Dans ce monde moderne, on donne généralement les bonnes nouvelles par téléphone et les mauvaises par e-mail, a dit quelqu’un. Dès lors, un coup de fil reçu tard, la nuit, peut semer la confusion voire le trouble dans n’importe quel l’esprit, notamment dans celui d’un immigré. Surtout si ce dernier, par la magie de la technologie, reconnaît que c’est un de ces appels provenant de son pays d’origine.
À ce moment-là, même la distance la plus proche comme celle séparant son lit de son téléphone peut sembler kilométrique. Mille pensées peuvent alors lui traverser l’esprit. Comme dans un rapide dialogue intérieur, il peut se laisser aller à toutes sortes de supputations. Tout et son contraire peuvent défiler dans sa tête. Si aux dernières nouvelles, un de ses parents ou son enfant était gravement malade, il va sans doute se dire : « Qu’-est-ce-qui lui arrive? Pourquoi me téléphone-t-on à cette heure-ci? Quelque chose de grave a dû se passer? Ou encore : J’espère qu’il n’est pas mort! ». Si aux dernières nouvelles, sa femme ou sa fille était presque au terme de sa grossesse, il va certainement se demander : « A-t-elle accouché? Garçon ou fille? Tout s’est bien passé pour elle j’espère?» Si aux dernières nouvelles, son pays était en proie à des troubles violents, il peut se poser un nombre incalculable de questions. Beaucoup d’hypothèses de ce genre peuvent lui traverser l’esprit, dans un petit intervalle de temps, avant qu’il ne décroche le téléphone. Le voila transi d’angoisses.
À l’instar d’un accusé, partagé entre impatience et inquiétude, qui attend le verdict de son procès au moment où le juge est sur le point de le prononcer, ou d’un élève de terminal paralysé par le stress, qui attend la délibération des résultats du baccalauréat alors que le chef de son jury a déplié une liste pour annoncer les noms des admis. Il a hâte de décrocher le téléphone. Pour enfin se libérer d’une forte emprise afin de faire cesser cet intenable et éprouvant suspens. Il peut avoir l’impression qu’une partie de son destin est suspendue au bout du fil. Ces courts instants semblent durer une éternité. Certains immigrés qui n’aimeraient pas les vivre vont laisser le téléphone sonner pour qu’un message leur soit laissé. Ils pourront alors l’écouter en s’imaginant plus tranquilles. D’autres vont éteindre ou débrancher leur téléphone au moment de se coucher pour ne pas avoir une mauvaise surprise pendant la nuit. Quel expatrié n’a jamais vécu pas ces genres de situations inquiétantes, ne-fût-ce qu’une fois dans sa vie d’immigré? Bien que dérangé dans son sommeil, si les nouvelles qu’il reçoit de l’autre ne sont pas inquiétantes, il est tout de même très soulagé, même si ce sont des balivernes qu’on vient de lui raconter. Car il arrive souvent que beaucoup de gens, au pays d’origine des immigrés, téléphonent à ces derniers à n’importe quelle heure de la journée, parce qu’ils ne savent rien du tout ou connaissent très peu la notion de décalage horaire qu’il peut y avoir entre leurs deux pays. Ce genre de situation montre à quel point la vie de l’immigré est pleine de pressions. Car il est écartelé entre ses soucis envers sa famille vivant parfois à des milliers de kilomètre et la pression qu’il peut vivre dans son pays de résidence, où son humeur et son moral vont souvent dépendre des informations provenant de son pays d’origine. Pouvant avoir l’effet de la pluie ou du beau temps sur une journée, les nouvelles provenant du pays d’origine des immigrés, selon qu’elles sont bonnes ou mauvaises, ont souvent un impact très important sur la météo quotidienne de ceux-ci dans leur pays de résidence. Ainsi, une belle journée ensoleillée peut y être, à n’importe quel moment, gâchée et assombrie; comme une journée maussade peut y être illuminée d’un instant à l’autre, par une mauvaise ou une bonne nouvelle provenant de leur pays d’origine. Si au contraire, les nouvelles que vient de recevoir l’immigré au téléphone ne sont pas bonnes, comme le redoutent beaucoup de gens vivant loin de leur pays d’origine, le reste de la nuit est perturbé, le sommeil interrompu et le travail du lendemain compromis. Dans l’hypothèse d’un décès d’un proche parent, beaucoup de cas de figures peuvent se présenter selon la situation administrative, financière et la volonté de l’immigré. S’il vit légalement dans son pays de résidence et dispose de moyens économiques qui peuvent lui permettre de voyager, il lui sera possible d’organiser son départ vers son pays d’origine dans les plus brefs délais – s’il le souhaite. S’il vit légalement dans son pays de résidence, mais ne dispose pas de moyens économiques, cela devient plus problématique. Or, ce cas de figure se produit souvent dans la mesure où nombre d’immigrés africains, confrontes aux obligations financières dans leur pays de résidence et a celles leur pays d’origine, éprouvent des difficultés pour épargner beaucoup d’argent. Par conséquent, dans des situations d’urgence, beaucoup d’entre eux peuvent se trouver dans l’impossibilité de trouver les moyens nécessaires pour subvenir à leurs besoins. Ils sont alors parfois obligés de se tourner vers leur communauté, leurs amis ou leur banque pour pouvoir emprunter de l’argent afin d’aller à leur pays d’origine. La situation la plus difficile et la plus complexe semble être celle de l’immigré vivant illégalement dans son pays de résidence. Quand bien même il disposerait de moyens financiers nécessaires et suffisants pour aller vers son pays d’origine, il a un choix très difficile à faire. Entre partir au risque de ne plus pouvoir revenir, ou vivre son chagrin loin de sa famille et prendre son mal en patience en attendant une hypothétique régularisation, le voila dans la pire des tourmentes humaines. Cette situation peut être d’autant plus difficile à vivre que la personne qui la subit est peut être restée pendant des années sans voir ses proches.
Si ceux qui sont restés au pays d’origine des immigrés savaient la pression que vivent ces derniers dans leurs pays d’accueil, ils feraient tout pour leur épargner certains ennuis, parfois pour de simples futilités. La distance et le temps sont souvent, pour les immigrés, des facteurs amplificateurs de leurs souffrances. Ils constituent aussi des facteurs d’atténuation du bonheur qu’ils auraient pu vivre pleinement dans leur pays d’origine.
Bosse Ndoye
Montréal
Auteur de : L’énigmatique clé sur l’immigration aux Éditions CMS (Gatineau); Une amitié, Deux trajectoires aux Éditions Pour Tous (Brossard)