COP 21 : Une chance à saisir pour l’Afrique, selon (Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique

Alors que les dirigeants du monde entier affluent vers Paris dans le cadre de la COP 21 afin de négocier un accord  visant à faciliter la transition vers des économies sobres en carbone, il convient de rappeler combien l’enjeu de ces négociations est crucial pour l’Afrique.
World Bank Vice President for Africa Makhtar Diop. AFP/Stephane de Sakutin
World Bank Vice President for Africa Makhtar Diop. AFP/Stephane de Sakutin

La raison est simple : si l’Afrique n’est responsable que de 3,8%  des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde, les pays africains subissent de plein fouet les effets dévastateurs de conditions climatiques de plus en plus extrêmes. Une recrudescence des sécheresses, des inondations et autres cyclones risque de réduire à néant les progrès accomplis par les pays africains au cours des dernières décennies sur le front du développement.

Si nous n’agissons pas, la ville de Nouakchott, capitale de la Mauritanie, sera bientôt sous les eaux, martèle le ministre de l’environnement mauritanien. À l’est de Lomé, la capitale du Togo, l’érosion empiète la côte de 7 mètres par an. Sachant que la contribution du littoral ouest-africain au PIB  des Etats côtiers d’Afrique de l’Ouest est de 56%, l’érosion côtière, phénomène provoqué en partie par l’activité humaine mais amplifié par des conditions météorologiques extrêmes, représente une menace particulièrement inquiétante.

Partout en Afrique, les moyens de subsistance ainsi que la santé des populations des villes côtières et des régions rurales sont menacés par le changement climatique. Si aucun pays, riche ou pauvre, n’est à l’abri des conséquences de catastrophes climatiques, le changement climatique affecte cependant de manière disproportionnée les populations les plus pauvres. Il est à l’origine de la plupart des chocs qui maintiennent les populations africaines dans la pauvreté ou les y font basculer : mauvaises récoltes dues à la diminution de la pluviosité, flambée des prix alimentaires provoquée par des phénomènes météorologiques incontrôlables, accroissement de l’incidence des maladies sous l’effet de vagues de chaleur et d’inondations, etc.

Un mot d’ordre : l’adaptation

Les dirigeants africains ont conscience que si l’Afrique veut mener à bien son combat contre la pauvreté, l’adaptation au changement climatique devra être élevée au rang de priorité.

On sait qu’un réchauffement de la planète de l’ordre de 1,5-1m75 °C est pratiquement inévitable en raison des émissions de gaz à effet de serre (GES) déjà accumulées. Ce réchauffement provoquera la perte de terres arables, une baisse de la production agricole, l’aggravation de la sous-alimentation, l’accroissement des risques de sécheresse et le déclin des captures de pêche.

Mais un réchauffement plus important, de l’ordre de 3 à 4 °C au-dessus des températures de l’ère préindustrielle, serait encore plus catastrophique: un tel scénario se traduisant en effet par une recrudescence des canicules sur la grande majorité du continent, des risques accrus de sécheresse extrême (notamment en Afrique australe); de mauvaises récoltes tous les deux  ans;  une réduction de 20 % des rendements des principales cultures de denrées de première nécessité ; et jusqu’à 18 millions de personnes touchées par des inondations chaque année d’ici la fin du siècle.

Pour relever ce défi, l’Afrique doit donc intensifier au plus vite les mesures en faveur de l’adaptation, quel que soit le scénario climatique envisagé.

La facture sera lourde : les besoins actuels s’élèvent à 5-10 milliards $EU par an (pour l’adaptation à un réchauffement de 2 °C), mais pourraient atteindre jusqu’à 20-50 milliards $EU au milieu du siècle, et près de 100 milliards $EU en cas de hausse de la température de 4 °C. Or les fonds mobilisés pour le climat en Afrique sont dérisoires par rapport aux besoins réels. Les financements actuels en faveur de l’adaptation en Afrique s’élèvent tout au plus à 3 milliards $EU par an, couvrent seulement une partie des besoins et n’augmentent pas assez rapidement.

Afin d’aider le continent à relever le défi de l’adaptation au changement climatique, la Banque mondiale a conçu un plan d’action —l’Africa Climate Business Plan— qui permettra d’accroître la résilience de la région face au changement climatique tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, grâce à un certain nombre de mesures concrètes.

Ce plan sera lancé lors de la conférence internationale sur le climat Paris 2015, cet évènement nous donnant une occasion unique de mobiliser les différents acteurs pour qu’ils agissent dans ce domaine. L’objectif du plan d’action est non seulement de sensibiliser davantage l’opinion publique aux conséquences du changement climatique mais surtout de trouver des ressources pour financer un ensemble d’actions prioritaires de développement qui soient plus adaptées aux évolutions du climat.

