupation et la non-résolution de la question du Sahara occidental provoquent une grande frustration.« Les jeunes franchiront le mur »

Un slogan sahraoui dit : «  Ce sont les jeunes qui franchiront le mur de sable  ». Ils sont soutenus par une large partie de la population, plus âgée et plus prudente. «  Si nous rouvrons le conflit armé, j’irai me battre, mais nous perdrons de nombreuses vies et nous ne sommes déjà pas nombreux  », explique un Sahraoui préférant rester anonyme. «  Souvent, il arrive aussi qu’après avoir remporté la liberté par la violence, la démocratie meure et qu’une élite militaire s’accroche au pouvoir. C’est ce qu’on a déjà ici d’ailleurs. Les vieux qui se sont battus s’accrochent au pouvoir et refusent de céder la place aux plus jeunes, sous prétexte qu’ils n’ont pas connu la guerre, qu’ils ne savent pas ce que cela signifie  », poursuit-il.Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Ahmed Lehbib, va lui aussi en ce sens. «  Les jeunes ont des positions importantes dans les institutions, mais ils n’ont pas assez de pouvoir. Ils représentent une minorité des décideurs politiques  », explique-t-il. Ahmed Lehbib a les cheveux grisonnants. Pourtant, âgé de 32 ans, il est le plus jeune ministre du gouvernement sahraoui.« Nous sommes prêts »

Les violations des droits humains des Sahraouis dans les territoires marocains sont fréquentes. En 2017, Human Rights Watch dénonçait «  une suppression systématique de toutes les manifestations pro-indépendance organisées par des Sahraouis au Sahara occidental ».Les images des forces de l’ordre marocaines réprimant les manifestations arrivent directement sur les téléphones portables des Sahraouis vivant dans les camps. Elles exacerbent leur colère face à l’inaction de la communauté internationale. À diverses reprises, le Conseil de Sécurité de l’ONU a statué sur l’élargissement du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme. Mais chacune de ces propositions a été rejetée. La France, traditionnel allié du Maroc, est décriée pour utiliser son droit de veto sur cette question.«  Notre ennemi maintenant c’est la France, ce n’est plus le Maroc  », affirme le ministre de la Jeunesse. Assis, le dos bien droit sur un coussin dans une tente, il affirme qu’il ne souhaite pas que le mandat de la Minurso soit renouvelé à son expiration, le 31 octobre. «  La Minurso ne sert à rien. Elle est devenue une gardienne du statu quo », affirme-t-il. Si la mission de l’ONU quitte le territoire, cela peut signifier la reprise de la guerre. «  Oui, nous sommes prêts. Demain même. Nous n’avons pas besoin d’armes. Nous sommes armés de notre courage et de notre envie de liberté  », soutient le jeune ministre.Optimisme prudent

Pendant que certains revendiquent une solution radicale, d’autres continuent à travailler à la voie pacifique pour la résolution du conflit. Jamal Zakari, membre de la délégation des négociations, profite de ses escales entre New York, Bruxelles et Berlin pour passer du temps en famille dans le camp de Smara. On le trouve occupé à lire Le Monde diplomatique dans la cour de sa maison.«  Tout le peuple sahraoui a le sentiment qu’il a été oublié en plein désert par la communauté internationale. C’est une situation qui est inacceptable  », martèle-t-il. «  Pour moi, la limite est déjà dépassée. Mais l’essentiel ce n’est pas de faire la guerre pour faire la guerre  », affirme-t-il. «  Aujourd’hui, il y a des gestes de la communauté internationale. Je suis optimiste, mais prudent. Un proverbe sahraoui dit : « celui qui a été mordu par un serpent se méfie d’une corde  », ajoute Jamal Zakari, le sourire aux lèvres.Dos au mur

Dans son bureau en bordure du camp de Rabuni, d’où est gérée l’administration de la République sahraouie, le Premier ministre Mohamed Wali Akeik se félicite aussi des dernières avancées de la communauté internationale. Horst Kohler, l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental a multiplié les rencontres ces derniers mois. La position des États-Unis, qui refusent de continuer à financer la Minurso si elle ne remplit pas sa mission, est à l’avantage des Sahraouis. L’année dernière, le mandat de la Minurso n’a été reconduit que pour six mois. Cela a permis de mettre la résolution du conflit sous pression.Mais les dirigeants du Front Polisario, engagés dans les processus de négociations, sont poussés dos au mur par les appels des Sahraouis à reprendre les armes. «  C’est une grande menace pour le gouvernement et pour toute la direction du Front Polisario. Avant chaque congrès, on peut entendre la voix des plus jeunes, affirmant fortement que trop, c’est trop et qu’on ne peut attendre pour retourner à la maison  », explique Mohamed Wali Akeik. Le chef d’État n’est pas certain d’arriver à calmer les Sahraouis. L’air dépité, impuissant, il ajoute : «  Nos jeunes ont perdu confiance en tout et ils pourraient ne pas être aussi patients qu’on le souhaiterait  ».

Contexte
Le Sahara occidental est le dernier pays africain dont le statut postcolonial n’a pas été fixé.Après le départ de l’Espagne, en 1975, le Maroc et la Mauritanie prennent possession du territoire. 25.000 Sahraouis sont tués sous les bombes au phosphore et au napalm. Plus de 100.000 personnes fuient à l’ouest de l’Algérie. Pendant que les camps de réfugiés s’installent, le Front populaire pour la libération de la Saguia Al Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario) rétorque aux attaques de ses voisins. Son objectif : lutter pour l’indépendance du Sahara occidental.En 1976, le Front Polisario déclare la République arabe sahraouie démocratique, non reconnue par l’ONU.Après l’instauration d’un cessez-le-feu entre la Mauritanie et le Front Polisario, le Maroc s’étend dans le Sud et entreprend la construction d’un mur de sable englobant ses possessions au Sahara occidental. Cette frontière s’étend sur plus de 2700 kilomètres et est l’un des territoires les plus minés au monde. En 1991, le cessez-le-feu est signé entre le Maroc et le Front Polisario. La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) est envoyée sur le terrain. Suite à des désaccords sur la liste des électeurs, l’organisation du référendum prend du retard. Aujourd’hui, 27 ans plus tard, le peuple sahraoui attend toujours tandis que le Maroc a annoncé rejeter toute autre solution qu’une autonomie sous sa souveraineté.Le Sahara occidental est un territoire riche en phosphate le long d’une mer regorgeant de poissons. Le Maroc a fait de grands investissements dans ces régions. Les ressources qu’elles recèlent sont notamment vendues à l’Union européenne.https://plus.lesoir.be/185326/article/2018-10-18/sahara-occidental-quand-les-jeunes-revendiquent-la-voie-des-armes?fbclid=IwAR00L7kzCdABDTsqyxazhycKCJsoNxI9GLaUsYlKOgfTfy_X4gzIPSxhFgA