Inscrite dans le projet de révision de la Constitution présenté mercredi 23 décembre, la proposition sur la déchéance de nationalité sera applicable à toutes les personnes françaises nées d’un ou deux parents étrangers et ayant conservé leur nationalité étrangère. Jusqu’alors, elle pouvait être prononcée à l’encontre de personnes naturalisées, ayant conservé leur ancienne nationalité, mais pas pour les Français de naissance.
Longtemps, les chiffres sur les personnes potentiellement concernées sont restés approximatifs, du fait de l’absence d’enquête nationale sur les binationaux. Le droit français autorise la double nationalité et n’exige aucune déclaration. Seule indication donnée par le recensement, plus de 40 % des immigrés vivant en France possèdent la nationalité française.
Pour la première fois, dans l’enquête Trajectoires et origines, réalisée entre 2008 et 2009, les chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED) ont demandé aux personnes interrogées s’ils possédaient une autre nationalité. D’après les réponses obtenues, les binationaux représentent 3,3 millions de personnes (5 % de la population de la France métropolitaine âgée de 18 à 50 ans), dont 90 % sont immigrés ou descendants d’immigrés. « C’est le seul chiffre fiable, explique Patrick Simon, sociodémographe à l’INED, car il n’existe aucun fichier ni recensement des Français à double nationalité. » Selon le chercheur, les ressortissants à double nationalité sont très fréquents chez les immigrés du Maghreb (66 %), les Turcs (55 %) et les Portugais (43 %), mais rares chez les personnes originaires d’Asie du Sud-Est.
L’ensemble des droits français sont acquis
En France, le droit s’applique de manière pleine et entière pour une personne française qui a aussi une autre nationalité : elle a droit à un passeport français, peut exercer son droit de vote et d’éligibilité, et a accès à tous les emplois publics. « La France reconnaît la double nationalité pour ses ressortissants mais, sur son sol, elle les considère avant tout comme des ressortissants français. A l’inverse, dans l’autre pays de nationalité, le droit national de ce pays sera souvent prépondérant », explique le chercheur de l’INED. Un immigré naturalisé peut cumuler la nationalité française et celle d’origine (dans le cas où son pays permet la double nationalité), tout comme les descendants d’étrangers nés en France qui deviennent français à leur majorité ou par anticipation.
La mesure de privation de la nationalité a été introduite dans le droit français au début du XIXe siècle dans le code civil. Ces dispositions visaient les émigrés français ayant fui la Révolution, considérés comme traîtres à la patrie. Mais, dès cette époque, il était possible pour un ressortissant étranger d’acquérir la nationalité sans abandonner sa nationalité d’origine. C’est le régime de Vichy qui a eu le plus recours aux mesures de déchéance, notamment contre les juifs d’origine étrangère. Depuis l’ordonnance de 1945, qui oblige le gouvernement à prendre une décision par décret en Conseil d’Etat, on ne « dénaturalise » plus guère, remarquait en 2008 Bernard Schmid, juriste du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP).
Plus d’une fois, la déchéance de nationalité a été agitée par la droite et l’extrême droite. Ce fut le cas en 2001 après les sifflets qui avaient accueilli la Marseillaise lors d’un match amical France-Algérie disputé au Stade de France. Le FN avait alors brandi cette proposition pour punir ceux qui « salissaient la France ». La même polémique avait suivi des incidents identiques lors d’un autre match amical entre la France et la Tunisie en 2008.
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