Ce plan d’action met l’accent sur plus d’une dizaine de domaines prioritaires, regroupés en trois catégories, sur lesquels la Banque mondiale, en collaboration avec les gouvernements africains et divers partenaires régionaux et internationaux, espère contribuer à obtenir des résultats à court et à moyen terme.

  1. « renforcer la résilience » en développant une agriculture climato-intelligente et un environnement qui s’adapte mieux au changement climatique, en améliorant la gestion des forêts et du littoral, en promouvant les économies maritimes et en facilitant l’émergence de villes intelligentes face au climat
  2. « Alimenter la résilience » par le biais de panneaux solaires, de l’énergie géothermique et hydraulique ;
  3. « faciliter la résilience » en rassemblant des données statistiques et en renforçant les capacités de programmation et de conception d’investissements qui prennent en compte le changement climatique.

Selon nos estimations, la mise en œuvre de ce plan coûtera environ 16 milliards $EU pour la période 2015-2018, dont environ 5,6 milliards $EU proviendront de l’Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres. Le Plan d’action définit également des résultats susceptibles d’être obtenus à plus long terme (jusqu’en 2025), avec un coût estimé à 21 milliards $EU.

Développer les énergies renouvelables : une opportunité pour l’Afrique.

Une chose est sûre : l’Afrique ne parviendra pas à endiguer la pauvreté si elle ne s’attelle pas à combler le déficit énergétique du continent sachant qu’à l’heure actuelle seul un Africain sur trois a accès à l’électricité.  Or l’Afrique a beau disposer d’un des plus grands potentiel hydroélectrique et géothermique au monde (la vallée du Rift en Éthiopie représentant à elle seule un potentiel de 10 à 15 gigawatts), et être dotée de  réserves de gaz naturel considérables et d’abondantes ressources en matière d’énergie solaire et éolienne, ses capacités totales de production (Afrique du Sud incluse) n’excèdent pas 80 000 mégawatts (MW). C’est plus ou moins ce que produit l’Espagne ou la Corée du Sud!

C’est pourtant grâce à l’hydroélectricité que bon nombre de pays européens ont propulsé leur économie, ce qui leur a permis de  relever les niveaux de vie, de stimuler la croissance et de promouvoir le développement dans leur région. Au même titre que l’Europe et le reste du monde, l’Afrique mérite la même opportunité de développer ses énergies renouvelables afin d’améliorer la qualité de vie de ses populations et de mieux partager la prospérité sur le continent. L’Afrique du Sud s’est démarquée en exploitant son potentiel photovoltaïque avec environ 800MW installé en 2014, principalement soutenu par le recours aux appels d’offre mais aussi en parvenant à standardiser les procédures. Soulignons aussi le potentiel important des grandes centrales solaires thermiques à concentration comme celles qui ont été construites au Maroc.  

Bien que le coût des énergies renouvelables ait baissé significativement au cours des dix dernières années, ces dernières demeurent toujours bien trop onéreuses. La révolution énergétique verte en Afrique ne pourra donc se faire sans l’appui financier de la communauté internationale (qui permettra de faire baisser les coûts liés au déploiement de ces technologies propres), la volonté politique des gouvernements et les investissements du secteur privé.

Des institutions comme le Groupe de la Banque mondiale peuvent aider à préparer les montages financiers nécessaires grâce à des instruments tels que l’assistance à la préparation de projets, les garanties et assurances, les garanties étant notamment essentielles, les investisseurs restant excessivement prudents quand il s’agit d’investir dans le secteur de l’énergie en Afrique sachant qu’il faut beaucoup de temps pour réaliser un projet énergétique de grande envergure et pour qu’il génère des revenus. Par exemple, afin de permettre l’exploitation du gisement de gaz de Sankofa au Ghana, la Banque mondiale a récemment accordé des garanties d’un montant record de 700 millions de dollars, garanties qui devraient permettre de mobiliser presque 8 milliards de dollars d’investissements privés

Les pays devront aussi collaborer au niveau régional pour bâtir des réseaux de transmission, les pays excédentaires pouvant alimenter les pays moins bien lotis, et les sociétés nationales d’électricité (publiques comme privées) devront mettre en place les réformes nécessaires et prouver leur viabilité financière afin d’attirer les investisseurs. En Afrique de l’Est, la Banque mondiale a par exemple mobilisé 684 millions de dollars pour relier les réseaux d’électricité d’Ethiopie et du Kenya, ce qui ouvre la voie à une coopération régionale renforcée.

Quelle que soit l’issue des négociations de COP21, il est donc grand temps de mobiliser nos énergies pour que l’Afrique soit au centre de la stratégie mondiale sur le climat. La Banque mondiale jouera pleinement son rôle en coordination avec les gouvernements africains, les partenaires au développement et le secteur privé. Car l’Afrique peut et veut contribuer au bien public qu’est la lutte contre le changement climatique.

(Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique

Revue Géoéconomie de l’institut Choiseul)

Seydou Nourou Ba